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La troisième expansion des zapatistes

Raúl Zibechi 28/08/2019
L’EZLN a annoncé l’extension de sa zone d’autonomie.


Tradotto da Fausto Giudice
Bien qu’encerclées par l’armée mexicaine, les bases de soutien de l’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) ont réussi à briser le siège militaire, médiatique et politique qui pesait sur elles. Dans un communiqué publié le 17 août et signé par le sous-commandant Moisés, un autochtone devenu porte-parole du mouvement zapatiste après la “mort” symbolique de Marcos, la création de sept nouveaux “caracoles” (escargots) et de quatre municipalités autonomes, désormais appelées “centres de résistance autonome et de rébellion zapatistes”, est annoncée depuis les montagnes du sud-est du Mexique.
Nous sommes devant la troisième avancée organisationnelle des peuples mayas qui composent l’EZLN. Les dates-clés de chaque étape sont 1994, 2003 et 2019. Dans la première, ils ont annoncé la création de municipalités zapatistes rebelles autonomes, au milieu des fraudes électorales et du chaos installé par le gouvernement du Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI) historique. Dans la seconde, ils ont ouvert cinq caracoles pour exercer leur autonomie, lorsque le parlement mexicain, comprenant à la fois les partis de droite et de gauche, a rejeté celle qu’ils avaient déjà négocié et signé avec les délégués officiels.
Les 27 communes autonomes (au départ quelques-unes de plus) se chevauchent avec les communes officielles et regroupent les représentants des communes de la zone d’influence. Les caracoles, pour leur part, articulent leurs régions et accueillent les conseils de bon gouvernement, qui sont chargés, par rotation, de gouverner une demi-douzaine de municipalités (en moyenne) et des centaines de communautés.
La zone zapatiste n’est pas homogène. Dans les communautés et dans les municipalités (qui sont gouvernées par des conseils autonomes), les familles zapatistes et non zapatistes coexistent, avec la particularité que les secondes se rendent dans les cliniques et les centres de santé créés et dirigés par les premières, et qu’elles préfèrent la justice autonome administrée par les Conseils de Bon Gouvernement, qui ne les font pas payer ni ne sont corrompus, comme c’est le cas avec la justice de l’État.
Les familles non zapatistes bénéficient de l’aide du gouvernement fédéral et du gouvernement de l’État du Chiapas, avec de la nourriture, du matériel de logement et des plans sociaux, que le gouvernement d’Andrés Manuel López Obrador a maintenant étendu avec des projets d’assistance tels que Sembrando Vida ou Jóvenes Construyendo el Futuro (Semer la vie ou Construire l’avenir des jeunes). Non seulement les zapatistes ne bénéficient pas de ces programmes, mais en raison de l’influence des femmes, ils ne boivent pas d’alcool non plus, car elles considèrent que cela favorise la violence masculine.
Les caracoles sont des ” fenêtres pour nous voir à l’intérieur et que nous voyons à l’extérieur “, tandis que les conseils de bon gouvernement ” fonctionnent selon les principes de rotation, de révocation du mandat et de responsabilisation”, et sont de ” véritables réseaux de pouvoir d’en bas “, où les conseils municipaux sont articulés. Ils sont devenus des formes de pouvoir où “les dirigeants deviennent serviteurs”, comme le rappelle le sociologue Raúl Romero (La Jornada, 17/8/2019).
UN SAUT EN AVANT. Le plus important dans l’annonce du 17 août, c’est que plusieurs des nouveaux centres se trouvent en dehors de la zone de contrôle zapatiste traditionnelle, tandis que d’autres sont frontaliers de celle-ci et renforcent leur présence dans la région depuis le soulèvement de 1994, quand ils ont récupéré des centaines de milliers d’hectares des grands propriétaires fonciers. Il y a maintenant 43 centres zapatistes.
Comme le souligne le directeur d’opinion de La Jornada, Luis Hernández Navarro, « l’extension de l’autonomie zapatiste à de nouveaux territoires dément la version de la prétendue désertion de ses bases sociales à cause des programmes d’assistance ». Ils ont tenu des centaines d’assemblées, « se déployant comme une force politico-sociale, à travers des mobilisations sui generis pacifiques, qui ont changé le champ de la confrontation avec l’État, l’amenant sur le terrain où les communautés sont plus fortes : celui de la production et de la reproduction de leur existence” (La Jornada, 20/8/2019).
L’étape suivante est l’appel à la société à contribuer à la construction de nouveaux espaces, ainsi que l’appel aux collectifs urbains à créer un ” réseau international de résistance et de rébellion “, avertissant ceux qui y participeraient de renoncer à pratiquer “l’hégémonie et l’homogénéisation “. De plus, ils invitent des intellectuels et des artistes à des festivals, des rencontres, des pépinières d’idées et de débats.
UNE NOUVELLE CULTURE POLITIQUE. L’aspect le plus intéressant de cette expansion des zapatistes réside dans la manière dont ils l’ont fait, le comment de leur action politique. Parce qu’elle révèle une culture à contre-pied de celle qui est hégémonique, ancrée dans les institutions de l’État ou dans les ONG et dans l’affirmation de la brèche entre ceux qui commandent et prennent les décisions, et ceux qui obéissent et exécutent.
Dans le communiqué signé par Moisés, tout comme dans les précédents écrits zapatistes, on se démarque clairement de l’avant-gardisme, mais aussi de la culture hiérarchique des partis. Ce sont les femmes et les jeunes qui ont quitté leur communauté pour dialoguer avec d’autres communautés, et ils se sont vite compris « comme seuls peuvent de comprendre ceux qui partagent non seulement la douleur, mais aussi l’histoire, l’indignation, la colère ».
Le rôle central a été celui joué par les femmes : « Non seulement elles marchent devant », explique Moïse, « pour baliser le chemin et (pour que) nous ne nous perdions pas : aussi sur les côtés pour que nous ne déviions pas, et derrière pour nous ne retardions pas ». Elles incarnent la culture communautaire, qui place le collectif avant l’individu, la dignité et la cosmovision avant les avantages matériels. C’est pourquoi les gouvernements qui pensent – comme celui d’AMLO, mais aussi les autres progressistes – qu’avec des plans économiques ils peuvent faire renoncer des peuples entiers à leur identité, se trompent lourdement.
C’est une culture politique qui ne peut être comprise qu’en termes de communauté. Ceux qui visitent les régions zapatistes sont généralement surpris lorsqu’ils entendent ceux-ci s’adresser à leurs principaux “ennemis”, les bases du PRI, comme “frères priistes” ou, maintenant par rapport au parti au pouvoir, comme “frères partidaires”. Quelques-uns de ces frères sont ceux qui ont pris la décision de rejeter les aumônes d’en haut pour devenir zapatistes : c’est la manière qu’ ils ont trouvé pour continuer à être des peuples autochtones.