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Le Maroc ordonne et l’Espagne obéit

Lidia Falcón 18/02/2020
La souveraineté de l’Espagne et l’autorité et l’indépendance de notre gouvernement élu par les citoyens sont une fiction.

Tradotto da Fausto Giudice
Le Maroc, dans la foulée de son intention incontestée d’annexer définitivement le Sahara, a fait approuver par son parlement – cette fiction de démocratie qui cherche à masquer la dictature de la monarchie alaouite – que ses eaux territoriales incluent celles du Sahara occidental et même celles des îles Canaries. Et dans notre pays l’Espagne, les illustres dirigeants de gauche n’ont pas même sourcillé.
Ana Oramas, représentante vétérane de la Coalition des Canaries, qui connaît bien les tenants et aboutissants et la bureaucratie de ce Congrès des députés dont le règlement a été conçu et rédigé pour que les interventions des parlementaires de l’opposition ne dérangent pas trop le gouvernement, a présenté le 5 février une question sur cette décision du Maroc qui touche directement les Canaries. La question aurait dû recevoir une réponse le mercredi 12 février. Eh bien, alors que les centaines de députés qui composent l’Assemblée entraient dans l’hémicycle, avec beaucoup de parcimonie, en se divertissant dans leurs conversations mutuelles, leurs appels téléphoniques, leurs bavardages et leurs consultations, l’illustre présidente du Congrès, également impliquée dans ces questions, a déclaré au micro, sur un ton bas et indifférent, que, conformément à l’article 68 du règlement de l’Assemblée, elle avait décidé de retirer la question sur la décision du Maroc concernant ses eaux territoriales, et elle a demandé si les honorables députés étaient d’accord. Les honorables députés, le dos tourné à la présidence, montent maintenant les escaliers jusqu’à leur siège, rient aux blagues des uns et des autres, parlent au téléphone et personne n’écoute la question de Maritxel Batet et donc personne ne répond. Cette dernière, très rapidement et habilement, affirme que puisque tout le monde est d’accord, la question de la Coalition des Canaries est retirée. Et ainsi, les règles de procédure et de démocratie ont été respectées.
Je ne sais pas si les citoyens seront très surpris par cette procédure, aussi sceptiques et désabusés qu’ils soient par le comportement de leurs représentants, ce qui a conduit une partie non négligeable des électeurs à opter pour des groupes d’extrême droite qui leur promettent le formalisme et la poigne de fer, dont les nostalgiques de la dictature aspirent au retoyur. Je suis toutefois perplexe de voir qu’Ana Oramas n’était pas dans l’hémicycle lorsque Meritxel Batet a soulevé la question dans l’Assemblée pour exprimer son désaccord avec la décision de supprimer la question qu’elle avait soulevée, et ce qui est encore plus surprenant, c’est qu’elle n’a pas non plus exprimé de mécontentement ou de malaise à ce sujet par la suite. Ni sur les réseaux sociaux qu’elle fréquente, ni dans les médias.
Que le Maroc occupe une partie du Sahara occidental après la Marche verte de 1975, la signature de l’accord tripartite de Madrid, l’interruption du processus de décolonisation et l’abandon de l’Espagne, et qu’il prend continuellement des mesures, qui sont plutôt des avancées, en vue de l’annexion définitive du Sahara afin de s’approprier son territoire, ses gisements de phosphate et ses zones de pêche très convoitées, n’est un secret pour personne. Pour atteindre ces objectifs, la monarchie alaouite persécute férocement tout dissident, emprisonne des journalistes et des hommes politiques, dissout violemment les manifestations, les rassemblements et les camps des Sahraouis et, si nécessaire, tire sur les militants, peu importe la casse. En toute impunité.
Les médias, qui ne sont pas entièrement contrôlés par le Département d’État usaméricain, rendent parfois timidement compte de ces atrocités sans que la conscience démocratique de nos dirigeants et de nos sociétés européennes ne soit le moins du monde ébranlée. Cette Union européenne, qui est un exemple de tout progrès démocratique, ne reconnaît pas la souveraineté du Maroc au Sahara, dans une déclaration hypocrite qui n’a aucun effet dans la réalité.
