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Dino, Maranhão, PCdoB*: le capital impérialiste chinois est-il révolutionnaire ?

Mário Maestri 28/03/2020
Quand un être connaît une transformation profonde de son essence, on dit qu’il a subi une métamorphose. Même si le processus de transformation est lent, et souvent presque imperceptible au début, il connaît des phases d’accélération, de sauts qualitatifs, dans lesquels il change de forme pour pouvoir exprimer pleinement sa nouvelle nature.

Tradotto da Jacques Boutard
La société brésilienne ne vit pas une crise terminale, comme beaucoup l’affirment. Elle connaît seulement une énorme accélération de la métamorphose pathologique commencée depuis longtemps. L’internationalisation, la dénationalisation, la désindustrialisation de l’économie et surtout de l’industrie brésilienne est un processus qui s’est accéléré au cours des quarante dernières années. Le pays a connu une véritable « désindustrialisation par substitution de la production intérieure par les importations ». Pendant cette longue période, le poids relatif et absolu de la production de matières premières minières et agricoles détenues directement ou indirectement par le grand capital sans patrie, incolore et inodore, a fortement augmenté. À son tour, le capital financier national et international s’est littéralement engraissé sur le dos de la population du pays, à travers les multiples dettes – nationales, fédérales ou municipales – et les opérations bancaires quotidiennes, petites, moyennes et grandes. Même les narcotrafiquants n’avaient jamais rêvé d’un tel niveau de profit, garanti par la « loi du chien » qui s’est installée dans le pays. La production étant désormais prioritairement orientée vers l’exportation – minerais, céréales et viande principalement – la population du pays représente désormais une part moindre de la consommation de la production nationale. Cela a rendu possible le développement de l’esclavage salarié, plus rentable que ne l’était l’esclavage légal avant l’Abolition.
Sans exception
Depuis le soi-disant « retour à la démocratie », tous les gouvernements, sans exception – ceux de Sarney, Collor, Cardoso, Lula et Dilma -, avec plus ou moins d’enthousiasme, mais toujours avec une énorme bonne volonté envers le grand capital national et international, ont alimenté un processus de métamorphose profonde, qui a connu un saut qualitatif inévitable lors du coup d’État de 2016. C’est alors que l’étrange « brebis », chez laquelle grandissaient depuis longtemps d’étranges dents et griffes acérées, et dont les yeux devenaient de plus en plus rougeoyants, a perdu totalement la laine de sa toison, révélant sa nature vampiresque et sa voracité insatiable. Et aujourd’hui, beaucoup de gens, horrifiés et surpris par ce qui se préparait depuis longtemps, crient « Au loup ! Au loup fasciste ! »
Lors du coup d’État de 1964, la « bourgeoisie industrielle » brésilienne a rompu le pacte populiste conclu en 1930 par crainte du renforcement de la classe ouvrière, et a renoué une alliance au goût amer avec le grand capital mondial. A partir de 1967, elle a exigé de préserver son hégémonie, toute relative, dans le cadre de son association avec l’impérialisme. L’échec du « Miracle économique », lors de la crise mondiale capitaliste de 1975, a tourné à l’avantage du grand capital apatride, surtout financier, ce qui a entraîné l’internationalisation, la dénationalisation et la désindustrialisation de l’économie nationale.
La soi-disant « bourgeoisie nationale » s’est métamorphosée en une classe parasite, pantin de la mondialisation, incapable d’agir, de ressentir ou de réagir indépendamment faute de substrat matériel et d’autonomie objectifs. En 2016, elle a laissé l’impérialisme lui rafler le peu qui restait de capital monopoliste national public et privé en applaudissant joyeusement et stupidement. Même si elle connaît aujourd’hui une crise profonde, elle s’accroche bovinement et obstinément à la réduction en esclavage moderne des travailleurs, qui reçoivent des salaires inversement proportionnels à leurs efforts et à la qualité de leurs conditions de travail. Elle rêve d’un esclavage moderne où elle n’aurait pas besoin d’acheter les esclaves, s’en débarrassant à son gré, les tabassant sans l’intermédiaire de la police et des forces militaires.
L’agonie du nationalisme militaire
Aux temps de la Colonie, de l’Empire, de la République, les autorités brésiliennes ont toujours été l’expression des classes dominantes. Entre 1967 et 1985, pendant la dictature militaire conduite par des officiers « nationalistes purs et durs », elles exprimaient le projet bourgeois d’un « Grand Brésil », bâti par la sueur du peuple, bien entendu. Aujourd’hui, reflétant l’effondrement de la « production nationale », le Brésil ne produit que des généraux dignes des républiques bananières, qui offrent et vendent leurs services à prix modiques. Tous rêvent d’une maison à un, deux ou trois étages à Miami, selon la vache qu’ils ont réussi à traire.
