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La Toile se mobilise pour une jeune iranienne arrêtée pour avoir dansé sur Instagram

Le Monde 
L’Iranienne Maedeh Hojabri aurait peut-être préféré éviter de devenir aussi célèbre. 

Connue dans un premier temps uniquement par des adolescents guère politisés grâce à sa page Instagram, sur laquelle elle publiait des vidéos d’elle dansant lascivement sans le voile réglementaire, la jeune fille de 18 ans a obtenu une renommée nationale – et internationale – depuis son arrestation par la police et la diffusion de ses aveux à la télévision publique, vendredi 6 juillet. Elle a, depuis, son propre mot-dièse sur la Toile iranienne, et de nombreux internautes, parfois journalistes et militants politiques, ont publié leur clip de danse en soutien à Maedeh Hojabri.

La cyberpolice iranienne (FATA) avait annoncé un mois plus tôt l’interpellation de quelques Iraniens actifs sur Instagram qui avaient, selon elle, publié des « contenus immoraux ». Vendredi, la première chaîne de télévision a diffusé une émission de trente minutes intitulée « Le documentaire du mauvais chemin », qui montre trois jeunes filles et un garçon avouant avoir publié des images de leurs danses ou de leurs soirées, portant atteinte à la moralité islamique.
En République islamique d’Iran, les femmes doivent se couvrir tout le corps, sauf le visage et les mains. Dans l’espace public, la police des mœurs veille au bon respect des codes vestimentaires, et les hors-la-loi, hommes et femmes, sont parfois arrêtés et emmenés au poste, où ils doivent demander à leurs proches de leur amener des vêtements « décents », avant d’être relâchés.
Des internautes ont identifié les jeunes au visage flouté comme étant ceux de Maedeh Hojabri, Elnaz Ghasemi, Shadab et Kamy – dont on ignore les noms de famille -, tous les quatre très populaires sur Instagram. « Je regrette [mes vidéos], mais je ne cherchais pas à répandre l’immoralité », a affirmé, en pleurs, Maedeh Hojabri, lors de l’émission diffusée à la télévision iranienne. Selon certains sites d’information iraniens basés à l’étranger, les quatre jeunes ont tous été relâchés sous caution, mais il est très probable qu’ils soient en attente d’un procès.
En 2016, déjà, certaines Iraniennes qui pratiquaient le mannequinat et qui avaient publié des photos sans foulard et choquantes pour la morale islamique avaient été arrêtées. A l’époque, les autorités les avaient accusées d’avoir voulu pervertir la jeunesse iranienne en prônant un mode de vie « anti-iranien » et « occidental ». Certaines de ces jeunes femmes, à l’instar d’Elnaz Golrokh, ont depuis quitté l’Iran.
Les larmes de Maedeh Hojabri à la télévision ont provoqué un tollé sur les réseaux sociaux. Le mot dièse #Beraghs_ta_beraghsim (« Danse pour que nous continuions à danser », en persan) est depuis devenu très populaire.
« Voici ma danse dans l’atelier, en pensant aux danseurs détenus. Libérez-les, laissez les gens vivre avec ces petites raisons de bonheur », a tweeté l’ancien journaliste politique Milad Fadai Asl qui, après plusieurs détentions, a choisi de devenir ouvrier.
L’internaute Solmaz Eikder‏, elle, a publié une vidéo de sa mère accompagnée d’un commentaire : « Ma mère m’a dit : Je danse pour votre adolescence et jeunesse volées, pour la liberté et la joie que vous méritez. »
Alors que depuis quelques mois l’Iran traverse une grave crise avec une hausse vertigineuse des prix des devises étrangères et que les affaires de corruption, révélées au grand jour ces dernières semaines, se succèdent, des internautes accusent les autorités d’une politique du « deux poids deux mesures », notamment dans leur traitement des délinquants économiques et celui des jeunes danseurs. « L’opinion publique est occupée par les affaires de corruption, mais la justice et la télé iranienne (…) diffusent le spectacle des larmes de Maedeh Hojabri », s’est ainsi indigné l’utilisateur de Twitter, Hermes.
L’Iranienne Reihaneh Taravati, qui avait été arrêtée en 2014 avec cinq autres jeunes pour avoir publié une vidéo d’elle en train de danser sur le célèbre tube de Pharrell Willliams « Happy », a également réagi. « Vous m’aviez arrêtée pour avoir été heureuse alors que j’avais 23 ans. Maintenant, vous arrêtez Maedeh Hojabri et elle n’a que 18 ans. Qu’est-ce que vous allez faire aux générations futures? », a-t-elle écrit.
Dimanche 8 juillet, une autre Iranienne, Shaparak Shajarizadeh, a été condamnée à deux ans de prison pour avoir ôté son voile en public. Depuis décembre 2017, plusieurs femmes ont été arrêtées pour avoir défié la loi les obligeant à porter le foulard. La célèbre avocate iranienne, Nasrin Sotoudeh, qui représente certaines de ces femmes, dont Shaparak Shajarizadeh, est, elle aussi, en prison, depuis le 13 juin, pour avoir pris la défense dans les médias d’une de ses clientes.
Ces dernières semaines, une rumeur concernant la censure très prochaine d’Instagram s’est amplifiée. Une mesure d’autant plus plausible aujourd’hui que l’émission diffusée à la télévision iranienne constitue, avant tout, un plaidoyer contre ce réseau social. Autre application très appréciée par les Iraniens, la messagerie instantanée Telegram a été bloquée début mai. Elle est désormais exclusivement accessible avec des logiciels antifiltrage.