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Pour résoudre la crise des réfugiés, arrêtez les guerres !

Ramzy
Baroud, Chronique Palestine, 24 juin 2018

L’Europe
est confrontée à la plus grave crise des réfugiés depuis la Seconde Guerre
mondiale. Toutes les tentatives pour résoudre le problème ont échoué,
principalement parce qu’elles en ont ignoré les causes profondes.
Photo :
Patrick Bar. SOS Méditerranée
Le 11
juin, le nouveau ministre italien de l’Intérieur, Matteo Salvini, a empêché
le navire de sauvetage Aquarius,
transportant 629 réfugiés et migrants fuyant la pauvreté, d’accoster dans ses
ports.

Une
déclaration de Médecins Sans Frontières (MSF) a fait savoir
que le bateau transportait 123 mineurs non accompagnés et sept femmes
enceintes.
« A
partir de maintenant, l’Italie commence à dire NON au trafic d’êtres humains,
NON à l’immigration illégale », a déclaré Salvini, qui dirige également le
parti d’extrême droite de la Ligue du Nord.
Le nombre
de réfugiés a été traité à maintes reprises comme une simple statistique dans
les bulletins d’informations. En réalité, il y a 629 vies précieuses en jeu,
chacune avec une raison impérative pour entreprendre ce voyage mortel.
Alors que
la cruauté de refuser l’accès à un bateau chargé de réfugiés désespérés est
évidente, elle doit être considérée dans un contexte plus large relatif à
l’évolution rapide du paysage politique en Europe et aux crises en cours au
Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Le
nouveau gouvernement italien, une coalition du mouvement Cinq étoiles
[prétendument] « anti-establishment » et du parti d’extrême-droite La
Ligue du Nord, semble vouloir arrêter l’afflux de réfugiés dans le pays, comme
l’engagement
en a été pris lors de la campagne électorale.
Cependant,
si les politiciens continuent d’ignorer les causes profondes du problème, la
crise des réfugiés ne disparaîtra pas d’elle-même.
La vérité
qui dérange est la suivante : l’Europe est responsable d’une grande part du
chaos qui règne au Moyen-Orient. Les commentateurs les plus réactionnaires
voudront peut-être omettre cette partie du débat, mais les faits ne
disparaîtront pas s’ils ne sont pas pris en compte.
Les
politiciens européens devraient honnêtement se poser la question de savoir
quelles sont les raisons qui conduisent des millions de personnes à quitter
leurs foyers. Et se préoccuper de mettre sur pied des solutions honnêtes et
humaines…
En 2017,
un soulèvement transformé en guerre civile en Syrie a conduit à l’exode de
millions de réfugiés syriens.
Ahmed est
un réfugié syrien de 55 ans, qui a fui le pays avec sa femme et ses deux
enfants. Sa raison de partir n’était autre que la guerre écrasante et
meurtrière.
Il a déclaré
à l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés: « Je suis né à Homs et je
voulais y vivre jusqu’à la fin de ma vie, mais cette guerre brutale ne nous a
laissé d’autre choix que de tout laisser derrière nous. Pour l’avenir de mes
enfants, nous devions prendre ce risque. »
« J’ai
dû payer au trafiquant huit mille dollars américains pour chaque membre de ma
famille ; je n’ai jamais rien fait d’illégal de toute ma vie, mais il n’y avait
pas d’autre solution. »
Sauver sa
famille signifiait enfreindre les règles; des millions feraient la même chose
s’ils étaient confrontés au même dilemme. En fait, des millions l’ont fait.
Les
immigrés africains sont souvent accusés d’avoir « profité » de la
côte libyenne devenue poreuse pour atteindre l’Europe. Pourtant, beaucoup de
ces réfugiés avaient vécu en paix en Libye, et ils ont été forcés de fuir à la
