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Les manifestants étaient en train de se disperser : un tireur d’élite israélien a alors tiré dans la tête d’un garçon de 9 ans

Gideon Levy 20/07/2019
À 100 mètres de distance, un soldat des FDI a tiré dans la tête d’un garçon palestinien dans le village de Kafr Qaddum, en Cisjordanie. La balle a explosé en des douzaines de fragments dans le cerveau de l’enfant et il est maintenant dans un coma artificiel.

Tradotto da Fausto Giudice
Dans le congélateur de leur maison de Kafr Qaddum en Cisjordanie, la famille conserve les derniers souvenirs qu’ils ont de leur plus jeune enfant : une sucette glacée chocolat-banane et un morceau de pastèque sur un cure-dent. Abderrahmane Shatawi les avait achetés environ une demi-heure avant qu’un tireur d’élite des Forces de défense israéliennes ne s’agenouille sur la pente de la colline rocheuse qui surplombe le village et, à une distance de 100 mètres, lui tire une balle dans la tête. La balle a explosé en des douzaines d’éclats dans son cerveau.
Shatawi est maintenant aux soins intensifs de l’hôpital pour enfants Safra, au Sheba Medical Center, à Tel Hashomer. Il est dans un coma artificiel et est relié à un respirateur artificiel. Son père et un cousin ne quittent pas son chevet plus de quelques minutes, espérant un miracle. Mais il est peu probable que ce garçon puisse un jour profiter des friandises qu’il a achetées.
La caméra de sécurité de l’épicerie où il a fait ses achats vendredi dernier ont filmé les moments troublants qui ont précédé le tir : Abderrahmane erre entre les étagères de bonbons et le congélateur de glaces, essayant de décider quoi acheter. Un petit garçon en tongs, t-shirt et pantalon de survêtement. C’est aussi ce à quoi il ressemblait pour le tireur de l’IDF, regardant à travers son viseur optique sophistiqué, avant d’appuyer sur la détente.
Après avoir déposé les friandises congelées dans le congélateur de la maison, Abderrahmane était allé se tenir debout à l’entrée de la maison de son ami à l’entrée du village. Bien que le point central de la manifestation hebdomadaire locale ne fût pas à proximité, le soldat a visé, tiré et touché l’enfant à la tête.
À 13h15, les manifestants sont partis du centre de Kafr Qaddum ; selon les organisateurs, il y avait 300 à 400 personnes. Ce mois-ci, les protestations obstinées sont entrées dans leur neuvième année : tous les vendredis et samedis, les habitants marchent vers la route menant à leur village, qui a longtemps été bloquée par les FDI pour le confort de la colonie juive voisine de Kedumim. Leur but est de protester contre le vol de leurs terres par les colons de Kedumim et la fermeture de la route.
Vendredi dernier, ils avaient avancé pendant une dizaine de minutes, lorsque quelques dizaines de soldats sont apparus, s’éparpillant dans un large éventail, parmi les oliviers voisins. C’est un rituel hebdomadaire. Mais cette fois, selon les manifestants, les soldats ont tiré avec plus d’intensité que d’habitude, des balles métalliques enrobées de caoutchouc et des grenades assourdissantes. La fusillade a commencé à 13 h 25 et s’est poursuivie pendant une vingtaine de minutes, tandis que les jeunes du village mettaient les pneus en feu et lançaient de loin des pierres sur les soldats.
Le tournant dramatique, bien que les FDI l’aient nié, s’est produit à 13 h 30, lorsque les soldats sont passés au tir réel. La raison pour laquelle ils l’ont fait n’est pas claire – aucun d’entre eux n’était en danger mortel, certainement pas le tireur d’élite embusqué sur la colline. Les villageois ont vu les balles voler et se loger dans les murs des maisons et des réservoirs d’eau, perçant ces derniers dont le contenu s’écoulait, et ils ont été saisis par la peur. Les soldats ont tiré des rafales des tirs automatiques, des douzaines de balles au moins, disent-ils.
