General

Interview / Stéphane Aucante : “J’ai appris à aimer la Palestine et les palestiniens”

french.palinfo 20/Décembre/2018
A l’occasion de la sortie de son livre Naplouse, Palestine – portraits d’une occupation (Editions Dacres), Stéphane Aucante revient sur son expérience dans les territoires occupés alors qu’il était directeur de l’Institut Français de Jérusalem – antenne Naplouse de 2015 à 2017. Entretien fleuve. 

Le Journal de Saint-Denis : Vous étiez directeur délégué de l’Institut Français de Jérusalem – antenne de Naplouse (Cisjordanie) en 2015. Quel était votre rôle, vos missions ?
Stéphane Aucante : Notre rôle principal en tant que centre de langue française était d’accueillir des étudiants, surtout les étudiants de l’université de Naplouse, la plus grande de Cisjordanie (25 000 étudiants ndlr). Nous en recevions quatre-cents chaque année. Nous mettions aussi en place des cours de soutien qui s’adressaient aussi à des écoles catholiques, musulmanes, à des quinquagénaires qui voulaient juste entretenir leur français…
Le JSD : La langue française semble très ancrée en Cisjordanie…
S.A. : C’est vrai qu’il existe une belle image de la France qui s’est développée là-bas. Je me suis beaucoup appuyé dessus pour programmer des artistes français et développer des échanges entre artistes locaux et français. Nous avons contribué au développement du groupe de break-dance Stereo 48 (48 en référence à l’année de la Nakba). Ils sont issus des camps de réfugiés, leurs chorégraphies sont doublement plus fortes. Ils ont appris sur YouTube et grâce l’école de cirque de Naplouse. Je les ai aidés pour leur première création pour le festival de Ramallah. Nous leur avons mis à disposition le hall de l’institut, ils y ont répété un mois ou deux là-bas, on leur laissait les clés, je revenais juste fermer vers 23h.
Le JSD : D’où est parti l’idée de votre livre Naplouse, Palestine – Portraits d’une occupation ? Vous aviez envie de témoigner ?
S.A. : Je n’avais pas forcément envie de témoigner. La première idée c’était de donner des nouvelles à ma famille et mes amis proches différemment. Mais c’était très réducteur de faire un carnet de bord. Et très vite sur place j’ai croisé des gens formidables. J’ai décidé d’écrire plutôt des portraits, sortes de cartes postales améliorées. Plusieurs personnes m’ont dit que je devrais les publier.
Le JSD : Quel portrait vous a marqué ?
S.A. : La vingtième a été difficile à écrire. J’écris sur un garçon qui s’est fait abattre par un coup de couteau, pour une histoire sordide, une histoire de survie. Il avait 21 ans, il venait régulièrement à l’institut…. Son histoire m’a bcp bouleversé c’est pour ça que je l’écris à la première personne.
Le JSD : Votre livre dénonce-t-il l’occupation ?
S.A. : Il ne dénonce pas il cherche à la montrer différemment, à savoir comment elle joue dans la vie des êtres humains. Il y a même des moments de bonheur. Moi je trouve qu’on ne parle pas assez de la situation en Palestine. On ne nous en parle toujours que sous le prisme de l’occupation dure, militaire … Moi je voulais l’aborder sous un autre angle. L’impact sur leur vie quotidienne, leurs espoirs et désespoirs… Certains palestiniens sont résistent d’autres non, et parfois collaborent pour l’argent parce qu’il y a des pressions sur leur vie… Le Mossad approche de jeunes hommes, éduqués, car ils savent qu’ils n’ont qu’une envie c’est de partir. Il y a 50shebab convoqués par jour. J’en ai connu un qui a été approché par les services secrets israéliens. Son téléphone a été confisqué à lors d’un contrôle, il a ensuite été mis sur écoute (moi-même je l’ai été). Un jour ils ont appelé ce garçon, ils lui ont donné rendez-vous. Ils ont fait des menaces directes sur sa famille. Mais il a quand même refusé. Il veut devenir avocat et partir vivre aux Etats-Unis. C’est l’un des aspects terribles de l’occupation, elle est beaucoup plus insidieuse qu’on ne le croit. Les israéliens veulent pousser un certain nombre de palestiniens à quitter leur pays pour faciliter l’occupation. J’ai été confronté à une génération de jeunes qui n’ont pas connu l’intifada, qui ont baissé les bras et qui ne veulent plus se battre. Car cette sensation de prison est très intégrée par les palestiniens. 
Le JSD : Avez-vous subi des pressions à Naplouse ?
S.A. : J’ai fait le portrait d’un militaire qui m’a agacé pendant deux semaines malgré mon passeport diplomatique. Les français sont mal vus là-bas car on aide trop les palestiniens selon les israéliens, nous recevions des messages de haine ou de menaces. La France est un soutien historique et exemplaire de la Palestine. Récemment, un lycée français a ouvert à Ramallah, la France vient de doubler son aide à l’UNWRA, la Palestine est le seul pays qui reçoit directement une aide de l’Etat Français. (16 millions d’euros à l’autorité palestinienne pour la consolidation des institutions du futur Etat palestinien et le paiement des fonctionnaires ndlr). Mais le discours politique est de plus en plus contradictoire.
