General

Les cas de coronavirus dans l’Iran sous sanctions : la tempête parfaite

Jens Berger 29/02/2020
L’Iran est la quatrième source de propagation de la maladie de Covid-19 causée par le nouveau coronavirus, après la Chine, la Corée du Sud et l’Italie. 

Tradotto da Fausto Giudice
Cependant, il ne s’agit que d’une estimation basée sur des données iraniennes, qui ne sont malheureusement pas tout à fait fiables. Le nombre de cas non détectés d’Iraniens infectés serait probablement beaucoup plus élevé et il existe des craintes fondées que le système de santé iranien, déjà massivement affaibli par les sanctions usaméricaines, soit désespérément dépassé par la situation. 
Le temps presse. Si les USA ne suspendent pas maintenant leurs sanctions, au moins pour des raisons humanitaires, les conséquences pourraient être dévastatrices pour l’ensemble de la région et même, en fin de compte, pour le monde entier.
La politique d’information officielle de l’Iran sur les cas de Covid-19 dans son propre pays ne peut être décrite que comme une catastrophe en soi. Il y a seulement deux semaines, les organismes officiels ont catégoriquement nié l’existence de cas suspects dans leur propre pays. Mais ces dénégations n’ont pas pu être maintenues longtemps. Le 19 février, l’Iran a officiellement signalé les deux premières infections, qui se sont ensuite avérées mortelles. Le 24 février, le nombre officiel de personnes infectées était passé à 61 et le nombre de décès à 19. Cependant, les rapports officieux des autorités supposaient déjà qu’il y avait au moins 900 personnes infectées et même ces chiffres semblent relativement prudents.
La ville sainte de Qom est apparemment particulièrement touchée, ce qui rend la situation encore plus explosive, puisque le sanctuaire de Fatima Masoumeh y est la destination de millions de pèlerins chaque année. Cela a incité Ahmad Amirabadi, député de Qom et qui, en tant qu’ancien officier des Gardiens de la Révolution, peut être rangé parmi les conservateurs, à protester : selon ses déclarations, au moins 50 personnes sont déjà mortes rien qu’à Qom. Afin d’attaquer les déclarations d’Amirabadi, Iraj Harirchi, vice-ministre de la santé, peu auparavant nommé « chargé du Corona », a tenu une conférence de presse quelques heures plus tard, qui s’est retournée contre lui de façon grotesque. Alors qu’Harirchi défendait les chiffres officiels, il s’est mis à transpirer et a eu une quinte de toux. Le lendemain, il a émis un gazouillis à partir de l’ isolement – oui, il avait maintenant été diagnostiqué avec le Covid-19.
À ce stade au plus tard, les déclarations officielles n’étaient absolument plus fiables. Par ailleurs, le chef du Conseil national de sécurité, Mojtaba Dhul Nur, est apparemment le deuxième homme politique de haut rang à avoir été frappé par le virus.
Même les chiffres actuels, qui font état de 141 cas et de 22 décès, ne sont pas crédibles. Afin d’estimer des chiffres plus réalistes pour l’Iran, il est donc utile d’examiner les chiffres des pays voisins. Le Koweït, par exemple, signale aujourd’hui sept nouveaux cas, ce qui porte le total à 43 – tous les cas sont ceux de patients venus directement ou indirectement d’Iran via l’Irak. La situation au Bahreïn est similaire. Là, le nombre est actuellement passé à 33. En Irak, au Qatar, à Oman, en Afghanistan et au Pakistan également, il y a déjà les premiers cas confirmés de patients qui ont contracté le virus en Iran et l’ont transporté au-delà des frontières.
Les réactions des États voisins de l’Iran sont tout aussi dures. Le Qatar a fermé ses frontières hier et a ordonné l’évacuation de ses compatriotes et des Koweïtiens d’Iran. La région kurde irakienne a imposé une interdiction d’entrée et a ordonné la mise en quarantaine de 2 000 personnes récemment entrées dans le pays en provenance d’Iran. Entre-temps, l’Irak, la Turquie et l’Arabie saoudite ont fermé leurs frontières ou leurs frontières maritimes avec l’Iran. Tout cela a pu conduire les autorités iraniennes à s’activer. Plus tôt dans la journée, le ministère iranien de la santé a appelé les citoyens à s’abstenir de tout voyage privé inutile. Les prières du vendredi doivent être suspendues pendant une semaine et il semble que des restrictions de voyage soient déjà envisagées. Cependant, les lieux saints de Qom resteront ouverts – après tout, les pèlerins qui s’y trouvaient cherchaient aussi la protection divine contre la maladie. La superstition prévaut, le risque pour la population est apparemment accepté.