suite de la guerre menée par l’OTAN contre ce pays en mars 2011.
« Je
suis originaire du Nigeria et je vivais en Libye depuis cinq ans quand la
guerre a éclaté », écrit Hakim
Bello
dans le Guardian.
« J’avais
une vie agréable : je travaillais comme tailleur et je gagnais assez pour
envoyer de l’argent à mes proches. Mais après le début des combats, les gens
comme nous – les Noirs – sont devenus très vulnérables. Si tu sortais manger
quelque chose, un gang t’arrêtait et te demandais si tu les appuyais. Ils
pouvaient être des rebelles, ils pouvaient être du côté du gouvernement, vous
ne saviez pas. »
Le chaos
en Libye a conduit non seulement à la persécution de nombreux Libyens, mais
aussi de millions de
travailleurs
africains, comme Bello. Beaucoup de ces travailleurs ne
pouvaient ni rentrer chez eux ni rester en Libye. Ils ont, eux aussi, rejoint
les dangereuses et massives fuites vers l’Europe.
L’Afghanistan
déchiré par la guerre a servi de modèle tragique de la même histoire.
Ajmal
Sadiqi a fui l’Afghanistan, qui est dans un état de guerre constant depuis de
nombreuses années, une guerre qui a pris un tour beaucoup plus mortel depuis
l’invasion américaine en 2001.
Sadiqi a raconté
à CNN que la grande majorité de ceux qui l’ont rejoint lors de son périple
depuis l’Afghanistan à travers d’autres pays vers la Turquie, la Grèce et
d’autres pays de l’UE, sont morts en cours de route. Mais, comme beaucoup dans
sa situation, il avait peu d’alternatives.
« L’Afghanistan
est en guerre depuis 50 ans et les choses ne changeront jamais », a-t-il
déclaré.
« Ici,
je n’ai rien, mais je me sens en sécurité, je peux marcher dans la rue sans
avoir peur. »
Hélas, ce
sentiment de sécurité est peut-être temporaire. Beaucoup en Europe refusent
d’examiner leur propre responsabilité après avoir créé ou nourri des conflits
autour du globe, et perçoivent même les réfugiés comme une menace.
Malgré le
rapport évident entre les guerres soutenues par l’Occident et la crise des
réfugiés dans l’Union Européenne, aucun réveil moral ne s’est encore produit.
Pire encore, la France et l’Italie sont maintenant impliquées dans l’exploitation
des factions en guerre en Libye dans le sens de leurs propres intérêts.
La Syrie
n’est pas une histoire totalement différente. Là aussi, l’UE n’est
guère innocente
.
La guerre
en Syrie a entraîné un afflux massif de réfugiés, dont la plupart sont
recueillis par les pays voisins du Moyen-Orient, mais beaucoup ont franchi la
mer pour chercher la sécurité en Europe.
« Toute
l’Europe a la responsabilité d’empêcher les gens de se noyer. C’est en partie à
cause de leurs actions en Afrique que les gens ont dû quitter leur foyer », a
déclaré M. Bello.
« Des
pays comme la Grande-Bretagne, la France, la Belgique et l’Allemagne pensent
qu’ils sont loin et pas responsables, mais ils ont tous pris part à la
colonisation de l’Afrique. L’OTAN a pris part à la guerre en Libye. Ils font
tous partie du problème. »
Il est à
prévoir que Salvini et d’autres politiciens partageant les mêmes idées refusent
d’aborder la crise de la façon adéquate.
Ils
utilisent le discours qui leur garantit des votes, tout en ignorant le fait
évident que sans interventions militaires, exploitation économique et ingérence
politique, une crise de réfugiés – au moins une crise de cette ampleur – ne
pourrait se produire.
Tant que
les gouvernements de l’UE n’auront pas reconnu ce fait, le flux de réfugiés
continuera à augmenter, provoquant des tensions politiques et contribuant à la
perte tragique de vies de personnes innocentes, dont le seul espoir est
simplement de survivre.