Le JSD : Quel était votre relation avec les habitants des camps de réfugiés de Naplouse ? 
S.A. : Il faut savoir qu’il existe quatre camps de réfugiés à Naplouse qui bénéficie chacun de jumelages avec des villes françaises. Valenton est jumelée avec Balata le plus grand camp, Chalette sur Loing avec Askar, Allonne (près de Le Mans) avec le dernier camp construit Askar II et Grigny, bientôt, sera jumelé avec le camp situé au cœur de Naplouse… Nous avons beaucoup travaillé avec les populations via ces jumelages autour de programmes de cours de français gratuits destinés aux enfants et financés par les villes françaises. Ce programme a remporté le prix Senghor-Césaire qui récompense un projet exemplaire de la défense de la francophonie. 
Le JSD : Après trente ans d’existence, le centre culturel de Naplouse a fermé ses portes sur ordre du Ministère des Affaires Etrangères. C’était le 31 juillet dernier…
S.A. : Le livre était déjà sous presse. J’ai reçu deux lignes par mail de la part du Quai d’Orsay. C’était assez blessant alors que j’avais réussi à redresser l’institut en augmentant de 50 % sa fréquentation ainsi que notre part d’autofinancement…Mais je m’y attendais. Le poste était un peu sur la sellette. 
Le JSD : Pourquoi une telle décision du Quai d’Orsay ?
S.A. : Ils ont invoqué une question de sécurité. Mais pour moi c’était un prétexte. Il y a un contexte particulier lié à la ville de Naplouse. Redresser l’institut français ça ne plaisait pas à tout le monde. Certains acteurs sur place se font de l’argent sur leur lien entre l’occident et la Palestine. Des gens malintentionnés dans l’humanitaire ont joué un rôle dans notre fermeture je pense. Il y a aussi des raisons financières qui n’ont pas aidé…
Le JSD : Comment étiez-vous considérez par le ministère ?
S.A. : Il n’y a jamais eu de dialogue direct. Tout était très compartimenté. En revanche, je me rappellerais toujours de cette phrase qu’un conseiller de coopération et d’action culturel (COCAC) nous répétait à l’envi. « Nous n’étions jamais que des drapeaux sur une carte ». 
Le JSD : Qu’est-ce que vos portraits racontent de la Palestine et du conflit israélo-palestinien ? Quel est votre regard sur la politique israélienne actuelle ?
S.A. : J’ai un regard critique, l’Etat israélien foule à quatre pieds les droits internationaux. Quand vous arrêtez, emprisonnez des jeunes gens, faites des rétentions administratives sans raison et renouvelables ad vitam eternam… C’est délirant. Surtout de la part d’un peuple qui a souffert autant. Il m’a été difficile de parler avec les israéliens, sauf les israéliens d’extrême gauche. Ceux de « gauche » ne sont plus très clairs ni très nombreux d’ailleurs. Pour beaucoup de citoyens israéliens vous êtes déjà un ennemi quand vous travaillez dans les territoires occupés. Pour eux, on aide les terroristes. Il y a une ignorance de la vie des palestiniens. L’inverse n’est pas vrai car beaucoup de palestiniens travaillent en Israël. Je n’ai pas d’opinion sur la politique israélienne tellement c’est aberrant. Par contre, côté palestinien, la solution à deux états, ça parait de plus en plus compliqué. Beaucoup de palestiniens n’y croient plus, d’autres préféreraient même une solution à un seul Etat, qu’il soit co-construit sur la base d’un état laïc. Deux tiers des territoires occupés sont des colonies israéliennes. C’est un gruyère. Or chaque peuple considère que l’intégralité du territoire est le sien… Israël est un rouleau compresseur. Pour rappel, il y a eu 200 000 colons en quatre ans, ce qui veut dire qu’ils sont 700 000 colons en Cisjordanie. Leur objectif est d’arriver à une population d’un million d’ici en 2020. Les palestiniens ont juste envie d’être libres, de vivre en paix et de pouvoir circuler.
Le JSD : Vous considérez-vous comme militant pro-palestinien ? 
S.A. : Non je ne le suis pas et je ne le serai jamais. J’ai appris à aimer la Palestine et les palestiniens, et j’aimerais avoir un rôle à jouer, aussi humble soit-il.
Même si ce n’était pas le but je m’aperçois que mon livre m’aide à participer à quelque chose. Quand j’étais à Naplouse j’ai constaté qu’il y avait un fossé. Ici, l’information est très orientée, partielle parfois sensationnaliste. Il n’y a pas que de la violence. A présent, je vais me dédier à l’ouverture d’une antenne de l’Alliance française : c’est quelque chose de concret, simple, efficace qui répond à une vraie demande. Contrairement à l’action de certains pro-palestiniens qui n’est pas forcément comprise là-bas. Pour moi ces militants sont à côté de la plaque par rapport au discours ou aux besoins réels de la population. Il y a un décalage. Les militants ici soutiennent mordicus que tous les palestiniens sont résistants, mais c’est faux. Beaucoup veulent juste partir.
Propos recueillis par Maxime Longuet