General

RIC, TikTok, Flygskam… les mots de l’année 2019

Auteurs divers 09/01/2020
RIC, TikTok, Flygskam, taxe Gafa : ces mots ont envahi nos conversations cette année. Petite sélection subjective de dix d’entre eux.

Paramétrique

Emprunté à l’algèbre, le terme «paramétrique» témoigne à sa manière rébarbative de l’impossible équation des retraites que peine à résoudre le gouvernement Philippe. Il y a deux façons de changer la donne. Une logique «systémique», cela veut dire qu’on passe à un nouveau dispositif, en l’espèce au système par points : l’universalité de ce dernier est censée en finir avec le particularisme des régimes spéciaux et autres niches à exemptions. Une approche «paramétrique» est plus pragmatique : on ne touche pas à l’architecture existante mais, afin de s’éviter les déficits, on actionne différentes manettes, comme le recul de l’âge de départ, l’augmentation des cotisations ou la baisse des pensions versées.
Au départ, Macron voulait du «systémique» à points. Mais Philippe a pensé qu’il fallait injecter une dose de «paramétrique» pour éviter la dégradation des comptes que pourrait accentuer l’inversion démographique. Cette introduction de la notion d’âge pivot («paramétrique») a fait sortir de ses gonds la CFDT, qui en tenait pour la philosophie «à points». Et c’est pourquoi, depuis, ça bastonne entre les alliés d’hier. Et de demain ?

