General

Sahara occidental : un conflit africain en sommeil depuis longtemps attire l’attention inhabituelle de la Maison Blanche

Dion Nissenbaum 16/08/2019
Les menaces de John Bolton de saborder la petite mission de maintien de la paix de l’ONU attisent les craintes pour la stabilité régionale.

Tradotto da Eve Harguindey
El Ayoun (Sahara occidental) – Le plus long champ de mines du monde s’étend sur des centaines de kilomètres à travers le Sahara, marquant le chemin de l’un des conflits les plus silencieux de l’Afrique.
Pendant près de trois décennies, quelques centaines de soldats des Nations Unies ont veillé à ce que cette ligne de cessez-le-feu de 2 735 km, qui sépare les soldats marocains d’un groupe sous- armé de militants du Sahara Occidental luttant pour l’indépendance, reste tranquille.
Pour les Nations Unies, cette minuscule mission de maintien de la paix est un succès. Mais pour la Maison Blanche, c’est un échec, que le Conseiller à la Sécurité Nationale du président Trump, John Bolton, a défini comme un exemple criant d’ échec des Nations unies et de l’ordre international qu’elles représentent.
M. Bolton met le poids de la Maison-Blanche dans un plan controversé visant à résoudre le conflit du Sahara Occidental en serrant la vis à l’O. N.U. et en essayant de forcer les parties rivales à conclure un accord.
«Cette administration a été claire quant à son désir de gérer efficacement des ressources limitées chez nous et à l’étranger», a déclaré un haut responsable de l’administration Trump. « Ni nous ni nos partenaires internationaux ne devrions être englués dans [… ] des conflits gelés.»
L’ONU consacre plus de 6,6 milliards de dollars [= 5,91 Mds €] par an aux opérations de maintien de la paix. La mission au Sahara occidental coûte environ 50 millions de dollars [= 44 m. €] par an et les 250 soldats onusiens déployés là-bas sont à bout de souffle.
Les efforts de la Maison Blanche pour résoudre ce petit problème africain comportent des risques. Un échec pourrait attiser le mécontentement dans l’une des dernières poches de stabilité en Afrique du Nord, créant de nouvelles opportunités pour l’expansion de l’État islamique ou d’Al-Qaïda.
Le Sahara occidental, une région de la taille du Colorado comptant environ un demi-million d’habitants, n’est pas connu pour beaucoup de choses, à part un marathon annuel de plusieurs jours. Mais il abrite la plus ancienne des sept opérations de maintien de la paix de l’ONU actives en Afrique.
En 1991, l’ONU négocié un accord pour mettre fin à la lutte entre le Maroc et le Front Polisario sur le Sahara occidental, une colonie espagnole jusqu’en 1975.
Cette année-là, le Polisario, représentant les nationalistes sahraouis de la région, a refusé d’accepter le contrôle marocain et a rapidement proclamé une nouvelle République Arabe Sahraouie Démocratique. Pendant les 16 années suivantes, les combats ont affecté la région, faisant des milliers de morts.
Lorsque l’ONU a négocié l’accord de paix de 1991, le Maroc tenait environ les deux tiers du Sahara occidental. Le Polisario a sécurisé une bande de la zone bordant la frontière algéro- mauritanienne. Le Maroc a construit un mur de sable de 2 735 km avec des fils de fer barbelés, des barrières et 120 000 soldats.
Il est resté en grande partie calme depuis.
Pourquoi M. Bolton se préoccupe-t-il tant de la situation dans un coin du monde relativement calme face à des problèmes en Iran, en Corée du Nord, au Venezuela et en Libye ? Bien que M. Bolton ait refusé de faire des commentaires, ses proches disent que c’est personnel.
En tant que responsable au département d’État, il a participé à la rédaction de l’accord original conclu en 1991 par les Nations Unies, qui mettait fin aux affrontements entre le Maroc et le Front Polisario.
Quelques années plus tard, il s’associe à l’ancien Secrétaire d’État, James Baker, dans un effort infructueux de quatre ans pour parvenir à un accord sur un vote visant à déterminer si le Sahara occidental devrait faire partie du Maroc.
En 2005, lorsque M. Bolton a été nommé ambassadeur des USA à l’ONU par le président George W. Bush, il a de nouveau cherché un accord. Il menaça pour la première fois d’éliminer la mission de maintien de la paix de l’ONU – connue sous le nom de Minurso – c’est-à-dire en utilisant le pouvoir US pour opposer son veto au mandat, et en libérant le Front Polisario du cessez-le-feu avec le Maroc.
M. Bolton a eu une nouvelle chance de régler le différend l’année dernière, lorsque le président Trump l’a nommé Conseiller à la Sécurité Nationale à la Maison Blanche.
Après avoir occupé son poste dans l’Aile Ouest, M. Bolton a chargé le Conseil de Sécurité Nationale de modifier sa stratégie et a de nouveau menacé de mettre son veto à la mission de maintien de la paix si les discussions n’avançaient pas.