Murad Shatawi, coordinateur des manifestations et l’un des dirigeants du village, a crié aux jeunes en tête de la manifestation de reculer. Les manifestants qualifient leur protestation de non-violente : leur stratégie est de subir des pertes minimales. Le fait est que personne n’a été tué ici au cours des huit dernières années, à l’exception d’un homme âgé qui a été suffoqué par des gaz lacrymogènes en 2014.
Les dirigeants de la manifestation étaient certains que dès que les soldats verraient que les villageois s’étaient retirés, ils cesseraient de tirer. Mais les soldats ont continué à tirer. Vers 14 heures, Murad a entendu des cris : « Un garçon a été tué ! » Il a couru vers le site, qui était une ramification de la manifestation principale, impliquant quelques dizaines de jeunes.
Riad Shatawi, 45 ans, était assis à l’ombre d’un olivier près de la route et de la manifestation avec ses jumeaux de 11 ans, Halfi et Mohammed. Abderrahmane se tenait derrière eux, près de la maison de son ami Ezz.
Riad, un policier de l’Autorité palestinienne, se souvient d’avoir vu quatre soldats sur la pente de la colline de l’autre côté de la route – trois debout et un en position accroupie de sniper. Environ 100 mètres séparaient les troupes de Riad et ses fils, dans la rue en contrebas. Il a attrapé les garçons et s’est enfui avec eux aussi vite qu’ils ont pu. Abderrahmane a été laissé seul, à quelques mètres derrière eux. Il n’aurait certainement pas pu représenter un danger mortel pour qui que ce soit, dit Riad.
Riad n’a pas réussi à prévenir Abderrahmane du sniper, et une fraction de seconde plus tard, il a entendu le bruit d’un coup de feu venant de la direction de la colline. Se retournant avec horreur, il a vu le garçon tomber sur le côté, le sang coulant de sa tête. Il s’est précipité et, avec un autre villageois, Nisfat Shatawi, l’a ramassé et a appelé à l’aide une ambulance palestinienne garée à proximité, comme à chaque manifestation.
Cette semaine, nous avons vu des taches de sang étalées sur le site où l’enfant de 9 ans avait été abattu, le long d’un chemin en béton et de dizaines de mètres de route, où il avait été transporté à l’ambulance. Nisfat grimpe maintenant sur la pente rocheuse, pour nous montrer où se trouvaient les soldats – au loin, bien en haut de la colline.
La fusillade s’est poursuivie même après que le garçon a été touché, nous a-t-on dit. Les balles ont touché les clôtures de tôle et les murs des maisons. Nous avons vu les trous qu’elles ont faits.
Abderrahmane était “comme un sac”, dit Riad maintenant – inconscient, ne répondant pas. Le chef du conseil municipal, Samir el-Kadumi, infirmier de profession, a accompagné le garçon dans l’ambulance qui a accéléré vers l’hôpital Rafadiya à Naplouse. Le chirurgien en chef, le Dr Othman Othman, s’est précipité avec le garçon dans la salle d’opération pour tenter d’arrêter les saignements intracrâniens graves révélés par le scanner.
Yasser, le père d’Abderrahmane , a été convoqué d’urgence de son travail à Tira à l’hôpital, où lui et les villageois qui s’y étaient rassemblés ont appris que des dizaines de fragments de balle, entre 70 et 100, étaient maintenant dispersés dans le cerveau du garçon. A Kafr Qaddum, ils sont convaincus qu’il s’agit d’un nouveau type de munition particulièrement spurnois.
