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Écrire, pas pour eux, et non-écrire pour eux Contre l’indifférence face à la judaïsation de Jérusalem

Amira Hass 25/07/2019
Quand je n’écris pas, pour qui n’écris-je pas ? Tout comme l’écriture implique l’attente que quelqu’un s’y intéresse et lise, il en va de même pour la non-écriture : elle s’adresse également à un public cible de non-lecteurs.

Tradotto da Fausto Giudice
Quand je saute un autre détail, et un autre et un autre et 30 autres, dans l’histoire de notre domination étrangère et hostile sur les Palestiniens, et que je ne les rapporte pas, ce n’est pas seulement parce qu’il y a tant de détails, et qu’il faut une grande équipe de journalistes pour les traiter tous en reportages ordonnés. Ce n’est pas seulement parce qu’il n’y a pas assez de rédacteurs en chef pour éditer les articles et qu’il n’y a pas assez de pages dans le journal pour les contenir, ni assez d’espaces alloués aux nouvelles de Mars sur la page d’accueil du site.
Quand je n’écris pas, je pense à ceux qui ne lisent pas pour ne pas savoir, parce qu’ils savent que la connaissance est le chemin de la conscience, et la conscience est la clé de l’action essentielle.
Ces mots sont écrits lundi matin, au moment même où une force gigantesque de policiers et de soldats apporte son soutien aux préparatifs de la démolition de 13 bâtiments dans le quartier de Ouadi Hoummous, qui fait partie du village de Sour Baher à Jérusalem-Est.
Des militants, dont un bon nombre de Juifs du groupe US All That’s Left : Anti-Occupation Collective (Tout ce qui reste/Tout ce qui est de gauche-Collectif antioccupation, voir ici), présents sur le site depuis plusieurs jours, envoient des photos et des vidéos en temps réel depuis 3 heures du matin. Le premier, vers 4 heures du matin, alors qu’il faisait encore nuit, montrait une grue avec le bras tendu vers un bâtiment inoccupé de huit étages. Les soldats déplaçaient des cartons et les dispersaient dans les étages. Des engins explosifs, ont conclu les militants. Peu après 8 heures du matin, ils ont envoyé une photo montrant la fumée et la poussière soulevée par l’explosion. Mes non-lecteurs ne sont pas les habitants des colonies et des avant-postes en expansion constante – tous illégaux, tous des prédateurs agressifs – devant lesquels je passe tous les jours. Les non-lecteurs ne sont pas leurs représentants dans les partis de droite qui ne cessent de se renforcer et de penser « transfert » (des Palestiniens), pas plus que la non-écriture ne vise les soldats et les policiers dont le travail consiste à protéger l’entreprise illégale : Ils sont trop jeunes, trop pousse-au-crime pour comprendre ce qui n’est pas écrit et ce qui est écrit. Espérons que certains d’entre eux se joindront un jour à Breaking the Silence [Briser le silence, groupe de dissidents militaires, NdT].
Les non-lecteurs ne sont pas non plus les juges de la Cour suprême, à qui le gouvernement demandera aujourd’hui, lundi, d’approuver une nouvelle méthode de déplacement forcé de communautés palestiniennes de Cisjordanie et de démolition de leurs maisons. (Mes excuses à mes amis avocats Tawfik Jabarin et Neta Amar Schiff, qui ont déposé les recours contre l’ordre de détruire les communautés de Jabal al-Baba à l’est de Jérusalem et Aïn al-Hilweh et Umm Jamal dans la vallée du Jourdain au nord : Je ne pourrai pas assister aux procédures judiciaires parce que je dois me rendre dans la ville fantôme d’Hébron). Les juges, en tant que non-lecteurs dans le passé, ont déjà prouvé qu’ils sont les groupies de l’ancienne ministre de la Justice Ayelet Shaked, avant même qu’Ayelet Shaked et sa guerre contre le système judiciaire aient été inventées.
Je vous ai vus, chers non-lecteurs, lors d’une rare visite à Tel Aviv il y a quelques jours, entre les rues Dizengoff et Allenby. Comme cette ville est agréable et accueillante, quelle atmosphère de liberté et de sérénité elle dégage. Même l’humidité estivale ne la gâche pas. Vous, mes non-lecteurs désignés, représentez beaucoup d’autres et certainement pas seulement à Tel-Aviv, dont les expériences de vie et l’éducation leur permettent de comprendre que refuser la liberté à “l’autre” est mal. Et aussi une épée à deux tranchants.
Israéliens éthiopiens, féministes, LGBTQ, Juifs arabes, descendants des deuxième et troisième générations de survivants de l’Holocauste, guerriers du fromage blanc*, étudiants et professeurs d’histoire et de philosophie. Je m’attendais à ce qu’eux et les autres fassent entendre leur voix, qu’ils s’opposent au mal. À ce qu’ils ne se laissent pas aveugler par les gains produits par le mal, mais se joignent à ceux, peu nombreux, qui osent résister, augmentant leur nombre et leur pouvoir. Et parce que j’ai abandonné, j’écris, pas pour eux, et je leur non-écris, à eux.
NdT
*En 2011, un mouvement de boycott du fomage blanc en Israël a été lancé sur fessebouc pour protester contre l’aygmentation de son prix et la cherté de la vie. Plus de 100 000 personnes l’ont laïqué. Résultat : les prix ont été baissés. Une victoire inoubliable (pour les amateurs de fromage blanc). L’un des arguments invoqués par des jeunes Israéliens pour émigrer par dizaines de milliers à Berlin a été que le fromage blanc est moins cher en Allemagne qu’en Israël…