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L’internationalisme est-il du terrorisme?

Ángeles Maestro Martín 07/09/2019
Récemment, l’Audience nationale espagnole nous a inculpées, deux camarades et moi, du crime de financement du terrorisme.

Tradotto da  Red Roja Red Network Rede Vermelha

Les événements se sont déroulés en 2014 et 2015 lorsque, à l’occasion d’invasions brutales de Gaza par l’armée israélienne, avec de terribles conséquences de mort et de destruction, l’organisation politique Red Roja a décidé de demander des contributions financières pour aider le peuple palestinien à travers un compte courant installé sur son site web. Les faits sont les mêmes que décrit le documentaire “Gaza”, qui a reçu le prix Goya au meilleur court-métrage documentaire en janvier dernier.

En juin dernier, le 6ème tribunal d’instruction de l’Audience rejetait le non-lieu de notre affaire et une citation à comparaître ordinaire a été lancée, soi-disant pour avoir trouvé “des indices suffisants de criminalité”. Sa déclaration a eu lieu après la présentation par notre défense d’un document accréditant la destination finale des fonds : la reconstruction des installations sanitaires détruites lors des attaques.
L’argument de l’accusation,basée sur une plainte portée par l’organisation israélienne Lawfare Project, basée à New York, et acceptée par l’Audience Nationale comme indice de criminalité, était la remise de la première somme à la dirigeante palestinienne Leila Khaled, elle-même membre du Front populaire pour la libération de la Palestine (FPLP). La base en est que cette organisation figure depuis 2003 sur une liste européenne d’organisations terroristes, établie par les USA à la suite des attentats perpétrés contre les Tours Jumelles en 2001.
Étant donné que cette liste n’a été reprise par aucune législation d’aucun État, rien n’empêche les représentants de cette organisation palestinienne d’agir librement dans l’UE. C’est ce qu’a reconnu en 2017 l’Audience Nationale qui, par l’intermédiaire de la juge Carmen Lamela, a rejeté la plainte des organisations israéliennes contre Leila Khaled elle-même et lui a permis d’entrer librement en Espagne. Ces organisations ont également accusé la mairie de Barcelone, sponsor de la Foire littéraire dans laquelle la dirigeante palestinienne est finalement intervenue, des crimes “d’intégration dans une organisation terroriste, de collaboration avec une organisation terroriste, d’apologie et d’exaltation du terrorisme, de financement des activités terroristes, de détournement de fonds publics et de prévarication”. Tout cela est fondé sur la soi-disant nature terroriste du FPLP.
Le fait est que le FPLP est membre fondateur et partie éminente de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) reconnue depuis 1974 par l’Assemblée générale des Nations unies comme le “seul représentant légitime du peuple palestinien”.
Au-delà des petits détails de l’affaire qui nous concerne, la question centrale qui sous-tend toute cette affaire est l’insurmontable difficulté de trouver une définition du terrorisme qui réponde à l’exigence juridique fondamentale d’applicabilité générale. D’innombrables questions me viennent à l’esprit : la résistance contre l’occupation nazie pendant la Seconde Guerre mondiale peut-elle être considérée comme terroriste? La lutte du peuple vietnamien contre l’envahisseur usaméricain était-elle terroriste? Et celle du Congrès national africain contre le régime d’apartheid en Afrique du Sud? Ou celle du peuple algérien contre l’occupation française?
Les exemples historiques sont presque infinis et la tentative de donner au vainqueur ou au plus fort le droit de décider qui est un terroriste, comme le prétend l’État d’Israël, va à l’encontre du fondement même du droit international. Cela a été reconnu dans des centaines de résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies, qui a toujours affirmé la légitimité de la lutte du peuple palestinien.
Le procès contre nous, ainsi que les poursuites judiciaires contre les représentants du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), cherche à criminaliser la solidarité internationale avec le peuple palestinien et faire en sorte que les crimes quotidiens que le sionisme perpétue contre lui soient passés sous silence et restent impunis.
Elle vise encore non seulement la solidarité avec le peuple palestinien, mais aussi la solidarité internationale en général, comme en témoignent les ordonnances émises par la Cour qui donne suite à notre accusation. Les “indices de criminalité” qu’elle estime pouvoir nous imputer sont basés sur la solidarité internationaliste pratiquée par Red Roja avec Cuba, avec le Venezuela, avec la Bolivie, avec le Sahara occidental etc. (sic).
L’impérialisme euro-usaméricain, à la recherche désespérée de matières premières bon marché, multiplie les extorsions et les agressions, essayant de les déguiser dans des interventions pour la défense des droits humains. L’aide humanitaire, l’aumône pour couvrir les horreurs qu’ils ont eux-mêmes créées ou le soutien aux réfugiés fuyant les guerres provoquées par “l’Occident”, doivent passer par des ONG financées par leurs gouvernements, leurs banquiers et leurs multinationales.
Ce qu’ils essaient c’est d’extirper la solidarité politique, la prise de parti. Et cela signifie qu’il faut toujours s’opposer à l’agression de l’impérialisme et du sionisme, indépendamment de la qualité politique du gouvernement du pays attaqué. La solidarité internationaliste se situe aux antipodes de la charité, dans la mesure où elle considère la lutte contre l’oppression et l’injustice partout dans le monde comme sienne.
Et c’est surtout à nous que cela incombe : nous, les peuples de l’État espagnol, qui avons eu le privilège d’expérimenter de première main le plus grand exemple de solidarité internationaliste, strictement politique, que l’humanité ait vécu : les Brigades internationales. Avec elles sont venus des milliers de jeunes hommes et de jeunes femmes du monde entier, prêts à donner leur vie contre le fascisme. Des Arabes sont aussi venus, en particulier des Palestiniens, ainsi que de nombreux Juifs fuyant les persécutions nazies dans leur pays.
La chose la plus importante qu’elles et eux ont apporté à la lutte de la République espagnole contre le fascisme n’était pas l’appui militaire, tout comme l’essentiel n’est pas le montant de l’aide économique apportée au peuple palestinien à travers Red Roja. C’est plutôt la constatation de ce que, dans une lutte inégale contre la tyrannie, ceux qui avec toute la légitimité la combattent, ne sont pas seuls.
L’arrivée des Brigades Internationales fut ce qui fit jaillir du milieu du peuple de Madrid, dévasté par les bombardements et écrasé par le sentiment de défaite devant l’avancée des troupes fascistes, la volonté inaliénable de lutte exprimée dans le cri “No pasarán”.
Un peu de cette bouffée d’air doit continuer à parvenir chaque jour avec plus de force au peuple palestinien et à tous les peuples du monde qui résistent à l’impérialisme et au sionisme.