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Le massacre de la famille Asoarka à Gaza : personne en Israël n’était au courant, et tout le monde s’en foutait

Gideon Levy 18/11/2019
Le pilote qui a largué la bombe n’était pas au courant. Ses commandants qui lui ont donné les ordres ne savaient pas non plus. Le ministre de la Défense et le commandant en chef ne savaient pas. Pas plus que le commandant de l’armée de l’air. Les officiers de renseignement qui ont désigné la cible ne savaient pas. Le porte-parole de l’armée qui a menti sans scrupules ne savait pas non plus.

Tradotto da Sayed Hasan
Editato da Fausto Giudice
Aucun de nos héros n’était au courant. Ceux qui savent toujours tout, soudainement, ne savaient rien. Ceux qui sont capables de localiser le fils d’un homme recherché dans une banlieue de Damas ne savaient pas qu’une famille pauvre dormait dans son taudis misérable à Deir al-Balah, au sud de Gaza.
Ceux qui servent dans « l’armée la plus morale du monde » et « les services de renseignement les plus avancés du monde » ne savaient pas que ce taudis précaire en tôle avait depuis longtemps cessé de faire partie de la prétendue « infrastructure du Jihad Islamique », si jamais il a appartenu au groupe armé. Ils ne savaient pas et ne se sont pas donnés la peine de vérifier. Après tout, qu’est-ce qui pouvait arriver, au pire ?
Le journaliste Yaniv Kubovich a révélé la vérité choquante vendredi sur le site Internet de Haaretz : la cible n’avait pas été réexaminée depuis au moins un an avant la frappe ; l’individu qui était censé être ciblé n’avait jamais existé ; et les renseignements étaient basés sur de simples rumeurs. La bombe a quand même été larguée. Résultat : huit corps dans des linceuls colorés, dont certains horriblement minuscules, tous alignés ; les membres d’une même famille élargie, les Asoarka, dont cinq enfants, deux nourrissons inclus.
S’ils avaient été citoyens israéliens, l’État aurait déplacé ciel et terre pour venger le sang de ses enfants, dont les noms et les visages innocents auraient immédiatement acquis une notoriété internationale, et le monde entier aurait été bouleversé par la cruauté de la terreur palestinienne. Mais Moad Mohamed Asoarka n’était qu’un garçon palestinien de 7 ans qui a vécu et est mort dans une baraque en tôle, n’ayant ni présent ni avenir, et dont la vie était aussi dénuée de valeur et aussi courte que celle d’un papillon ; son assassin était un pilote révéré pour son héroïsme.
C’était un véritable massacre. Mais personne ne sera puni pour ça. « La banque d’objectifs n’a pas été mise à jour », ont déclaré des responsables de l’armée. (Après que l’enquête de Yaniv Kubovich a été publiée, le porte-parole de l’armée israélienne a publié une autre déclaration : « Le bâtiment a été confirmé comme cible plusieurs jours avant l’attaque. ») Mais ce massacre était pire que l’assassinat ciblé de Salah Shehada, et il a été accueilli par une indifférence encore plus écœurante en Israël.
Le 22 juillet 2002, un pilote de l’armée de l’air israélienne avait largué une bombe d’une tonne sur un quartier résidentiel, tuant 16 personnes, dont un homme vraiment recherché par Israël. Jeudi 14 novembre 2019, avant l’aube, un pilote a largué une bombe beaucoup plus intelligente, une JDAM, sur une cabane en tôle dans laquelle aucun homme recherché ne se cachait.
Il s’est avéré que même l’homme prétendument recherché, et nommé par un porte-parole de l’armée, était un simple produit de son imagination. Il n’y avait que des femmes, des enfants et des innocents endormis dans l’angoisse de la nuit à Gaza. Dans les deux cas, les forces armées israéliennes ont utilisé le même mensonge : nous pensions que le bâtiment était vide. « L’armée israélienne tente toujours de comprendre ce que la famille faisait sur le site », a réagi Tsahal avec l’insolence et la froideur laconique qui la caractérisent, suggérant que la famille était en faute. En effet, que faisaient-ils là, Wasim, 13 ans ; Mohand, 12 ans ; et les deux bébés dont les noms n’ont pas été rendus publics ?
En 2002, au lendemain du meurtre de Shehada et de 15 de ses voisins, et après que l’armée israélienne eut continué à affirmer que leurs maisons étaient des « cabanes inoccupées », je me suis rendu sur le site de l’attaque, le quartier de Daraj, à Gaza-ville. Il ne s’agissait pas de « cabanes », mais d’immeubles résidentiels, hauts de plusieurs étages, tous densément peuplés, comme tous les logements de Gaza. Mohammed Matar, qui travaillait en Israël depuis 30 ans, était prostré par terre, les bras et les yeux bandés, au milieu des ruines, à côté de l’énorme cratère creusé par l’explosion. Sa fille, sa belle-fille et quatre de ses petits-enfants sont morts dans l’explosion ; trois de ses enfants ont été blessés. « Pourquoi nous ont-ils fait ça ? » m’a-t-il demandé, sous le choc. À l’époque, 27 des pilotes les plus courageux de l’armée de l’air israélienne ont signé la lettre dite des pilotes, refusant de prendre part aux opérations en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Cette fois-ci, pas un seul pilote n’a refusé de participer aux frappes, et il est douteux que ce soit le cas à l’avenir.
« Des êtres humains. Ce sont des êtres humains. Il y a eu une bataille ici, la bataille des infirmières et des médecins contre la mort », écrit le Dr. Mads Gilbert, courageux médecin norvégien, qui se précipite au secours des habitants de la bande de Gaza chaque fois qu’elle est bombardée, soignant les blessés avec un dévouement infini. Gilbert a joint une photo du bloc opératoire de l’hôpital Shifa de la ville de Gaza : du sang sur la table, du sang sur le sol, de la literie trempée de sang partout. Jeudi, le sang de la famille Asoarka a été ajouté à celui de tous les autres, avec leurs cris de douleur en direction d’oreilles qui ne veulent pas écouter.