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Élections en Espagne

Juan Diego García 28/09/2019
Les raisons pour lesquelles le chef du PSOE (Sánchez) n’a pas obtenu le soutien nécessaire pour former un gouvernement en Espagne sont sans aucun doute nombreuses et de natures diverses ; mais il y en a une qui apparaît à peine dans les médias et est peut-être mentionnée en lui donnant toute sa place dans les discussions et les débats qui inondent littéralement les médias : le rôle décisif joué par l’opinion des grands patrons, ouvertement hostiles à un accord du PSOE avec Izquierda Unida (Gauche Unie) et Unidas Podemos. Toutes les sonnettes d’alarme ont retenti chez les grands patrons quand la gauche a exigé, entre autres, le ministère du Travail pour rendre effective l’abolition de la législation actuelle sur le travail, ouvertement contraire aux intérêts des salariés du pays.

Tradotto da Fausto Giudice
Bien sûr, il y a eu d’autres motivations, sans exclure les querelles personnelles et même une faible capacité de négociation de part et d’autre ; mais presque dès le début du processus, il est devenu évident que les socialistes n’étaient pas vraiment intéressés par un pacte avec la gauche. Quoi qu’il en soit, ils étaient prêts à céder à Unidas Podemos certains secteurs du “social”, les politiques “de genre” et quelques d’autres, afin que l’essentiel – l’actuelle politique économique néolibérale – ne soit pas touché. Le PSOE aspire, au contraire, à augmenter son soutien dans les urnes et cherche probablement à obtenir un soutien suffisant des libéraux de Ciudadanos pour former un gouvernement. Sanchez soutenait que l’idée de gouverner avec la gauche “le privait de sommeil” ; pour sa part, les grands patrons déclaraient que, maintenant que le possible accord de centre-gauche avait été rompu, le nouveau panorama “leur permettait de dormir tranquilles”.
Si l’on tient compte des sondages, le résultat des prochaines élections ne sera pas très différent de celui des précédentes ; mais il y aura une augmentation des votes pour les partis traditionnels PSOE et PP (centre et droite) et une certaine diminution des nouveaux partis Ciudadanos (à droite) et Unidas Podemos (à gauche). Cependant, il ne manque pas d’analystes qui n’excluent pas un scénario différent dans lequel le centre-droit, emmené par le PP, sera également capable de gouverner, frustrant les espoirs de Sánchez : il y aurait des politiques sociales et culturelles plus restrictives (pour satisfaire l’extrême droite franquiste) et le modèle économique actuel serait consolidé (ce à quoi Sánchez ne toucherait pas non plus pour l’essentiel, pour la tranquillité du grand capital national et international).
Mais les perspectives ne sont pas vraiment rassurantes et de plus en plus de voix prédisent une nouvelle crise économique au moins aussi sévère que la précédente en 2008. Dans ces circonstances, le gouvernement quel qu’il soit, aura une tâche beaucoup plus compliquée. En d’autres termes, ceux qui gouverneront l’Espagne au cours des prochaines semaines devront faire face à une situation économique mondiale qui est loin d’être flatteuse ; à cela s’ajoute l’impact encore incertain de la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Et la modernisation de ce pays sous le régime démocratique n’a pas signifié de changements essentiels dans son modèle économique qui a dans le tourisme et la construction deux de ses moteurs fondamentaux (à lui seul le tourisme représente 10% du PIB et de la population active occupée) alors que le secteur industriel, les nouvelles technologies et la recherche scientifique sont très faibles. Peu d’armes donc pour se défendre dans un théâtre de crise mondiale qui décharge toujours sur les plus faibles les plus grands impacts.
L’Espagne n’est pas à l’abri d’autres inconvénients qui sont d’ailleurs mondiaux et entachent de manière si décisive la légitimité des institutions : la corruption, par exemple. Bien qu’ici le modèle néolibéral n’ait pas été appliqué de la manière sauvage dont il est pratiqué dans les pays de la périphérie du système (Amérique latine et Caraïbes, par exemple), il a été assez dur et consolide de grandes différences avec d’autres pays du vieux continent qui offrent une qualité de vie à leurs populations suffisamment solide et disposent de plus de ressources pour affronter l’impact de la crise.
Comme le soulignent certains critiques du “processus de transition” de la dictature franquiste à la démocratie moderne, ici les forces conservatrices ont gardé sous leur contrôle des secteurs clés des institutions étatiques, en coexistence harmonieuse avec les secteurs modernes du grand capital : chacun joue son rôle et tous sont si heureux. Ce n’est pas par hasard que les sondages d’opinion reflètent un mécontentement important de la population à l’égard des partis et des politiciens, une faible confiance dans la justice et une crédibilité en chute libre des institutions traditionnelles qui, en Espagne, ont joué un rôle décisif dans la vie quotidienne : l’Église catholique, par exemple, d’un caractère réactionnaire marqué (elle est un des principaux bastions de l’opposition aux réformes de l’actuel Pape). Il n’est pas non plus surprenant qu’en Espagne la résurgence du fascisme – commune à tout le continent – permette l’expansion du franquisme traditionnel (le parti Vox) qui, malgré les déclarations de distanciation des dirigeants du centre-droit, gouverne déjà dans certaines régions du pays par la main du PP et de Ciudadanos et serait sûrement dans le possible gouvernement de droit qui sortirait des prochaines élections.
L’érosion de l’ordre social se reflète également dans les dirigeants. Il est difficile de les comparer à ceux qui ont géré la fin de la dictature franquiste et la transition vers une démocratie moderne. On peut en dire autant des partis. Certains sont directement liés à la corruption (le cas du PP, en particulier), et presque tous avec un abandon irrémédiable de leurs idéaux traditionnels, de la social-démocratie dans le cas du PSOE, et dans le cas du PP avec un second enterrement pour les quelques tentatives de donner un ton social-chrétien à la droite (comme ce fut le cas pour la droite civilisée du vieux continent, en Allemagne et Italie par exemple). Pour leur part, les communistes espagnols n’ont jamais réussi à sortir de la crise profonde provoquée par l’effondrement de l’URSS et aujourd’hui, regroupés dans la Gauche unie, ils sont probablement le groupe de gauche le plus sensé, bien que leur programme soit plus réformiste que révolutionnaire. Ce qu’on appelle la nouvelle gauche (Podemos) est encore plus réformiste ; en effet, il est assez paradoxal que son programme soit moins ambitieux (ou “radical” si l’on préfère) que celui avec lequel le réformiste Felipe González est arrivé au pouvoir en 1982. À tout cela, il faut ajouter les profondes divisions de la gauche, certaines divisions traditionnelles entre ceux qui cherchent le possible et ceux qui se proposent de partir immédiatement à l’assaut du ciel, et les nouveaux, qui tentent simplement de donner au système un visage plus aimable. Beaucoup d’écologistes, par exemple, finissent par blâmer le consommateur et moins ou pas du tout le système, qui est, en fin de compte, le fauteur principal de destruction de la planète.
Mais on sait déjà, comme le dit le proverbe chinois, qu’il faut toujours “labourer avec les bœufs qu’on a”. Dans ces conditions et avec ces perspectives, les citoyens espagnols se dirigent donc vers de nouvelles élections, avec une augmentation probable de l’abstentionnisme, ce qui ajoute une note grise de plus au décor actuel.