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Pour construire une autoroute, Israël va chasser les Bédouins de chez eux

Ben White 29/Janvier/2019
Le gouvernement israélien projette de déplacer par la force au moins mille familles palestiniennes bédouines dans le cadre du projet de construction d’une nouvelle autoroute dans la région de Naqab (Néguev).

Le tracé du nouveau tronçon de l’autoroute 6 prévoit déjà l’expulsion d’une centaine de familles bédouines. En décembre 2018, cependant, le ministre de l’Agriculture Uri Ariel a déclaré qu’il avait l’intention de profiter de la situation pour expulser 900 autres familles.
« Le gouvernement doit montrer qu’il contrôle le Néguev », a déclaré Ariel, pour qui la construction de l’autoroute est l’occasion de « rendre à l’État d’immenses étendues de terre » – selon les termes souvent utilisés par les fonctionnaires pour parler de l’expulsion des communautés bédouines.
Yair Maayan, chef de l’Autorité du développement des Bédouins, un organisme gouvernemental qui joue un rôle central dans les démolitions et les expulsions, a ajouté : « La construction de l’autoroute est une étape très importante pour la transformation du Néguev en territoire développé et réglementé ».
Un tel discours fait depuis longtemps partie de la politique des autorités israéliennes dans le Néguev. Pendant la Nakba, la grande majorité de la population bédouine palestinienne de la région a été soit expulsée de ce qui est devenu l’État d’Israël, soit regroupée dans une zone appelée « Siyag » (clôture).
Depuis lors, le « développement » du Néguev s’est traduit par des efforts répétés pour déplacer les Palestiniens bédouins de villages dits non reconnus vers des villes et des villages reconnus par le gouvernement.
Détruire des maisons
Même sans le transfert à grande échelle dont Ariel les menace, le nouveau tronçon de l’autoroute 6 aura un effet dévastateur sur les Palestiniens bédouins locaux, selon les groupes de défense des droits humains.
« Il y a environ 350 maisons qui vont déjà être détruites à cause de cette route », a déclaré à Al Jazeera Dafna Saporta, une architecte qui travaille pour Bimkom, un ONG israélienne dédiée à la planification et aux droits humains. « En plus des 60 routes bloquées ou inutilisables, qui séparent les communautés locales et les familles. »
Les démolitions de maisons et les expulsions de Palestiniens par les autorités d’occupation israéliennes en Cisjordanie et à Jérusalem-Est font souvent l’objet d’une condamnation internationale, même si elle est sans véritable conséquence. Mais le déplacement des citoyens palestiniens bédouins ne suscite pas de réaction.
A quelques exceptions près : le projet de détruire tout le village d’Oum al-Hiran pour construire une ville juive à la place a suscité des critiques internationales. (En mai dernier, le ministre de l’Agriculture Ariel a mentionné son soutien au projet d’Oum al-Hiran, lorsqu’il a parlé de l’autoroute 6).
En 2011-2013, les efforts déployés par les autorités israéliennes pour procéder à l’expulsion massive des Palestiniens bédouins – connue sous le nom de Plan Prawer – se sont heurtés à une résistance bien organisée sur le terrain et ont également suscité l’inquiétude des groupes internationaux de défense des droits humains et de diplomates.
Mais même si le plan Prawer du gouvernement israélien a été bloqué, les démolitions et les transferts de population se sont poursuivis sur le terrain, à un rythme effréné, morceau par morceau.
« Des méthodes différentes »
En 2017, comme l’a signalé le Forum du Néguev sur la coexistence pour l’égalité civile, le nombre de démolitions dans les villages bédouins du Néguev a atteint un niveau record, avec la destruction de 2220 structures. Plus d’un tiers des structures démolies étaient des habitations.
Mais la construction de l’autoroute 6 se fait avec des méthodes et un argumentaire différents des habituels raids de démolition, selon les militants et les soutiens des Bédouins. C’est le « développement » qui est désormais invoqué pour justifier les expulsions.
