General

Maghreb : les oukazes du gouvernement italien

Benoît Delmas, Le Point Afrique, 12/06/2018
Le nouveau ministre de l'intérieur, leader de la Ligue du Nord, Matteo Salvini, promet d'expulser les immigrés clandestins. En ligne de mire : « 40 000 Tunisiens ».
Le ministre italien de l'Intérieur a décidé de refuser l'accès aux ports de la Péninsule à l'« Aquarius », bateau humanitaire ayant recueilli 629 migrants à son bord. © AFP/Carmelo Lenzo
À peine son costume de ministre de l'Intérieur revêtu, Matteo Salvini a mis le cap à l'extrême sud de son pays afin de visiter un centre d'accueil de migrants. Pas vraiment une visite de courtoisie. Ses supporteurs l'attendaient à l'extérieur, l'encourageant à se montrer implacable avec les « étrangers ». Salvini s'en est pris frontalement à la Tunisie, l'accusant sans détour de n'envoyer que des « criminels » et pas des « gentlemen ». Comme si le phénomène des « harragas » était une politique d'État. L'ambassadeur d'Italie en Tunisie, fraichement nommé, a été convoqué par le ministère des Affaires étrangères. Et les propos ministériels ont été tempérés, « sortis de leur contexte ». Novlangue usuelle.
Le pragmatisme brutal
Touchée de plein fouet par l'immigration irrégulière, 180 000 arrivées en 2016, l'Italie a employé tous les moyens pour l'endiguer. Les ONG ont été priés, manu militari, de ne plus recueillir les rescapés de la traversée. Un véritable barrage flottant a été installé sur la Méditerranée. Rome est allé, par des canaux officieux, négocier avec les milices libyennes afin que les passeurs « modèrent » leur petit commerce. Dans un temps plus lointain, Silvio Berlusconi, alors président du Conseil, avait régularisé 20 000 sans-papiers afin que ceux-ci puissent s'éparpiller en Europe. Objectif : mettre dans l'embarras les autres pays de l'UE. Depuis, le flot de migrants irréguliers venus des côtes tripolitaines s'est considérablement tari. Mais les départs depuis la Tunisie ont considérablement augmenté. Selon Lorena Lando, chef de mission de l'OIM (Organisation internationale pour les migrations), « ils étaient un millier par an depuis 2013 mais à partir du mois d'août 2017 ils sont 6 151 à être arrivés en Italie et 7 800 stoppés au niveau des côtes tunisiennes ». Un chiffre très important qui « a continué malgré l'hiver, car la mer est plus difficile ». Depuis 2018, les Tunisiens représentent la première nationalité des migrants irréguliers parvenus jusqu'aux rives italiennes. La situation économique et sociale que vit le pays explique ce phénomène.
Salvini : élu pour mener cette politique
Tel un Trump milanais, Salvini a consacré son premier déplacement à sa marotte, son obsession, sa ligne politique : ces migrants responsables, selon lui, de beaucoup de maux. Discours martial : ce sera le départ pour tous ! Un discours qui est éminemment politique. La Ligue du Nord ne recrute guère au sud. D'où ce premier déplacement en Sicile afin de conquérir des voix supplémentaires. « L'Italie a cessé de baisser la tête », a affirmé Salvini, ajoutant que son pays ne « serait plus le camp de réfugiés de l'Europe ». Ce qui n'est pas inexact. L'absence de politiques transnationales place Rome dans une situation délicate. Les dernières législatives ont placé le Mouvement 5 Étoiles et la Ligue du Nord aux commandes de l'État.
Un conflit sémantique
En accusant frontalement la Tunisie, Salvini s'est surtout adressé aux électeurs italiens. Affirmant que les propos de campagne électorale seront respectés. Pour autant, le chiffre tout rond de « 40 000 » Tunisiens expulsables demeure sujet à caution. Sur combien d'années, sur quelles bases ? Et les voisins, Algérie et Maroc, sont aussi dans le colimateur du nouvel exécutif romain. Le navire Aquarius, et ses 629 migrants, n'a pu accoster en Italie et à Malte suite aux décisions des autorités. L'Espagne a accepté de les accueillir.
Nord et Sud : une équation politique
Quand le Nord, l'Europe, par peur d'une montée des extrêmes droites (France, Allemagne, Autriche, Italie, Slovénie…), veut contrer l'immigration clandestine, le Sud fait de même, via une politique sécuritaire, afin de « ne pas donner une mauvaise image du pays ». La réponse ne peut être qu'économique. La morale est une chose, 100 000 migrants par an ne devraient pas effrayer un continent de 500 millions d'habitants. Quant au Sud, la politique du déni ne peut plus durer. Si la jeunesse tente, coûte que coûte, de franchir la mer qui sépare les deux continents, c'est que le manque d'espoir local est profond et durable. Même si Matteo Salvini décide de casser le vase de Soissons.