Cette semaine, l’Unité du porte-parole des FDI a fait la déclaration suivante à Haaretz : « Vendredi dernier, des troubles ont éclaté à Kafr Qaddum avec la participation d’une soixantaine de Palestiniens, au cours desquels des pneus ont été brûlés et des pierres jetées sur les forces des FDI présentes sur le site. Les troupes des FDI ont répondu par des moyens de dispersion de la foule qui comprenaient des grenades assourdissantes et des tirs de [balles en] caoutchouc. Au cours de l’événement, un mineur palestinien a été blessé. L’incident fait l’objet d’une enquête du commandant. À l’issue de l’enquête, les résultats seront transmis au bureau de l’avocat général militaire pour un examen plus approfondi. »
Murad Shatawi dit avec colère : « Si vous pensez que ce type de soldat peut vous défendre, vous vous trompez. Les soldats sans éthique ne peuvent pas vous défendre. Le tireur d’élite prend sa position. Il y a des pneus qui brûlent, il y a des jets de pierres. Mais quel est le sens du choix du soldat de tirer sur un petit garçon – c’est la question. Pourquoi un enfant ? Le soldat ne peut pas prétendre qu’il a raté sa cible. Les FDI ne peuvent pas non plus prétendre que le tireur d’élite n’a pas vu le garçon ou qu’il ne savait pas qu’il lui tirait dessus. S’il avait eu le minimum de moralité, il lui aurait au moins tiré dans les jambes. Mais dans sa tête ? Ils veulent faire du mal à nos enfants. Ils les ont déjà tués avec des Rugers [balles de 0,22 mm]. Mais c’est la première fois qu’ils tirent à balles réelles sur la tête d’un enfant. Ils ont lancé des gaz lacrymogènes dans des maisons, sachant que des bébés et des personnes âgées étaient à l’intérieur. Mais tirer dans la tête d’un enfant avec des balles réelles est quelque chose que nous n’avons pas vu ici.
« Je connais le message des FDI », poursuit Shatawi. « Ils veulent arrêter les manifestations en tirant sur nos enfants. Mais ils n’ont pas compris notre message. Des milliers de martyrs palestiniens sont tombés et rien n’a changé. Nous poursuivrons notre lutte, car l’occupation doit prendre fin aujourd’hui. Pas demain. Nous sommes des êtres humains, nous aimons la vie. Nous ne voulons pas respirer des gaz et nous ne voulons pas mourir. Nous avons éduqué et élevé nos enfants : leur place n’est pas sur le champ de bataille. Nous les aimons. Nous aimons savoir qu’ils grandiront et deviendront enseignants, médecins, ingénieurs. Un enfant est un enfant, ici et en Israël. Vos enfants planifient leurs fins de semaine, qu’ils aillent à la plage ou en randonnée. Nous planifions seulement comment protéger nos enfants. Vous vous demandez peut-être : pourquoi autorisez-vous vos enfants à participer à des manifestations ? Et notre réponse sera : Aidez-nous à mettre fin à l’occupation. »
Yasser, 54 ans, et son épouse Aida, 50 ans, ont trois fils et trois filles ; Abderrahmane est le plus jeune. Yasser travaille dans une boulangerie à Tira. Aida a eu sa part de souffrance : Elle a eu un grave accident il y a quelques années et a subi une opération à cœur ouvert il y a environ deux semaines. Depuis que son fils a été abattu, elle s’est enfermée à la maison, pleurant constamment, incapable d’être à ses côtés à l’hôpital israélien. Son mari a l’air complètement brisé alors qu’il est assis près du lit du garçon, jour et nuit, avec le cousin adulte de l’enfant, Umar.
Abderrahmane est dans la salle 9 de la nouvelle unité de soins intensifs de Safra. La scène est insupportable, mais le design est très impressionnant. Le directeur du service, le professeur Gideon Paret, souriant et exceptionnellement accueillant, dit qu’il y a de l’espoir pour le garçon. Cette semaine, il a bougé les jambes. Un médecin en stage post-doctoral d’Hébron le soigne.
Pendant ce temps, la tête de l’enfant est gonflée et un nombre apparemment infini de tubes sont enfoncés dans son jeune corps, qui monte et descend au rythme du respirateur artificiel.
NdT
Kafr Qaddum n’est qu’à 13 km de Naplouse, dont il désormais séparé par le mur de séparation et par des colonies juives