Mais le Royaume du Maroc gouverne avec une volonté de fer un pays qui maintient une répartition féodale des richesses, qui soumet les femmes aux règles coraniques et condamne des millions de travailleurs et de jeunes à la pauvreté et au chômage structurel qui contraint des milliers de personnes à fuir le pays chaque année, au risque de leur vie dans les turbulences de notre détroit. Avec une population de 34 millions d’habitants pour un territoire très similaire à celui de l’Espagne, le Maroc est un acteur stratégique important tant pour les USA que pour l’Union européenne.
Les USA ont fait du Royaume du Maroc un partenaire préférentiel de l’OTAN pour garantir sa domination en Méditerranée et pour surveiller le détroit de Gibraltar. Et l’Union européenne, cette conspiration de grandes entreprises et de capitaux gouvernés par des politiciens à leur service, acquiesce à toutes les impositions de l’empire, et sent le souffle sur la nuque des menaces du roi alaouite. En échange de prébendes, d’argent et de privilèges, celui-ci promet un certain contrôle sur l’émigration débridée des jeunes qui fuient la pauvreté, l’arriération et la répression dans leur pays vers d’autres qui ont plus de possibilités. Le premier qu’ils trouvent sur leur chemin est l’Espagne.
Nous commémorons le sixième anniversaire du massacre sur la plage d’El Tarajal, le 6 février 2014, lorsqu’une opération de 56 agents de la Guardia Civil a tiré 145 balles en caoutchouc et cinq grenades fumigènes sur des garçons subsahariens qui tentaient de contourner la digue qui sépare Ceuta du Maroc pour entrer en Espagne, avec pour résultat la noyade de quinze d’entre eux. 23 qui ont réussi à atteindre Ceuta ont été immédiatement renvoyés au Maroc, dans le cadre d’une opération appelée « retours à chaud » (« devoluciones en caliente »).
Pour finir de démontrer comment cette Union européenne, dont nous sommes si fiers de faire partie, défend les droits de l’homme, aujourd’hui, 13 février 2020, la Grande Chambre de la Cour des droits de l’homme de Strasbourg, qui est l’organe judiciaire suprême de cette UE démocratique, a approuvé les « devoluciones en caliente » à la frontière espagnole, annulant ainsi sa condamnation de l’Espagne de 2017 pour ces pratiques. La Cour considère que les plaignants « se sont placés dans une situation d’illégalité en essayant délibérément d’entrer en Espagne par la clôture de Melilla ». On sait déjà que ce sont les êtres humains qui sont illégaux.
Tous les gouvernements espagnols, de la dictature à la démocratie, ont cédé au chantage marocain. Si cette Espagne développée et riche ne veut pas que des milliers d’émigrants arrivent continuellement sur ses côtes – et nous devons voir combien les femmes marocaines doivent se reproduire pour que le pays ne soit pas complètement dépeuplé -, si elle veut que le royaume alaouite nous donne l’usage des zones de pêche de l’Atlantique, dont beaucoup n’appartiennent même pas à sa souveraineté puisqu’elles appartiennent au Sahara, et qu’il continue à être la sentinelle des côtes méditerranéennes et un fidèle allié de l’OTAN, nous devons passer par ses fourches caudines. Dans un autre article, nous parlerons de la concurrence déloyale que le Maroc exerce dans l’exportation de tomates, alors que les agriculteurs espagnols sont désespérés par les pertes qu’ils subissent en continuant à cultiver la terre.
Les gouvernements et les monarques du royaume d’Espagne, et nous connaissons déjà l’étroite amitié et l’affection qui unissent nos rois à ceux du Maroc, acceptent docilement les conditions de Mohamed VI : ni le soutien aux revendications sahraouies, malgré notre responsabilité dans leur abandon, ni la dénonciation des conditions infâmes dans lesquelles se trouvent tant les masses laborieuses que les prisonniers politiques et sociaux, ni l’instauration dans le pays d’une véritable démocratie, ni, bien sûr, la revendication de l’égalité des femmes.
Et maintenant, nous allons accepter que le Maroc s’approprie les eaux des îles Canaries : une nouvelle humiliation et une nouvelle perte de notre souveraineté.