General

La condamnation de Hajar Raissouni, Rifaât Al Amine et Mohamed Jamal Belkeziz : une déclaration de guerre à la société marocaine

Fausto Giudice 30/09/2019
Dès qu’il s’agit du Maroc, toute information est à prendre avec des pincettes, tant la machine tentaculaire de propagande et de désinformation du Makhzen infiltre tous les médias, et pas seulement marocains.

Pourquoi donc exactement la journaliste Hajar Raissouni, son « fiancé » et son gynécologue, ont-ils été condamnés à respectivement un an et deux ans de prison ferme ? Seulement pour « avortement illégal » ou aussi pour « débauche » (relations sexuelles hors mariage) ? Ou bien n’a-t-elle été condamnée que pour le délit d’avortement, puisque, de fait, elle avait contracté avec Rifaât Al Amine un mariage coutumier en cours de validation ?
C’est le gynécologue qui écope de la peine la plus lourde : le Dr Mohamed Jamal Belkeziz, 68 ans, a été condamné à deux ans de prison ferme, suivis de deux ans d’interdiction d’exercer. À sa sortie de prison à 70 ans, il ne lui restera plus qu’à prendre une retraite méritée et se promener en arborant son Wissam Al-Moukafa Al-watania (ordre du mérite national), épinglé sur sa poitrine par le roi en 2015.
Les 365 jours de prison de Hajar Raissouni sont un message tonitruant et provocateur adressé à l’ensemble de la société marocaine, à commencer par les femmes, dont 11 à 12 millions sont en âge de procréer, et dont environ 250 000 avortent chaque année. Mais c’est aussi un avertissement adressé à tous les empêcheurs de makhzéner en rond, tous les dissidents, qu’ils soient laïcs de gauche, berbères rouges ou barbus, musulmans ne reconnaissant pas le roi comme commandeur des croyants, journalistes refusant d’écouter la Voix de son maître, supporters de foot insultant le drapeau national, défenseurs acharnés des droits humains, dont le premier est celui de disposer de son corps. Bref, la condamnation du 30 septembre est une déclaration de guerre à la société réelle, au Maroc d’en bas. Celle-ci ne va pas s’écraser.
Les 490 signataires de l’appel « Nous, citoyennes et citoyens marocains, déclarons que nous sommes hors-la-loi » sont devenu·es entretemps plus de 8 000. Les réactions de condamnation de la sentence inique embrassent tout le spectre de la société politico-sociale marocaine, depuis les modernistes partisans des Lumières de Damir et la gauche laïque jusqu’aux islamistes d’Adl oual Ihsane (Justice et Bienfaisance) et aux dissidents du PJD, le parti islamique du Makhzen. En fin de compte, le seul à observer un silence prudent est ce machin appelé Conseil national des droits de l’Homme (CNDH), dont le président pendant 7 ans, Driss El Yazami, a cédé en décembre dernier la place à Amina Bouâyach, auteure, en juillet dernier, d’ une déclaration historique : “il n’y a pas de détenu politique au Maroc”. Mais bon, il n’y a là rien d’étonnant : le CNDH n’est qu’un théâtre de marionnettes du Makhzen.
La famille Raissouni elle-même est à l’image de cette pluralité de l’autre Maroc, ses oncles étant aussi divers l’un de l’autre que le jour et la nuit, mais d’accord sur un point : les libertés individuelles, des femmes comme des hommes, ne peuvent pas continuer à être piétinées comme elles le sont et le Makhzen ne peut continuer à traiter les Marocains comme de vulgaires Sahraouis.
L’affaire Hajar Raissouni est une occasion en or à saisir par tous ceux et toutes celles qui rêvent d’un autre Maroc, de justice, de liberté, de démocratie, « ceux qui croient en Dieu et ceux qui n’y croient pas », pour s’unir autour d’une plateforme simple et irréductible : la reconnaissance des droits égaux pour tous les sujets, afin que ceux-ci deviennent enfin des citoyens.
Dans ce combat, la société marocaine aura besoin de notre aide et soutien. Il semble inutile de compter sur les stars internationales pour le faire : je n’ai pas entendu Elisabeth Badinter, je n’ai pas entendu Hillary Clinton, je n’ai pas entendu Irina Shevchenko, je n’ai pas entendu Caroline Fourest, proférer une seule phrase sur cette scandaleuse condamnation. Et c’est tant mieux : cela laisse l’espace libre pour les Marocaines et Marocains et toutes celles et tous ceux qui s’identifient à leur combat. Comme l’a dit Mahi Binebine, “Je pensais qu’on allait écouter un peu la rue, qu’on allait écouter les gens qui crient. Mais finalement, rien à faire. On reste une société rétrograde. Il faut se battre. Il faut compter sur une bienveillance royale, une grâce royale. On ne peut pas laisser cette gamine jetée en pâture dans une geôle. Il y en a marre. Je suis atterré. C’est fatigant !” (TelQuel, 30/9/2019).