De pays semi-colonial, dans lequel les classes dominantes dictaient la politique de la nation, même si elles restaient dans la sphère économique des grandes nations, nous vivons la métamorphose des institutions, vers un ordre dictatorial institutionnalisé, où les décisions politiques elles-mêmes sont prises par le grand capital international, à travers les acteurs locaux : la haute fonction publique ; la «haute» Justice ; le Parlement ; les propriétaires des grandes entreprises évangéliques. Le Brésil connaît un véritable « ordre néocolonial mondialisé », caractéristique de l’internationalisations du capital, qui tend à clore l’ère des États-nations indépendants et semi-indépendants.
La métamorphose pathologique du Brésil n’est pas gravée dans le marbre. Elle est avant tout le produit du déséquilibre actuel, au niveau mondial, de la relation entre les forces de travail et le capital, particulièrement exacerbée dans notre pays. Cette réalité a son histoire, tant nationale qu’internationale. Le nouvel ordre s’installera, se consolidera et s’appliquera avec une radicalité croissante, s’il ne se heurte pas à une résistance et à des propositions efficaces pour le surmonter. Et c’est là le grand drame du Brésil aujourd’hui – il n’y a pas de force ou de projet réel qui s’oppose au tsunami du grand capital qui balaie le pays.
La métamorphose de la gauche
Il n’y a plus de doute. Les partis électoraux de « gauche », en particulier le PT, le PCdoB, le PDT, le PSB, le PSOL, etc., et toutes les centrales syndicales, sans exception, non seulement ne s’opposent pas au processus en cours, mais ils se mettent en quatre pour empêcher la mobilisation des travailleurs et de la population contre l’actuelle hécatombe sociale et économique. Par le passé, ils ont facilité l’accouchement du monstre et maintenant, ils exigent qu’on les laisse aussi le langer. Ils s’efforcent avant tout d’être acceptés comme membres du nouvel ordre, même s’ils n’en sont que des figurants muets. Ils ne veulent pas perdre les avantages qui découlent de la participation à la gestion de l’État, quelle que soit la forme qu’il prend. Couche sociale de centaines de milliers de parasites, ils offrent sans vergogne leurs loyaux services aux nouveaux maîtres.
Deux exemples, récents, criants
Le 22 février dernier, The Intercept Brasil dénonçait la dureté avec laquelle le gouverneur Flávio Dino traitait les secteurs populaires du Maranhão, tout en déroulant le tapis rouge au grand capital mondial, en général, et chinois, en particulier – le plus dynamique actuellement. Tout cela pour construire des infrastructures privées visant à transformer l’État du Maranhão en une véritable « zone de transit» pour les produits des sociétés minières et de l’agro-industrie, également aux mains du capital transnational. Le principal objectif est la construction d’un port chinois privé ! Ce n’est pas différent, il est vrai, de ce que font ou essaient de faire les autres gouverneurs d’États.
Ce reportage anodin a déclenché un tollé avec de vrais cris de putois contre The Intercept Brasil, qui avait osé révéler le projet du PCdoB de proposer le grassouillet Flávio Dino comme remplaçant acceptable de Jair Bolsonaro aux élections de 2022, s’engageant à respecter toutes les exigences du grand capital. À cet égard, le PCdoB lui-même arrive maintenant au terme de sa longue métamorphose, surtout formelle en l’occurrence, car elle ne fait que dévoiler quelle est depuis longtemps sa vraie nature. En d’autres termes, il abandonne ses oripeaux rouges pour une tenue verte et jaune, et remplace ses fausses dents en forme de « faucille et de marteau », déjà incapables de mordre qui que ce soit, par d’autres en Renminbi. Dans une récente interview, Flávio Dino a exprimé sa volonté de « tourner la page » en déclarant que « … la faucille et le marteau [sont des] symboles du XIXe siècle ».
Il est nécessaire de « montrer la peau de l’ours » quand on prétend l’avoir tué. J’ai parlé du « losurdisme », (« l’anticapitalisme des imbéciles »), comme fer de lance de l’impérialisme, car il prône le développement des forces productives des pays, sans se soucier de la nature de l’État ou des conditions faites à des populations soumises à une association-soumission au grand capital international, particulièrement chinois, que l’Italien adorait (lire Néo-stalinisme : ce que propose vraiment Losurdo).
Le « youtubeur » versatile Jones Manoel, losurdiste de pointe au Brésil, a prononcé le plaidoyer le plus obscène en faveur de Flavio Dino.
