Qui a peur de William Barr ?
Stephen F. Cohen 06/10/2019 |
Les Libéraux US et autres Démocrates semblent vouloir couvrir le rôle de la CIA dans le Russiagate.
Tradotto da Les Crises
William Barr, deux fois ministre de la Justice et ancien membre de la CIA dans les années 1970, pourrait passer pour l’initié par excellence des choses de Washington. Selon sa biographie Wikipedia, il a – ou a eu – une excellente réputation, aussi bien auprès des Républicains que des Démocrates. Cela a changé quand Barr a annoncé qu’il menait une enquête sur les origines du Russiagate, un sujet vital que j’ai, moi aussi, exploré.
Comme l’explique Barr : « Voici ce que nous observons : quel était le postulat pour mener une enquête de contre-espionnage sur la campagne de Trump… Comment a commencé le récit bidon selon lequel Trump était de mèche avec la Russie pour s’immiscer dans les élections américaines? ». Plus encore, Barr, qui est habilité à déclassifier des documents hautement sensibles, a mis les choses au clair : son attention ne se porte pas prioritairement sur le malheureux FBI dirigé par James Comey mais sur la CIA de John Brennan. A l’évidence c’en était trop pour l’éminent sénateur démocrate Charles Schumer, qui s’en est pris à Barr pour avoir « tout simplement détruit… le peu de crédibilité qui lui restait ». Peu connu pour son sens de l’ironie, Schumer a accusé Barr d’utiliser « les mots des conspirationnistes », comme si le Russiagate n’était pas lui-même la théorie du complot la plus pernicieuse et la plus lourde de conséquences de l’histoire politique américaine.
Les réactions du New York Times et du Washington Post, deux des plus importants journaux politiques, globalement libéraux et pro-Démocrates, à l’enquête de Barr sont plus révélatrices encore. S’appuyant largement sur l’opinion « experte » d’anciens officiers du renseignement et de membres du Congrès à tendance maccarthyste comme Adam Schiff, les deux journaux se sont placés dans le registre de l’indignation. Le Times s’est plaint de « la montée en flèche des attaques menées depuis des années [parTrump] contre la communauté du renseignement », tout en rejetant « les affirmations sans fondement du président selon lesquelles sa campagne a été surveillée », même si certaines formes d’infiltration et de surveillance de la campagne Trump de 2016 par le FBI et la CIA sont désormais bien connues.(voir, par exemple, le reportage de Lee Smith.)
Indifférents aux activités des deux agences, les journaux préviennent de façon inquiétante que l’enquête de Barr « dépouille véritablement [la CIA] de son pouvoir le plus essentiel : la possibilité de choisir les secrets qu’elle dévoile et ceux qu’elle tait ». Cela « pourrait être extrêmement préjudiciable à la CIA et aux autres agences de renseignement ». Sans surprise, au vu de son rôle depuis trois ans dans la diffusion des allégations du Russiagate, le Times a préempté l’enquête de Barr en déclarant que les agissements secrets des agences de renseignement américaines participaient « d’une enquête légitime visant à comprendre les efforts d’une puissance étrangère pour manipuler une élection américaine ». Compte tenu des informations désormais à notre disposition, cette généralité semble viser à justifier tant la couverture de l’affaire par le Times que le comportement des agences (dans le Post, voir les articles de Toluse Olorunnipa et Shane Harris.)
Hillary Clinton, une fois encore sans surprise, est du même avis. Comme l’a paraphrasée Matt Stevens dans le Times du 3 mai, elle a accusé Barr de détourner l’attention « du vrai sujet. Le vrai sujet, c’est l’ingérence russe dans notre élection ». Selon la candidate démocrate battue, « les Russes ont réussi à semer “la discorde et la division” dans le pays, et à aider M. Trump ». Mais qui a réellement semé le plus « de discorde et de division » en Amérique : les Russes ou Mme Clinton et ses sympathisants, en continuant de refuser d’accepter la légitimité de leur échec électoral et la victoire de Trump ?
Hélas, mais de façon prévisible, l’enquête de Barr est devenue clivante, avec d’un côté Fox News, par exemple, faisant ses gros titres de chaque infecte révélation sur le Russiagate, et de l’autre, le Times et le Post qui les ignorent pour la plupart. En particulier, le Parti démocrate, traditionnellement sceptique vis-à-vis des agences de renseignement, est en train de devenir le parti du culte du renseignement et donc de la nouvelle Guerre froide Etats-Unis-Russie. Seuls quelques responsables du parti, notamment la candidate à l’élection présidentielle Tulsi Gabbard,refusent de s’engager dans cette dangereuse folie. (La réticence des Démocrates pourrait-elle aussi être due au fait que les chefs du renseignement qui font aujourd’hui l’objet d’une enquête ont été nommés par l’ancien président Obama, qui s’est montré remarquablement discret au sujet de la saga du Russiagate ? Comme je l’ai déjà demandé, que savait Obama, quand l’a-til su et qu’a-t-il fait ?)