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Le FMI et la protestation sociale

Reinaldo Spitaletta 18/10/2019
Ils nous font des prescriptions pour le prétendu développement, pour la productivité, pour la croissance du produit intérieur brut, pour l’avancement de la quatrième révolution industrielle, pour tout. Sauf pour l’équité et la justice sociale.

Tradotto da Fausto Giudice
Ils nous disent comment doit fonctionner le marché intérieur, comment devraient être les salaires, comment faire pour que les pauvres, qui sont si nombreux, ne se soulèvent pas mais, au contraire, acceptent la “servitude volontaire”, sans répulsion, seulement comme sujets qui peuvent consommer quelque chose, qui sont hors des causes de leur misère, sans penser, sans contester.
Ils nous disent à quoi devrait ressembler le système de retraites et, petit à petit, augmentent l’âge de la retraite et réduisent les allocations mensuelles. Ils nous donnent des formules magiques pour que nous puissions vivre mieux, avec des salaires ridicules, avec un chômage en hausse, avec des licenciements arbitraires… Et d’autres fois, comme ce fut le cas avec la dernière directrice générale du Fonds monétaire international, Christine Lagarde, comment faire vivre les gens moins longtemps, car le monde est plein de personnes âgées qui mettent l’économie mondiale en danger. Vous vous le rappelez ?
Sous nos latitudes, où il y a eu des lois antipopulaires comme s’il en pleuvait, où nous avons accueilli sans broncher tout ce que les organisations internationales nous prescrivent (ou nous imposent), ils sont déjà en train de claironner que les jeunes, ceux de moins de 25 ans, pour pouvoir entrer plus tôt sur le marché du travail, doivent être payés moins, en dessous du salaire minimum. Et il ne manque pas d’illustres politicards pour avancer que l’âge de la retraite devrait être porté à soixante-dix ou quatre-vingts ans, parce que l’espérance de vie a augmenté. Oh, et laissons le secteur privé s’occuper des fonds de pension.
Ou, en d’autres termes, ils l’ont pris le problème par les deux bouts. Mme Lagarde avait proposé une sorte de “solution finale” contre les personnes âgées, qui rappelait à l’époque, par exemple, le roman de Bioy Casares, Journal de la guerre du cochon, ou encore Orange mécanique d’Anthony Burgess. Ou, pour le dire crûment, il faut exterminer les croulants, les vioques. Les faire passer à une vie meilleure dans un autre monde. Non seulement parce qu’ils gênent, mais parce qu’ils coûtent du fric.
Que proposait le FMI à cet égard ? Rien de moins et rien de plus que la réduction des pensions, l’augmentation des cotisations et la possibilité pour « les États de conclure des contrats avec des assureurs privés pour couvrir le risque que les gens vivent plus longtemps que prévu ». Norberto Bobbio était déjà mort à ce moment-là, et il aurait sûrement émis une protestation auprès de Doña Lagarde, comme celle qu’il avait mise en circulation, quand le philosophe italien avait 80 ans : aujourd’hui les vieux vivent une « vieillesse offensée, abandonnée, marginalisée par une société plus intéressée par l’innovation et la consommation que par la mémoire ».
Eh bien, maintenant les vieux ne sont plus les seuls à être harcelés. Il en va de même pour les jeunes, avec des propositions comme celles de l’Anif (Association nationale des institutions financières) et de la Fenalco (Fédération nationale des commerçants), qui sont peut-être très en phase avec les diktats du FMI et d’autres organismes similaires, et avec les intérêts des entreprises transnationales. La main-d’œuvre doit être rendue moins chère. Et moins celle-ci aura de droits, mieux ce sera.
Et comme le FMI continue d’intervenir en Amérique latine, il n’est pas inutile de pointer l’Équateur. Les récents événements dans ce pays, où le soulèvement indigène et d’autres secteurs de la population ont mis en déroute les mesures adoptées par le gouvernement de Lenin Moreno conformément aux prescriptions du Fonds, sont un exemple de dignité et de souveraineté de la part des Équatoriens. La violente répression officielle, qui a fait des morts et des blessés, n’a pas pu faire échouer les demandes de justice et la demande populaire d’abroger le décret 883, le “Paquetazo” (pacson).
La dirigeante autochtone Ana María Huacho a déclaré : Nous devons tous nous lever. On ne se fatigue pas. Nous sommes sur toutes les routes. Nous sommes debout pour nos droits. La presse ne fait que sortir ce que dit le gouvernement… C’est une presse corrompue. Nous lui demandons de publier ce que nous disons, elle ne parle pas des morts et des arrestations ». En douze jours de protestations, les peuples autochtones de l’Équateur ont bouleversé les intentions despotiques du gouvernement et du FMI.
Une fois de plus, les Équatoriens ont démontré que l’heure n’est plus à la servitude, à la discrimination, à l’humiliation ou à l’exploitation, comme le disait un jour l’économiste Manfred Max-Neef. Ce n’est pas le moment de la prostration ou du silence complice.
On nous enjoint d’accepter le fouet comme une fatalité devant laquelle se résigner. Comme le disait l’abolitionniste Frédéric Douglass : « Pour qu’un esclave soit heureux, il faut qu’il ne pense pas. Il est nécessaire d’obscurcir sa vision morale et mentale et, dans la mesure du possible, d’annihiler le pouvoir de la raison ». Il y a des peuples qui ne se laissent pas annihiler.