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La «mal baisée» Leçons de l’affaire Matzneff

Denise Bombardier 08/01/2020
Ceux qui croient que je me réjouis du tsunami qui s’abat sur la France à la suite de la dénonciation du pédophile Gabriel Matzneff par Vanessa Springora font erreur. Celle qui a été flétrie par lui entre 13 ans et demi et 15 ans décrit son calvaire dans un ouvrage, Le consentement, paru jeudi en France. 

Depuis que j’ai interpellé cet homme, tant louangé par les élites parisiennes, sur le plateau de Bernard Pivot en 1990, je me suis toujours sentie seule. 
D’autant que je fus moi-même condamnée au Québec en Cour supérieure, puis en Cour d’appel dans les années 90 pour avoir dénoncé les propos d’un psychologue ayant publiquement fait l’éloge de la pédophilie. 
Par ailleurs, j’ai toujours subi les insultes des pédophiles et de leurs défenseurs sans broncher. Je suis même devenue la « mal baisée » pour mes contradicteurs. Notons bien qu’aucun homme qui les affronte ne se fait qualifier de « pas de couilles ». Au pire, on l’accusera d’être un moralisateur.
Courage 
Ma dénonciation du triste sire Matzneff date de 30 ans. Dans son livre, Vanessa Springora écrit que c’est ma parole, immédiatement décriée à l’époque par un certain milieu littéraire faisandé à Paris, qui lui a donné la force et le courage de se dévoiler. Mais elle a vécu 30 ans remplie d’angoisses, de dépression et de blessures à vif avant de pouvoir libérer sa propre parole. 
Mon expérience en France et au Québec m’a confirmée dans mon jugement sur les êtres humains et leur sexualité. À vrai dire, l’on ne sait jamais à qui on parle. Car les prédateurs d’enfants sont plus nombreux qu’on ne le croit. 
Je témoigne ici pour tous ces enfants victimes à qui on a volé leur enfance en s’emparant de leur corps et de leur esprit au nom du droit au désir. Le désir du pédophile est non seulement criminel, mais morbide. Les pédophiles sont donc des « tueurs » d’enfants et d’adolescents. 
Haine 
Jamais dans mon métier je n’ai vécu une telle promiscuité de haine que dans le milieu des pédophiles. Car je me suis interposée symboliquement entre eux et l’enfant. 
Je serai toujours la « mal baisée » chaque fois que je m’indignerai. Mais j’ai l’indignation sélective et je n’ignore rien de la faiblesse humaine. Je sais cependant que la vraie force se nourrit de sensibilités, de doutes et de quelques valeurs qui inspirent une vie. 
J’ai gardé de ma culture religieuse le sens du sacré et la conviction que le mal existe. Je ne crois pas que tous les comportements humains sont excusables. Je suis sceptique quant à l’idée que tout se pardonne. Je continuerai de protéger les enfants avec mes seules armes : des mots. Vu ce qui secoue aujourd’hui la France, ces mots prouvent que ma patience ne fut pas vaine. Et qu’elle ne le sera pas un jour au Québec. Qui sait ?