Éco-anxiété 

Dans nos sociétés devenues collapsophiles, c’est-à-dire adeptes de la fin du monde, parler de l’urgence climatique, c’est bien. Mais avoir peur soi-même, le vivre intensément dans son corps, c’est mieux. De plus en plus de gens se disent ainsi éco-anxieux. Ils sont victimes d’une sorte de «solastalgie», néologisme formé du mot latin sola, le «réconfort», et de la racine grecque algia, la «douleur». Cela désigne «l’état d’impuissance et de détresse profonde causé par le bouleversement d’un écosystème» comme l’a défini le professeur de développement durable australien Glenn Albrecht.
Il n’est ainsi pas rare de croiser des amis ou amies qui racontent en soirée qu’ils prennent du Lexomil parce qu’il fait 15 degrés en novembre à Paris. C’est bien plus accepté socialement, et même valorisé, puisque cela veut dire qu’on se soucie physiquement de l’état du monde. Les raisons habituelles pour lesquelles on ingurgitait des antidépresseurs, le couple qui bat de l’aile, le travail qui nous emmerde, la mort qui nous guette, paraissent du coup terriblement égoïstes. Les chrétiens doloristes souffraient à la place du Christ, désormais on souffre pour le bois de la croix, qui a contribué à détruire des forêts.
RIC 
RIC, acronyme de «référendum d’initiative citoyenne» : trois lettres signifiant la possibilité pour le peuple de soumettre n’importe quelle question à un référendum via une pétition et, éventuellement, un débat.
Soufflée aux gilets jaunes par un certain Etienne Chouard, l’introduction du RIC dans la Constitution française est très vite devenue la revendication emblématique du mouvement. Pas vraiment du goût de la start-up nation, qui y a vu une possibilité de menace sur les droits sociétaux chèrement acquis, comme le mariage pour tous, l’avortement, voire la peine de mort. C’est oublier que le RIC, s’il est précédé d’un processus délibératif de qualité, peut constituer une piste de réflexion intéressante pour pallier la crise démocratique.
Si ce référendum d’initiative citoyenne existe déjà dans 36 pays, avec quelques variantes, c’est le modèle suisse qui fait de l’effet. De l’autre côté du Jura, où les votations citoyennes sont particulièrement nombreuses, seules 50 000 signatures sont nécessaires pour s’opposer à une loi sans demander l’avis des députés, et le double est requis pour porter une initiative. De quoi faire rêver les gilets jaunes…
Flygskam
Cela pourrait être le nom d’un meuble en kit d’Ikea. Ça vient bien de Suède, mais rien à voir avec le géant du mobilier et de la déco. En suédois, flygskam signifie littéralement «la honte de prendre l’avion». Au pays de Greta Thunberg – les Suédois sont décidément à la pointe de l’éveil des consciences sur l’urgence climatique –, le mot s’est imposé pour qualifier cette culpabilité qui heurte désormais les convictions écolos des Scandinaves au moment de prendre l’avion pour aller respirer l’air frais de Göteborg le temps d’un week-end, quand le train, moins polluant, ferait l’affaire.
Plus qu’une question de dissonance cognitive avec soi-même, le flygskam est devenu un mouvement de boycott du transport par les airs afin de réduire les émissions de CO2. Et ça marche : en 2018, la Suède a instauré une taxe sur les avions, contribuant à une baisse du nombre de voyageurs sur les vols intérieurs.
Le mot «flygskam», qui a intégré le dictionnaire suédois, a connu cette année un succès hors de ses terres natales. A quand un équivalent pour les viandards tourmentés ?
A lire aussi dans notre rétrospective 2019 23 juillet : Greta Thunberg, la verte semonce de la jeunesse
Sardines
Andrea, Mattia, Giulia et Roberto. Au début, ils ne sont que quatre jeunes inconnus. Révoltés par la politique défendue par Matteo Salvini, faite selon eux de haine et d’exclusion ils décident de fonder un mouvement antifasciste italien, qui prendra forme le 14 novembre à Bologne la rouge.
Ce jour-là, la xénophobe et populiste Ligue de Matteo Salvini a prévu de tenir une convention dans cette ville au passé communiste et aux bâtiments couleur terre de Sienne. En réaction, une manifestation sans drapeaux, sans partis, sans les slogans habituels est organisée dans la capitale régionale d’Emilie-Romagne. Plus de 15 000 personnes répondent à l’appel des organisateurs pour dénoncer le discours «de haine et de division» de Salvini, ancien numéro 2 du gouvernement, et se retrouvent serrées comme des sardines sur la place Majeure : le nom de ce nouveau mouvement est tout trouvé.
Milan, Turin, Florence, Naples, Rome… En à peine plus d’un mois, des dizaines de milliers de manifestants sont descendus dans les rues d’Italie. «Les sardines, comme les petits poissons, sont fortes et peuvent devenir une énorme vague, un tsunami», commente un sympathisant sur Facebook.
Maman voilée 
