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Équateur, fin de cycle et instabilité systémique

Raúl Zibechi 17/10/2019
Le président de l’Équateur, Lenín Moreno, a annoncé lundi 14 octobre, l’abrogation du décret controversé 883, éliminait les subventions historiques aux carburants, après avoir conclu un accord avec le mouvement indigène pour mettre fin à la vague de protestations contre les mesures d’austérité qui ont mis le gouvernement dans les cordes.

Tradotto da Fausto Giudice
Selon le dernier rapport du Bureau du Défenseur du peuple équatorien, huit personnes ont trouvé la mort dans ces manifestations, 1 192 ont été arrêtées et 1 340 ont été blessées. Cet article a été publié le 11 octobre, avant l’annonce.-Tlaxcala
Les événements survenus en Équateur témoignent d’une profonde instabilité qui va bien au-delà de la conjoncture actuelle et touche l’ensemble de la région. Le gouvernement de Lenin Moreno a décidé d’imposer un ensemble de mesures conseillées par le FMI qui entraîne la fin des subventions au carburant, avec une augmentation de 123 pour cent du prix du gallon de diesel et de 30 pour cent du prix de l’essence, accompagnées par des réformes de la législation du travail et de la fiscalité pour augmenter les recettes de l’État.
Initialement, la mobilisation était le fait du syndicat des transporteurs, mais bientôt les plus grands mouvements du pays se sont ajoutés, en grande partie pour manifester leur rejet du décret imposant l’état d’exception, la suspension des garanties démocratiques et la militarisation de l’Equateur.
La Confédération des nationalités autochtones de l’Équateur (Conaie), la centrale Front unitaire des travailleurs, les syndicats d’enseignants et la fédération des étudiants universitaires ont organisé des mobilisations dans tout le pays, en particulier dans les hautes terres (avec 300 barrages routiers), où les peuples autochtones sont plus présents, et à Quito, épicentre des conflits sociaux.
Des dizaines de groupes de femmes, féministes, lesbiennes, noires, écologistes et transgenres ont émis un communiqué intitulé Mujeres contra el Paquetazo (Femmes contre le pacson), dans lequel elles dénoncent la situation de centaines de personnes arrêtées et blessées, parmi le coordinateur de Pachakutik [parti socialiste indigéniste, NdT], Marlon Santi, et des dirigeants du secteur des jeunes de la Conaie.
La protestation équatorienne n’est pas seulement une réaction à la hausse du prix du carburant. C’est une réaction à la malgouvernance de Moreno qui s’est appuyé sur les grands groupes entrepreneuriaux, financiers et médiatiques, et c’est la continuation de la résistance au régime autoritaire de Rafael Correa (2007-2017).
En effet, beaucoup se souviennent du cycle de protestations de juin à décembre 2015 contre les mesures gouvernementales visant à atténuer la chute des prix du pétrole, qui représentent plus de 40 pour cent des exportations. À l’époque, les niveaux de répression étaient très similaires aux niveaux actuels, bien que Correa n’ait pas décrété l’état d’exception dans tout le pays.
Pour évaluer la crise équatorienne, en tant que crise de gouvernabilité, il faut remonter six ans en arrière. En 2013, nous avons parlé de la ” fin du consensus luliste “, conséquence de la vague de mobilisations dite de ” juin 2013 “, qui a marqué le déclin du gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva et le début de la fin du cycle progressiste dans la région.
Deux ans plus tard, avec la défaite électorale des kirchnéristes en Argentine, il était évident que la fin du progressisme s’accélérait, guidé par ” une nouvelle phase des mouvements qui se développent, se consolident et modifient leurs propres réalités ” (https://bit.ly/2XCMzbB). L’une des principales caractéristiques de la nouvelle période conservatrice, ou de droite, est l’évaporation de la gouvernabilité et l’entrée dans une période d’instabilité systémique.
Pour rappel, je voudrais souligner quelques caractéristiques de l’époque où nous vivons en Amérique latine, et qui émergent aujourd’hui de manière transparente en Équateur.
La première est le protagonisme des mouvements, c’est-à-dire des gens du commun organisés et mobilisés. C’est l’aspect central. Si la fin du cycle progressiste a été annoncée par les gigantesques mobilisations de “juin 2013” dans plus de 350 villes du Brésil pendant un mois, le déclin de la nouvelle droite est annoncé par les mobilisations autour du Congrès de Buenos Aires, contre la réforme des pensions, en décembre 2017 sous le gouvernement de Mauricio Macri.
Après une bataille de rue spectaculaire au cours de laquelle près de 200 personnes ont été blessées par la police en quelques heures, le 19 décembre, les médias ont indiqué : « L’Argentine démontre une fois de plus qu’elle est le pays d’Amérique latine où il est le plus difficile de mettre en oeuvre des réformes impopulaires » (https://bit.ly/2CC2XOZ). Ce n’est pas un hasard si, quelques mois plus tard, l’escalade du dollar qui a enterré le gouvernement macriste a commencé.
La seconde est que la fin de la gouvernabilité, typique des premières années de progressisme, est de nature structurelle et a peu de relations avec les gouvernements. Le cycle progressiste était fondé sur les prix élevés des matières premières, avec d’importants excédents commerciaux qui lubrifiaient les politiques sociales. Améliorer le revenu des plus pauvres sans toucher à la richesse : ce fut là le miracle progressiste.
Ce consensus a pris fin avec la crise de 2008 et la guerre commerciale entre les USA et la Chine ne fait qu’aggraver l’instabilité. Il n’est pas possible de continuer à améliorer la situation des secteurs populaires sans toucher aux richesses et les gouvernements qui se prétendent progressistes ne feront qu’approfondir l’extractivisme et la dépossession des peuples : Andrés Manuel López Obrador et le possible gouvernement d’Alberto Fernández en Argentine font partie de cette réalité.
Les perspectives pour les années à venir seront une succession de gouvernements progressistes et conservateurs, dans un contexte de vastes mobilisations populaires. C’est la fin de la stabilité, de quelque couleur qu’elle soit.