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Le Parlement européen réclame la remise en marche de l’espace Schengen

Ninon
Bulckaert, EURACTIV, 31 mag 2018

Le
Parlement européen réclame l’adhésion de la Roumanie, de la Bulgarie et de la
Croatie à l’espace Schengen, dont le fonctionnement a souffert de plusieurs
rétablissements de contrôle aux frontières depuis 2015.
Face à la
crise migratoire et à la menace terroriste, plusieurs Etats européens ont
rétabli le contrôle aux frontières au sein de l’Europe. [Shutterstock]

Face à la
crise migratoire et à la menace terroriste, plusieurs États européens ont
rétabli le contrôle aux frontières au sein de l’Europe. Une mesure qui va à
l’encontre des principes de l’espace Schengen et met en danger la
libre-circulation des citoyens européens.
Une
situation de repli sur soi que les députés européens ont dénoncée dans le
rapport annuel sur le fonctionnement de l’espace Schengen, adopté mercredi 30
mai à 439 voix contre 157 et 80 absentions.  Un résultat qui « envoie
un message fort et positif à la Commission européenne », s’est félicité
 le rapporteur portugais Carlos Coelho (PPE).
Parmi les
contrôles aux frontières pointés par le rapport, l’Italie a fermé sa frontière
autrichienne, à la suite d’une demande de l’Allemagne. Berlin a suivi quelques
jours plus tard en 2015. L’effet domino s’est propagé en République tchèque et
en Slovaquie, qui ont également souhaité contrôler le flux de migrants à la
frontière autrichienne – et hongroise dans le cas de la Slovaquie.
La France
a également rétabli des contrôles aux frontières en raison de la menace
terroriste qui plane sur le territoire depuis 2015. Plusieurs fois renouvelés,
les contrôles sont prolongés jusqu’en avril 2018, alors qu’en théorie, la
dérogation ne peut durer au-delà de deux ans.
La
frontière franco-italienne est particulièrement soumise à ces contrôles, afin
de maîtriser principalement les flux migratoires au sein de l’espace Schengen,
avec l’île de Lampedusa, point d’arrivée de nombreux migrants. La frontière
italienne nord, au niveau de Briançon et de la vallée de Névache, voit
également des personnes arriver d’Afrique de l’Ouest, qui essaient de traverser
par les cols jusqu’en France. Le rétablissement des frontières a permis d’en
refouler une grande partie vers l’Italie.
Le
rapport précise que ce retour aux frontières dures au sein de l’Union a de
« graves répercussions sur la vie des citoyens européens […], et altère
considérablement la confiance dans les institutions européennes. »
Création
de Frontex
Quelques
points positifs sont cependant à relever, dont le principal est la création de
l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex). Les
mesures prises aux frontières extérieures ont été jugées efficaces.
La
réintroduction de contrôle aux frontières intérieures est autorisée
ponctuellement par le Code frontières Schengen en cas de « menace grave pesant
sur l’ordre public ou la sécurité intérieure ».
Selon les
députés, la prolongation des contrôles aux frontières n’a pas toujours été
justifiée. Les pratiques des États membres se sont parfois opposées clairement
aux principes de Schengen.
Le
rapport souligne aussi les coûts importants engendrés par les contrôles aux
frontières, en insistant sur le fait que ceux-ci portent atteinte au marché
unique. Selon une étude menée par Andrew Lilico, Summayah Leghari et Marika
Hegg de « Europe Economics », le non-respect de Schengen pendant une
durée de deux ans coûte ainsi entre 25 et 50 milliards d’euros. Si tous les
pays réinstauraient de façon permanente le contrôle aux frontières,  le
coût atteindrait 100 à 230 milliards d’euros sur dix ans.
Adhésion
de la Bulgarie et de la Roumanie
Le
rapport  propose de rétablir le fonctionnement normal de Schengen pour
revenir à une Europe décloisonnée, en réformant le système d’information
Schengen (SIS) et en renforçant  les ressources financières et humaines à
sa disposition. Le Parlement européen appelle également à « l’adhésion
immédiate de la Bulgarie et de la Roumanie à l’espace Schengen, et à celle de
la Croatie dès qu’elle remplira les critères d’adhésion ».
L’accent
est aussi mis sur la nécessité pour l’Europe d’améliorer l’aspect humanitaire
dans sa gestion des migrants et des demandeurs d’asile.
Le
rapport rappelle le grand nombre de décès en Méditerranée. On estime à au moins
3 119 morts ou disparus pendant la traversée pour la seule année 2017, en
baisse par rapport aux 5 143 de 2016. Il est donc urgent « d’apporter une
réponse permanente, solide et efficace dans les opérations de recherche et de
sauvetage ».
Et pour
ceux qui parviennent à trouver refuge en Europe, les États membres sont appelés
à leur garantir des conditions de vie convenables, y compris dans les centres
de détention, qui doivent, selon le rapport, rester « une mesure de
dernier recours ».
Autre
point de crispation pour Schengen, le règlement Dublin, qui prévoit que le pays
d’arrivée soit le pays qui gère les demandes d’asile. Sa réforme fait l’objet
d’une négociation entre le Parlement et le Conseil.
La
rapporteuse suédoise Cecilia Wikström (ALDE), lors d’une conférence de presse
donnée mercredi au Parlement, parle de « vide juridique ». Elle
ajoute : « Il faut soulager les États membres du sud en première
ligne. Tout le monde doit assurer sa part de responsabilité », quant à la
gestion des demandes d’asile.
Brice
Hortefeux, ancien eurodéputé et ministre de l’Intérieur, a critiqué le rapport
et souligné l’importance d’un durcissement des frontières et de la politique
migratoire en Europe.
«
L’Europe que nous avons aujourd’hui n’a rien à voir avec l’Europe de 1985. Nous
ne pouvons continuer de défendre un espace de libre circulation où la durée du
rétablissement des contrôles aux frontières intérieures est inadaptée à
l’ampleur de la menace terroriste transfrontière et de la criminalité organisée.
Nous ne pouvons rester démunis lorsque nous assistons à l’explosion du nombre
de franchissements irréguliers. Schengen doit être réformé, mais pas dans le
sens voulu par le rapport du Parlement européen », a-t-il déclaré.
Ce à quoi
Carlos Coelho répond : « C’est vrai, mais cela ne veut pas dire que
le contrôle aux frontières soit la solution. Au contraire, nous avons besoin
d’assurer la liberté de circulation aux citoyens européens. La situation
s’améliore, nous avons déjà constaté que les arrivées illégales en Grèce et en
Italie ont baissé ».