L’avocate Myssana Morany, coordinatrice de l’Unité des droits fonciers et d’urbanisme d’Adalah, a déclaré à Al Jazeera : « le projet Prawer a été gelé, mais nous le voyons réapparaître maintenant sous une nouvelle forme. »
Myssena Morany a mentionné plusieurs grands projets d’infrastructure qui chasseront les résidents bédouins, y compris une ligne de chemin de fer qui « engloutira de vastes étendues de terres et causera de graves dommages à la communauté bédouine de Rahma, forte de 1400 personnes ». Une nouvelle mine de phosphate entraînera également le déplacement forcé d’au moins 10 000 citoyens bédouins.
De plus, le géant israélien de l’armement IMI (récemment acheté à l’État par Elbit Systems), relocalise d’énormes installations de tests dans le Néguev « ce qui menace les occupants d’environ 1 200 maisons et autres structures bédouines de transfert forcé », sans compter la relocalisation massive d’infrastructures militaires israéliennes dans la région.
Ils utilisent des termes comme « développement » et décident de transférer des structures militaires dans le Naqab comme s’il était vide, » dit Morany, « comme si les Bédouins n’existaient pas ».
Saporta est d’accord avec elle. « Lorsqu’ils planifient ces développements à grande échelle, les Bédouins qui vivent dans ces zones sont des citoyens invisibles que l’État ne voit pas », a-t-elle dit à Al Jazeera.
La vision sioniste
Certains projets d’infrastructure sont justifiés par les autorités israéliennes en termes clairement idéologiques.
Il y a un an, le ministère du Logement et de la Construction a lancé un plan de construction de logements dans le Néguev et en Galilée, qui a été décrit par le ministre de l’époque, Yoav Galant, comme « un pas important vers la réalisation de la vision sioniste de l’implantation ». Lors du lancement, Galant s’est dit « choqué par l’ampleur des constructions illégales de bâtiments bédouins » dans le Néguev, et a déclaré : « Nous ne devons pas perdre notre emprise sur le sud. »
En juin 2018, Galant a dit à la Knesset, à propos du projet de créer de nouvelles communautés dans le Néguev : « Le sud n’est pas attaqué seulement depuis Gaza, la construction illégale et hostile dans les zones rurales bédouines du Néguev et dans la région de Beersheba ces dernières années est devenue hors de contrôle ».
« Le programme de renforcement de la colonisation juive dans le Néguev constitue une solution stable et de long terme pour le contrôle juif de la région », a-t-il ajouté.
Rafat Abu Aish, enseignant, journaliste et militant, a dit à Al Jazeera que son village natal de Laqiya, une communauté bédouine palestinienne près de Beersheva, est encerclé par des infrastructures militaires israéliennes et par la communauté juive du Carmit, « ce qui ne laisse aucun espace au village pour se développer ».
« Vous verrez que bientôt, il y aura des communautés juives ou des bases militaires entre toutes les communautés bédouines », a dit Abu Aish, et il a ajouté « C’est pour nous séparer les uns des autres – tout cela est très organisé ».
Pour les Palestiniens bédouins et leurs soutiens de la société civile, résister aux plans des autorités israéliennes n’est pas facile.
« Nous sommes à une mauvaise époque », a déclaré Saporta, ajoutant que, même s’il y avait un changement de gouvernement, il est peu probable (mais pas impossible) que cela modifie fondamentalement les relations de l’État avec la population bédouine depuis quelque 70 ans.
« Ce que nous pouvons faire, cependant, c’est utiliser cette opportunité pour essayer d’obtenir la reconnaissance officielle des villages qui se trouvent près de l’autoroute 6, » poursuit Saporta – « au lieu de déplacer la population, essayer de faire reconnaître les villages », et elle a ajouté que des projets récents tels que le Plan du district de Beersheva permettaient de le faire.
Selon Abu Aish, qui a participé à la campagne pour bloquer le plan Prawer, l’expérience « a montré qu’on ne peut rien faire en s’appuyant sur la loi israélienne ».
« La seule façon de lutter, a-t-il poursuivi, c’est par la lutte populaire, en faisant connaître notre situation, en affirmant notre identité palestinienne et en faisant sortir les gens dans la rue.
* Ben White est journaliste indépendant, écrivain et militant, spécialiste Palestine/Israël. Il est diplômé de l’université de Cambridge. Il a notamment écrit Être palestinien en Israël – Ségrégation, discrimination et démocratie – Suivre sur Twitter : @benabyad
27 janvier 2019 – Al-Jazeera – Traduction : Chronique de Palestine – Dominique Muselet