L’auteur commente ici le nom choisi par le groupement de militaires et de civils de droite qui, en Uruguay, a pris le nom de Mouvement social artiguiste -en référence au héros national de l’indépendance, José Artigas (17564-1850) – pour soutenir la candidature à l’élection présidentielle de l’ancien commandant en chef de l’armée, le général Manini Ríos, qui a obtenu 11% des voix au premier tour et a contribué de manière décisive à la victoire au deuxième tour du candidat de la droite « multicolore » Lacalle Pou. Ces usurpateurs du qualificatif artiguiste auront leur mot à dire dans la politique du nouveau président. Leur modèle, loin d’être Artigas,est plutôt un autre militaire, le capitaine (ER) Bolsonaro.-NdT

Les dictatures militaires d’Amérique latine se présentaient autrefois avec des slogans comme Patrie, Honneur, Liberté et Démocratie.

En Uruguay, au collège, nous avions même une matière au titre et au contenu triplement paradoxaux : « Éducation morale et civique ». La dictature militaire y érigea des monuments à la mémoire du général José Artigas. Comme l’une des professions d’Artigas fut celle de militaire et que les peuples lui donnèrent le titre de “général”, les militaires et les généraux du 20ème siècle se sentirent identifiés au titre de libérateur et voulaient qu’on l’identifie avec eux.

Ils avaient négligé certains détails, comme son action et sa pensée. Lorsqu’en 1811 Artigas vainquit les Espagnols dans la bataille de Las Piedras, il ordonna à ses soldats la « clémence pour les vaincus ». Au 20ème siècle, ses prétendus disciples traduisirent “clémence” par “torture”, “disparition” et “les vaincus” étaient tous ces désarmés qui ne pensaient pas comme eux et qui osaient le dire. Ils ne sont pas allés en guerre contre d’autres armées d’autres pays, mais leurs officiers faisaient le tour des prisons et des salles de torture lorsque leurs “vaincus” avaient les mains liées et se faisaient massacrer physiquement et moralement selon les techniques de torture les plus sophistiquées, et c’’était ça qu’on appelait “guerre”. Abandonner le pays à des intérêts étrangers qui avaient financé d’autres coups d’État sur le continent se traduisait par « défendre la patrie de l’influence étrangère ».

Or, alors que dans de nombreux pays du Sud on pensait que les démocraties avaient été restaurées, les militaristes refont surface depuis les casernes ou (dans le cas de l’Uruguay) brandissent à nouveau le nom du général Artigas comme si c’était un nerf de bœuf.

Mais à tous ces militaristes qui se disent “artiguistes” et se consacrent à menacer et à battre les peuples avec le pouvoir et les armes payées par ceux-ci, je veux rappeler un fondement des Instructions de 1813 du Général Artigas, un militaire antimilitariste et fondateur moral de ce qui resta de son projet fédéral, la province de l’Uruguay : « Le despotisme militaire sera précisément anéanti par les obstacles constitutionnels qui assurent la souveraineté inviolable des peuples ».

Ce n’est certainement pas par hasard que le général Artigas s’est exilé au cours de ses trente dernières années dans “un pays étranger” (aujourd’hui il n’aurait pas pu voter aux élections de son pays) et ce n’est pas par hasard qu’il a refusé de retourner en Uruguay quand les héros tueurs d’Indiens régnaient, maintenant multipliés dans leurs statues de bronze et dans la fureur de ceux qui disent suivre leurs véritables valeurs, toujours disposés à bastonner ceux d’en bas ou leurs représentants.

Comme nous le voyons tous les jours dans tant de pays de la région, comme nous le voyons chaque fois que nous jetons un coup d’œil sur l’histoire : messieurs en uniforme d’impunité, vous êtes toujours si durs avec ceux d’en bas et si doux avec ceux d’en haut.