Des études canadiennes estiment le nombre de personnes infectées en Iran à environ 23 000 – mais mentionnent explicitement que la qualité des données est approximative. La seule certitude est qu’il y a des milliers plutôt que des centaines de personnes infectées. Quelle que soit la façon dont on évalue la qualité de ces chiffres – ce qui se concocte actuellement en Iran est extrêmement menaçant pour plusieurs raisons.
D’une part, l’Iran est, de tous les pays, l’un des épicentres de l’épidémie, d’où l’on se rend souvent dans des régions où les guerres civiles font toujours rage à l’ombre de la politique agressive des USA et où il n’est pas question de soins médicaux appropriés. Une fois que Covid-19 se sera répandu dans les zones de guerre en Afghanistan, en Syrie ou au Yémen, le nombre de victimes devrait rapidement atteindre des niveaux dramatiques. Cependant, c’est une chose que l’on oublie souvent : même l’Iran, qui est en fait un pays relativement progressiste, est maintenant l’un des États qui peuvent difficilement faire face au nouveau virus par eux-mêmes, « grâce » aux sanctions usaméricaines.
Même en temps normal, le système de santé iranien présente des lacunes à tous les niveaux, comme l’a noté Human Rights Watch en octobre de l’année dernière. La raison en sont les sanctions usaméricaines. Il est vrai que les produits humanitaires sont explicitement exclus des sanctions. Mais cela ne sert à rien dans la pratique, car les importateurs iraniens n’ont aucun moyen de payer régulièrement les équipements médicaux ou les médicaments provenant de l’étranger. La possibilité de payer ces marchandises par virement bancaire ou autre fait déjà défaut, puisque l’ensemble du système financier iranien est exclu des transactions de paiement internationales par les sanctions usaméricaines. Les dernières alternatives de l’Iran étaient justement les pays qui ferment maintenant leurs frontières (Qatar, Irak, Turquie) ou qui sont eux-mêmes aux prises avec le Covid-19 (Chine).
Il est également cruellement ironique que les relations économiques avec la Chine, dont l’Iran a un besoin urgent, n’aient fait qu’entraîner le pays dans la crise actuelle. Alors que d’autres pays, par exemple, ont suspendu le trafic aérien vers les régions infectées de la Chine, l’Iran a maintenu ses liens avec son partenaire commercial jusqu’au bout et a ensuite fait don de trois millions de masques de protection aux autorités chinoises. Ce sont précisément ces masques qui manquent aujourd’hui au système de santé iranien et, comme celui-ci est coupé du marché mondial, il n’y a pas de possibilités de remplacement à court terme. Mais ce n’est pas tout : même les kits de test nécessaires pour déterminer le virus ne sont pas disponibles, car les sanctions signifient qu’ils ne peuvent pas être achetés sur le marché mondial. En conséquence, l’OMS soutient désormais l’Iran par des livraisons régulières de matériel. Cela est (encore) suffisant pour le début de l’épidémie. Cependant, si les chiffres – ce qui est à prévoir – augmentent massivement, la situation du système de santé iranien menace de devenir complètement précaire.
L’Iran est déjà dans une crise humanitaire et la situation va probablement bientôt se transformer en catastrophe humanitaire sans aide extérieure, une catastrophe qui ne peut être enrayée localement ! L’idée, qui résonne peut-être dans l’esprit de certains transatlantiques cyniques, d’affaiblir le gouvernement iranien maintenant par l’urgence humanitaire, comporte le risque direct de créer un foyer de maladie d’ampleur incalculable dans une région en crise, qui constituerait une menace permanente pour le reste du monde. Pour des raisons humanitaires et éthiques, ces pensées doivent être écartées. Comme si souvent, la « communauté mondiale » est maintenant appelée à aider l’Iran – si nécessaire, même contre la volonté explicite des USA. Toute proposition est bienvenue.