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Eugénie Mérieau: « Il n’y a pas de frontière rigide entre démocratie et dictature »

Pablo Maillé 05/03/2020
Entretien avec Eugénie Mérieau, autrice de La dictature, une antithèse de la démocratie ?, un ouvrage passionnant qui déconstruit les idées reçues sur les régimes autoritaires.

Fin janvier, dans un avion le ramenant d’Israël, Emmanuel Macron dénonçait « les discours politiques extraordinairement coupables » qui affirment que la France est devenue une dictature et qui justifieraient, selon lui, la violence politique et sociale. « S’est installé dans notre société l’idée que nous ne serions plus dans une démocratie, affirmait-il alors. Mais allez en dictature ! Une dictature c’est un régime où une personne ou un clan décide des lois. Une dictature c’est un régime où on ne change pas les dirigeants, jamais. Si la France c’est ça, essayez la dictature et vous verrez ! »

Que révèle cette prise de position ? Les régimes autoritaires exercent-ils leur pouvoir sans le consentement des populations ? Et quelle réalité politique le terme de « démocratie » recouvre-t-il vraiment en Occident ? La politiste et juriste Eugénie Mérieau, chercheuse au Centre d’Etudes du Droit Asiatique à l’Université Nationale de Singapour, publiait justement, à la fin de l’année 2019, La dictature, une antithèse de la démocratie ? (éditions Le cavalier bleu). Un ouvrage en forme de déconstruction de 20 idées reçues sur les régimes autoritaires, qui répond avec nuance et clarté à toutes ces questions. Entretien.
Usbek & Rica : La récente prise de parole d’Emmanuel Macron ressemble à s’y méprendre au point de départ de votre livre, à savoir les déclarations du type « Allez donc vivre en Corée du Nord si vous trouvez la France liberticide ! » Que révèle la persistance de ce type de discours, d’après vous ?
Eugénie Mérieau : Le propos d’Emmanuel Macron est révélateur d’un discours dominant visant à légitimer l’ordre existant d’une démocratie imparfaite dont il faudrait se contenter sous prétexte qu’il y a « pire ailleurs ». « La démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres » : au-delà de la faiblesse de l’argument, il s’agit d’un raisonnement syllogique en trois temps, extrêmement banal et surtout tautologique, qui se déroule comme suit. La dictature c’est l’enfer. Or, la dictature est l’antithèse de la démocratie. Donc la démocratie est une sorte de paradis.
L’objectif de mon livre est précisément de révéler, par une étude empirique, la fausseté des prémisses du syllogisme – au lecteur d’en tirer la conclusion qu’il jugera la plus pertinente concernant l’état de la démocratie en France. L’irréductible antinomie des dictatures et des démocraties repose sur une construction binaire simpliste : élections/pas d’élections, droit/arbitraire, violence/légitimité. Or, les régimes autoritaires procèdent à des élections, cherchent à minimiser la violence et à accroître leur légitimité, et se fondent sur le droit pour gouverner, tout comme les démocraties.