Il a qualifié l’article, d’ailleurs courtois, d’Intercept Brasil, de « ligne de front de l’anticommunisme », de «véritable assaut contre « toute la gauche radicale brésilienne ». Comme si ce gouverneur et son parti avaient quelque chose à voir avec le communisme, qu’ils rejettent déjà publiquement. Sans parler de la gauche, même la plus modérée.
Le socialisme oublié
Jones Manoel affirme que l’article était une attaque contre la Chine et les Chinois et qu’il caricaturait Mao et les valeurs de la Révolution chinoise – un personnage et des valeurs déjà bien oubliés depuis décembre 1978, depuis le début de la restauration capitaliste sous la houlette de Deng Xiaoping. En tout cas, au moins dans l’article en question, il n’y a aucune référence à Mao et à la révolution chinoise ! Le plus intéressant est la position politique de Jones Manoel, fidèle à la doxa losurdiste. Pour lui, une « Révolution brésilienne devra nécessairement réexaminer certains contrats avec les Chinois et exproprier certaines entreprises » !
Autrement dit, ce « youtubeur » prêche pour une « révolution brésilienne », sans autre précision. Révolution nationale ? Révolution patriotique ? Une révolution « rédemptrice » comme en 1964 ? Il n’en dit rien. Et il garantit les revenus des entreprises du grand capital impérialiste chinois, avec quelques retouches, après ladite « Révolution sans nom » (comme la crème glacée « sans nom » du début des années 1980, disparue depuis). En fait, la position du journaliste s’inscrit dans la ligne politique de l’ancien PCdoB et, plus encore, du nouveau. Au contraire, le PCB, un parti dont Jones Manoel serait un militant, propose clairement, sans tergiverser, une « révolution socialiste brésilienne », et l’expropriation des actifs du grand capital international, la nationalisation des richesses minières du pays, et ainsi de suite, seule garantie effective de l’indépendance nationale et sociale.
Dans le même sens, mais avec un écho encore plus important, il y a eu la réaffirmation par Lula da Silva, dans une interview publiée par le journal suisse Le Temps le dimanche 1er mars, du cri de « Fica Bolsonaro » [Bolsonaro reste], qu’il avait lancé le 7 novembre 2019 à sa sortie de prison, déclarant que le mandat de Jair Bolsonaro était légal, et qu’il ne fallait pas proposer sa destitution, puisque rien d’illégal n’aurait encore été fait. Il faudrait donc respecter son « mandat » jusqu’aux élections de 2022, quand il ne restera pas grand-chose du pays, et qui verra certainement l’élection du troisième président à soutenir le coup d’État.
Ces déclarations bizarres sont certainement nées du désir de Lula da Silva de gagner la bonne volonté de ces messieurs les généraux, qui détenaient la clé de la cellule dans laquelle l’ancien syndicaliste a été illégalement détenu pendant 580 jours. Elles exprimaient surtout, à voix haute, la position que la prétendue gauche défend en sourdine. En d’autres termes, ne rien faire et laisser courir, laisser le pays s’enfoncer, mais que la farce électorale continue, et que les politiciens « d’opposition » ne perdent pas leur vache nourricière. Lula n’est certainement pas un traître – il a toujours été comme ça. Le problème est de savoir qui a cru et croit encore au Père Noël.
Il est urgent de reconstruire la gauche. Avec ces ennemis installés dans nos tranchées, et qui nous appellent « camarades », la bataille est perdue d’avance.
NdE
PCdoB : le Parti Communiste du Brésil est né en 1962 comme une scission, d’abord procubaine puis prochinoise du PCB, Parti Communiste Brésilien, prosoviétique. Ayant mené une résistance honorable à la dictature militaire -conduisant notamment une guérilla dans l’Araguaia, engageant 69 militants et 17 paysans, presque tous tués par l’armée, qui mobilisa 10 000 hommes, encadrés par des conseilleurs US -, il a joué le jeu de la « redémocratisation » à partir de 1985, devenant un allié du Parti des Travailleurs et entrant progressivement dans le « système », faisant des alliances électorales avec le PT et/ou d’autres partis. La candidate au poste de vice-présidente aux côtés de Fernando Haddad (PT) à l’élection présidentielle de 2018, Manuela D’Avila, est une militante du PCdoB. Flávio Dino, dans le Maranhao (capitale São Luís), est le seul gouverneur d’État du PCdoB, qui a quelques autres vice-gouverneurs. Cet ancien juge a été président de l’Embratur (Institut du tourisme brésilien) de 2011 à 2014. Les accusations de détournements de fonds portées contre lui n’ont pas eu de suites judiciaires.