« Nous devons voir des progrès réels dans la résolution des causes sous-jacentes du conflit afin de ne pas continuer à dépenser des ressources limitées dans des missions de maintien de la paix sans fin », a déclaré le haut responsable de l’administration Trump.
En décembre dernier, M. Bolton a désigné la mission onusienne au Sahara occidental comme son exemple «préféré» des échecs de l’ONU.
« Tout ce que nous voulons, c’est organiser un référendum pour 70 000 électeurs », a-t-il déclaré lorsqu’il a dévoilé la nouvelle stratégie de l’administration Trump pour l’Afrique. «Il y a un retard de 27 ans. Vingt-sept ans et c’est toujours là ? Comment pouvez-vous justifier cela ? »
Jusqu’à présent, la pression US a eu un effet.
Pour la première fois depuis 2012, le Maroc s’est entretenu avec les dirigeants du Front Polisario insurgé en décembre dernier, au cours du nouveau cycle de négociations lancé par l’ONU.
Des parisans de l’indépendance du Sahara occidental, dans leur maison à El Ayoun en mai dernier. Photo: Dion Nissenbaum/The Wall Street Journal
El Ayoun, capitale du Sahara occidental. Photo: Dion Nissenbaum/The Wall Street Journal
Les militants de l’indépendance du Sahara occidental ont été ravis, voyant en M. Bolton un sauveur potentiel. Les responsables marocains s’inquiètent de sa trop grande sympathie pour ceux qui espèrent créer le plus récent pays de l’Afrique.
«S’il vous plaît, faites un gros câlin à M. Bolton de la part du peuple sahraoui», a déclaré Hmad Hammad, militant indépendantiste à El Ayoun. « Nous comptons sur lui, nous apprécions ce qu’il fait pour le peuple du Sahara Occidental et nous serons de bons amis des États-Unis. »
Mais ceux qui espèrent lever le drapeau sur un Sahara occidental indépendant risquent d’être déçus par l’administration Trump.
Lors de discussions privées, il a clairement fait savoir que les USA soutenaient le Maroc dans son opposition à la création d’une nation indépendante, selon des responsables marocains et occidentaux impliqués dans les négociations.
Ces assurances ont contribué à ramener le Maroc aux pourparlers. Les dirigeants marocains s’inquiètent toujours que les sympathies de M. Bolton aillent aux militants de l’indépendance qui souhaitent un vote sur l’avenir de la région, et ils craignent que la fin de la mission de l’ONU ne crée un vide dangereux.
« Le danger pour les USA provient-il de 230 personnes de la MNURSO ou … du fait que l’État islamique et Al-Qaïda parviennent à attirer des personnes d’Indonésie, de Casablanca et d’ailleurs ? », a demandé le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita, dans une interview au Wall Street Journal dans son bureau à Rabat.
Mais les responsables impliqués dans les discussions ont déclaré que les USA avaient clairement indiqué que Washington n’appuierait pas un plan menant à une nouvelle nation africaine. Cet accord tacite pourrait ne pas plaire aux militants indépendantistes sahraouis.
Le Maroc a dépensé des millions de dollars pour transformer El Ayoun, ancienne capitale espagnole du Sahara occidental, en une ville du désert opérationnelle d’environ 200 000 habitants. Les Marocains qui se sont installés au Sahara occidental sont désormais plus nombreux que la population sahraouie locale, ont indiqué des responsables, ce qui compliquerait un éventuel référendum.
Cependant, les discussions sont en suspens pour le moment, avec l’Algérie voisine agitée par des manifestations qui ont forcé le président à démissionner en avril. En mai dernier, Horst Kôhler, l’ancien président allemand qui supervisait les nouvelles négociations en tant qu’envoyé spécial des Nations Unies pour le Sahara occidental, s’est soudainement démis pour des raisons personnelles. Des pourparlers sérieux sur le Sahara occidental au milieu de l’incertitude semblent improbables, et un plan US visant à mettre fin à la mission de l’ONU pourrait créer davantage de perturbations.
Des responsables onusiens ont loué en privé M. Bolton pour avoir incité les parties en conflit à négocier.
«Je pense qu’il peut s’enorgueillir de ce qui s’est passé jusqu’à présent», a déclaré un responsable onusien. « Ill devrait profiter un peu de ces lauriers avant de pousser à la prochaine crise ».
La situation pourrait s’aggraver en octobre prochain, à l’expiration du mandat de maintien de la paix. Les USA ont soutenu le renouvellement de l’opération de maintien de la paix de l’ONU en avril mais menacent d’un veto en octobre si l’ONU ne parvient pas à progresser sur la voie politique. Les fonctionnaires de tous les côtés craignent que la pression de l’administration Trump puisse s’avérer contre-productive
«La Minurso dispose de 52 millions de dollars pour maintenir la stabilité, maintenir un cessez-le-feu dans une région très difficile», a déclaré M. Bourita. « Personne n’est mort depuis le cessez-le-feu, ce qui signifie que c’est la mission de maintien de la paix la plus rentable au monde ».