General

Abdelaziz Bouteflika, une vie au pouvoir

Maxime Tellier 09/03/2019
Candidat pour un cinquième mandat de président en 2019, Abdelaziz Bouteflika n’a jamais quitté les cercles du pouvoir algérien. Ministre dès l’indépendance en 1962, il symbolise aujourd’hui la classe politique dont les manifestants ne veulent plus.

À 82 ans, le président Bouteflika n’apparaît plus en public. Malade et handicapé depuis un AVC en 2013, il brigue pourtant un cinquième mandat en 2019. L’annonce de sa candidature en février a déclenché une vague inédite de manifestations dans toute l’Algérie : “Non au cinquième mandat” et “Le peuple veut la chute du régime” sont les deux slogans les plus entendus dans les rues. Bouteflika et son entourage incarnent un régime qui n’a jamais partagé le pouvoir depuis l’indépendance en 1962.

Jeune ministre et figure du tiers mondisme

“Abdelaziz Bouteflika est un personnage considérable dans l’imaginaire collectif algérien”, explique l’historien Benjamin Stora, “il a épousé la trajectoire de l’Algérie depuis sont indépendance et même avant”. Membre du clan d’Oujda pendant la guerre contre la France, il accède aux responsabilités dès l’indépendance : ministre de la jeunesse et du tourisme à 25 ans.

Le 19 juin 1965, il est partie prenante dans le coup d’état contre Ahmed Ben Bella qui permet à Houari Boumediene de prendre le pouvoir. Bouteflika devient alors le plus jeune ministre des affaires étrangères du monde, un poste qu’il occupe pendant treize ans, jusqu’en 1978.

Décrit comme fin diplomate et redoutable politique, il s’impose comme figure du tiers mondisme et porte la parole de l’Algérie auprès de l’ONU. En 1974, il préside l’Assemblée générale des Nations unies à New York : une consécration. C’est lors de cette 29e session que Yasser Arafat s’exprime pour la première fois à cette tribune.

Exil aux Émirats, en Suisse et en France

Dans les années 70 déjà, il est “considéré comme l’un des successeurs potentiels de Boumediene au poste de président”, explique Benjamin Stora, mais les événements en décident autrement. Quand Boumediene succombe d’une maladie du sang fulgurante en 1978, Bouteflika obtient un poste de ministre d’Etat du nouveau président Chadli Bendjedid mais il est peu à peu évincé et quitte la scène politique en 1981.

Poursuivi par la Cour des comptes pour des accusations de détournement d’argent sur des comptes en Suisse du temps où il était ministre des affaires étrangères, il choisit de s’exiler et passe plusieurs années loin de l’Algérie : aux Emirats, en Suisse et en France.

Il garde néanmoins le contact avec les cercles du pouvoir algérien et revient finalement au pays en 1999 pour se présenter à l’élection présidentielle. La guerre civile algérienne fait alors rage depuis 1991 (on estime qu’elle a causé la mort de 100 000 à 200 000 jusqu’en 2002), déclenchée par l’annulation du résultat des élections législatives par le gouvernement, qui craignait la victoire du FIS (Front islamique du salut).

La fin de la guerre civile


Abdellaziz Bouteflika avait annoncé son intention de se présenter à la présidentielle dès la fin de l’année 1998. Il est finalement élu avec 73% des voix en avril 1999 mais son élection est controversée, tous ses concurrents ayant décidé de se retirer pour dénoncer les conditions d’organisation du vote. Avant son élection, Bouteflika avait prévenu : “je ne reviens pas pour être un trois-quart de président”.

Le nouveau président algérien met en place une politique d’amnistie pour en finir avec la guerre civile. “Abdelaziz Bouteflika arrive dans une conjoncture favorable puisque le conflit est alors finissant”, précise Massenssen Cherbi, constitutionnaliste et auteur d’un manuel d’introduction à l’Algérie (Algérie, Éditions de Boeck Supérieur, 2017). “Aujourd’hui, les soutiens du président mettent en valeur son rôle de pacification. Il a effectivement mis en œuvre une politique de réconciliation nationale mais à la différence de l’Afrique du Sud post apartheid, on a pardonné à des gens qui ne demandaient pas pardon pour leurs actes”.

Quatre mandats pour rien ?

Abdelaziz Bouteflika le 23 novembre 2017 à Alger.• Crédits : Ryad Kramdi – AFP



Depuis, Abdelaziz Bouteflika est resté en place, réélu successivement en 2004, 2009 et 2014. Et ce malgré son AVC en 2013 qui l’a lourdement handicapé, l’obligeant à se retirer progressivement de tous les événements publics, où il n’apparaît plus qu’en fauteuil roulant et sans prendre la parole.

Quatre mandats pour quel bilan ? “En matière économique, l’Algérie est toujours aussi dépendante de la rente pétrolière”, explique Massenssen Cherbi, “les hydrocarbures représentent 95% du total des exportations du pays. Bouteflika n’a pas diversifié l’économie algérienne, la vie des affaires est bridée. Sa politique a consisté à acheter la paix sociale en construisant des barrages, des logements mais aujourd’hui, ça ne fonctionne plus…”

La rente pétrolière s’essouffle en effet du fait de la chute des prix du baril. “Les réserves de change qui étaient proches des 200 milliards de dollars en 2014 ont fondu de moitié depuis”, expliquait en 2018 Alexandre Kateb, économiste et spécialiste des économies émergentes, dans une interview à TV5 Monde. D’après la Banque mondiale, qui publie une étude sur la facilité de faire des affairesdans un pays (étude Doing business), l’économie algérienne figurait à la 157e place sur 190 en 2019.

D’un point de vue politique, le bilan est également mauvais. “On l’oublie aujourd’hui mais le début du mandat de Bouteflika a été marqué par ce qu’on a appelé le ‘printemps noir’”, explique Massenssen Cherbi, “des manifestations réprimées dans le sang qui avaient causé la mort d’environ 130 personnes en 2001”. En 2011, l’Algérie n’est pas touchée par la vague des printemps arabes “mais aujourd’hui, la peur est passée. Le pouvoir a beau mettre en garde les manifestants, 45% de la population algérienne a aujourd’hui moins de 25 ans, ils n’ont pas connu la décennie noire, le printemps noir…”

“Bouteflika fait partie de ceux qui ont fabriqué l’Etat-nation algérien après l’indépendance”, explique l’historien Benjamin Stora, “mais aujourd’hui, les Algériens veulent aller de l’avant, se réapproprier leur démocratie, affronter les défis de l’avenir”. Déjà ministre en 1962, Abdelaziz Bouteflika incarne finalement la continuité d’un régime autoritaire, malgré les révolutions et évolutions internes qu’il a pu connaître.