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Après le crime de Hanau : les responsables de la fracture sociale appellent à l’unité

Tobias Riegel 22/02/2020
En réponse aux attaques et à la dérive droitière la politique sociale et l’application de la loi doivent être massivement renforcées. Mais ces investissements sont coûteux. Au lieu de cela, les politiciens responsables de la fracture sociale proposent maintenant des clichés sur la « solidarité ». Mais le temps des paroles ardentes est révolu : les invocations ne maintiendront pas la cohésion de la société.

Tradotto da Fausto Giudice
Après les actes horribles de Hanau, nos pensées doivent être avec les victimes et leurs familles. Mais en même temps, nous devons nous opposer à toute instrumentalisation de l’attentat. Cette instrumentalisation s’observe actuellement chez ceux qui, en tant que responsables d’une politique de coupes budgétaires antisociale et antiétatique, portent également une bonne part de responsabilité dans un climat social agité et insécurisé. C’est aussi, et surtout, ce climat d’isolement et de peur de la relégation qui peut encourager les attaques de terroristes et de psychopathes de droite. Les incitations de membres de l’AfD doivent être combattues. Cependant, elles doivent (encore) être vues comme un symptôme plutôt que comme une cause. En comparaison avec ces outrances verbales de l’AfD, les bouleversements sociaux profonds et massifs que les personnels politiques et médiatiques néolibéraux ont provoqués au cours des dernières décennies doivent être considérés comme beaucoup plus dramatiques.
Lutte contre l’extrême-droite : des prêches moraux au lieu d’investissements
Dans le même temps, il faut reprocher au même personnel politique décisionnaire d’avoir banalisé et lambiné trop longtemps face à la menace terroriste de droite. En outre, la politique de réduction des effectifs a entraîné un affaiblissement de la police et de la justice. Ces graves manquements sur le plan sociopolitique et judiciaire sont maintenant apparemment couverts par une dose supplémentaire de morale, comme le montrent les citations des principaux politiciens énumérées ci-dessous. La lutte contre le racisme doit être menée à plusieurs niveaux : judiciaire, politique sociale – et seulement ensuite moral. Le volet de la politique sociale a été démantelé, le volet judiciaire aussi, par des coupes. Ce qui reste, pour beaucoup de politiciens, c’est le volet moral. Ça se comprend : Investir dans l’État-providence et la justice coûte cher – la morale, c’est gratuit. En outre, cela permet de reporter la responsabilité sur les citoyens, qui refuseraient de « sortir enfin de leur zone de confort » pour la lutte contre lextrême- droite.
Les politiciens ne peuvent pas empêcher toutes les psychoses et tous les loups solitaires – mais l’ambiance socialement agitée et insécurisante qui favorise de tels actes ne peut être attribuée par les politiciens qui ont exercé le pouvoir ces dernières décennies aux seuls « sites ouèbe correspondants ». Ils doivent assumer une grande partie de la responsabilité de cette situation – avec les rédacteurs en chef des grands médias, qui ont assuré la publicité pour un affaiblissement néolibéral de la communauté et de sa base (l’État).
Ce qui est efficace contre l’extrême-droite, c’est un État capable d’agir
Il faut opposer une résistance à l’AfD et à ses idées. Mais ici, aucun appel moral constamment répété n’est efficace. Une politique économique qui rétablit la capacité d’action de l’État et une politique sociale digne de ce nom seraient plus utiles dans ce domaine. En outre, le caractère néolibéral du programme de l’AfD doit être encore et toujours démasqué. Et la police et la justice doivent être dotées de ressources et de personnel pour pouvoir à nouveau remplir leur mission dans le cadre des poursuites pénales. Parmi les autres aspects importants, on peut citer les investissements dans les infrastructures et l’éducation ainsi que les réformes dans le domaine des salaires et des retraites.
Dans ce contexte, les récentes paroles ardentes du président fédéral Frank-Walter Steinmeier, de la chancelière Angela Merkel ou de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen sur le crime de Hanau doivent être qualifiées d’hypocrites.
« Le gouvernement fédéral (…) défend les droits et la dignité »
Après l’attentat, Steinmeier avait appelé à la cohésion sociale et au courage civil : “Nous sommes solidaires en tant que société, nous ne nous laisserons pas intimider, nous ne nous disperserons pas. (…) La société doit être unie contre la haine, le racisme et la violence”. Steinmeier a appelé les citoyens à “pratiquer la prise en considération et la solidarité”. C’est le “moyen le plus fort contre la haine”, a-t-il dit. “Opposons-nous à la privation de dignité des individus ou des minorités dans notre pays”. Et puis lui aussi a mis l’accent à tort sur les menées verbales (crtiquables, mais symptomatiques) :
“Surveillons notre langage en politique, dans les médias, partout dans la société”.
La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a saisi l’occasion pour promouvoir les (prétendues) valeurs fondamentales de la politique de l’UE. D’après elle, ce n’est pas la politique économiquement radicale de l’UE qui est source de fracture sociale, mais les symptômes “incitation à la haine et violence” :
“L’acte épouvantable de Hanau est fondamentalement contraire à toutes les valeurs fondamentales qui constituent l’UE et dont nous sommes fiers à juste titre. Nous nous opposons résolument à ceux qui cherchent à diviser nos sociétés par l’incitation à la haine et la violence”.
Et la chancelière Angela Merkel n’a vu non plus aucune raison de faire l’autocritique d’une politique de fracturation- au contraire :
« Le gouvernement fédéral et toutes les institutions de l’État défendent les droits et la dignité de chaque personne dans notre pays. (…) Nous ne distinguons pas les citoyens en fonction de leur origine ou de leur religion. Nous nous opposons à ceux qui tentent de diviser l’Allemagne de toute notre force et notre détermination ».
L’extrême-droite sert à détourner l’attention des vrais responsables
Ce ne sont là que trois exemples d’une pratique plus répandue : pointer du doigt “l’extrême-droite”, qui est d’abord un symptôme, vise à détourner l’attention de leur propre responsabilité dans les divisions sociétales. Il est également suggéré que la division la plus grave est entre “droite” et “gauche” – et non entre “en haut” et “en bas”. Dans les jours à venir, on entendra une pléthore d’appels moraux bon marché aux “citoyens” pour qu’ils se lèvent enfin. Combien de ces appels dénonceront la fracturation sociale ? Et l’hypocrisie des diviseurs ? Les syndicats et la “société civile” vont-ils continuer, aussi après Hanau, à peigner la girafe en se rabattant sur les clichés qui sonnent bien mais totalement creux à la «Unteilbar* » ?
NdT
*Unteilbar : « Indivisible », slogan d’une initiative antiraciste œcuménique qui a consisté en deux grands rassemblements, à Berlin en 2018 et Dresde en 2019, énième avatar allemand, éphémère et tardif, de SOS Racisme