Après le burkini, la «maman voilée», terme paternaliste s’il en est. 2019 n’a pas échappé à sa polémique sur le voile. Le 11 octobre, c’est une accompagnatrice scolaire qui est prise à partie par un élu du RN, lors d’une sortie d’école organisée au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté. Tollé dans l’assemblée, élèves estomaqués. La photo de la mère humiliée réconfortant son fils en pleurs tourne sur les réseaux sociaux. Le ministre de l’Education en rajoute : ce que le voile islamique «dit sur la condition féminine n’est pas conforme à nos valeurs». Les accompagnatrices voilées sont régulièrement ciblées. En septembre déjà, Laurent Bouvet, nommé au conseil des sages de la laïcité, avait détourné une affiche de la FCPE en remplaçant des mères voilées par des terroristes, kalach à la main. Autre niveau de violence : le 28 octobre, une mosquée est attaquée à Bayonne par un octogénaire. Deux musulmans sont grièvement blessés. Le 10 novembre, une marche contre l’islamophobie est organisée qui regroupe des militants, comme l’Unef ou le CCIF, et des personnalités, comme Mélenchon ou Martinez. Critiquée par des voix de droite et de gauche pour son utilisation du terme «islamophobie» comme pour certains de ses signataires, elle réunira 13 500 personnes à Paris.
Taxe Gafa 
La taxe Tobin sur les flux financiers n’a jamais pris son envol. La taxe Chirac, elle, grignote les billets d’avion pour payer des médicaments pour les pays en voie de développement. Voici venir la taxe Gafa. A mesure que les impôts nationaux périclitent, plombés par la dématérialisation de l’économie, les Etats tentent de rattraper par les bretelles les rois du numérique, qui sont à la fois des destructeurs d’emplois et des filous fiscaux de première bourre. C’est pourquoi la France s’est fendue en 2019 d’une taxe qui essaie gentiment de ponctionner les profits phénoménaux des tycoons du cyberespace. L’idée est de prélever 3% du chiffre d’affaires réalisé dans l’Hexagone par Google, Apple, Facebook, Amazon, Uber, Airbnb et compagnie. Sont espérés 400 millions d’euros quand, par exemple, Apple vient de déclarer 55 milliards de dollars de bénéfices annuels dans le monde. Malgré ce peu d’ambition, Trump a piqué sa colère et menacé de rétorsion le champagne ou le roquefort. Car il considère que les Gafa sont américains et que c’est à lui de les ponctionner.
Ok boomer
Voici la dernière mise à jour de l’indémodable «ta gueule, vieux con». D’ordinaire, ça châtaigne entre enfants et parents. Cette fois, c’est aux sexas que sont devenus les soixante-huitards ou approchant que s’en prennent les cousins de Greta Thunberg.
Tout cela serait parti d’une vidéo de TikTok où un papy à casquette et moustache faisait valoir que «les millennials et la génération Z souffrent du syndrome de Peter Pan et ne veulent pas grandir». Fatiguée de ces procès en inconsistance de la part d’une classe d’âge qui se serait gobergée et laisserait une planète en déshérence, une jeune fille balançait en retour un «OK boomer». Ce vocable pourrait se traduire gentiment par «cause toujours, tu m’intéresses».
Depuis, cette réplique fait recette et givre les relations entre les «flocons de neige» longtemps accommodants et leurs devanciers qui pensaient ne jamais faire leur âge. Histoire de moucher un opposant plus si fringant, une députée néo-zélandaise de 25 ans l’a reprise à son compte lors d’un débat sur le changement climatique. Et notre de moins en moins jeune collègue de bureau ne manque jamais de nous lancer un «OK boomer», dès qu’on ose lui faire une remarque. Aucun respect…
TikTok
Une choré sur un remix étrange de la chanson Tout oublier d’Angèle. Le coming out émouvant d’une ado lesbienne. Un sketch en «cosplay», ces costumes inspirés des mangas ou jeux vidéo. Voici, au choix, ce que vous pourriez voir sur TikTok. Lancée en 2017, cette application mobile chinoise permet à ses utilisateurs d’enregistrer, de monter et de publier des petites séquences vidéo avec effets spéciaux. Carton chez les jeunes : le service, dont le modèle économique repose sur la pub ciblée, a passé le cap du 1,5 milliard de téléchargements ! En 2019, c’était la troisième application mobile la plus téléchargée au monde. Elle compterait déjà 4 millions de fidèles en France. Mais TikTok reste terra incognita pour les adultes : c’est d’ailleurs sur ce réseau qu’est né le mème «OK boomer»… Mais derrière son côté fun, l’appli commence à en inquiéter certains. ByteDance, la société qui l’a créée, est spécialisée dans l’intelligence artificielle et collecte les données de ses utilisateurs pour nourrir ses algorithmes. Après Huawei, TikTok est dans le collimateur des autorités américaines, qui ont ouvert une enquête pour vérifier si l’entreprise chinoise ne menaçait pas la sécurité nationale.
Transphobie
En mars, l’agression très médiatisée d’une jeune femme transgenre courageuse, Julia Boyer, place de la République à Paris, lui a donné un visage. La transphobie, soit toutes les formes d’hostilité, de haine ou de discrimination envers les personnes trans, est pourtant bien enracinée dans notre société.
Pénalement réprimée depuis peu en France, l’expression de cette violence va parfois jusqu’au meurtre, comme le rappellent les 331 vies trans qui ont été enlevées en 2019 dans le monde (notamment des femmes noires ou latinos et travailleuses du sexe). Mais elle est aussi, dans la majorité des cas, le fait d’humiliations verbales, au quotidien, et institutionnelles (se voir refuser un emploi parce qu’on est trans ; devoir passer devant un juge pour obtenir le changement légal de son genre).
Le mot, inspiré de la notion d’homophobie, est apparu la fin des années 90 aux Etats-Unis, dans le monde activiste ; et, comme tout bon néologisme, il est sûrement imparfait pour désigner les mécanismes derrière ce rejet. Il est en tout cas assez popularisé aujourd’hui pour rentrer dans le Petit Robert en 2020.