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Le déclin des droits de l’Homme, un mouvement qui vient de loin

Jean-Marc
Huissoud, The Conversation, 21 juin 2018, 21:04 CEST

L’abandon
par les États-Unis de leur participation au comité des Droits de l’Homme des
Nations-Unies met au grand jour une évolution discrète observable depuis
quelques années.
Au siège
des Nations unies à Genève, la salle où se réunit le Conseil des droits de
l’Homme. Ludovic
Courtès/Wikimedia
, CC BY-SA

Que
Donald Trump suive en cela les idéologues les plus durs de son courant (Steve
Bannon est resté dans l’ombre), qu’il s’affranchisse de toute contrainte légale
opposable au niveau internationale dans l’optique de sa politique migratoire
et, plus encore sans doute, prive d’une gamme de possibilité de recours son
opposition interne est évident. Mais les États-Unis ne font finalement que
prendre un train déjà lancé.

Les
promesses non tenues des années 2000
Le recul
progressif de l’importance de la Déclaration universelle s’observe en fait au
moins depuis les années 80 et la consolidation politique des ex-colonies
occidentales. Il s’est renforcé au fur et à mesure de la perte d’hégémonie de
l’Occident sur le corpus de normes du droit international. L’émergence
économique (et son instrumentalisation politique) de la Chine et d’autres a
accéléré le mouvement.
Pour
preuve, l’évolution de la formulation des stratégies du développement au sein
même des Nations unies. Lors du lancement des Objectifs du Millénaire pour le
Développement (OMD), en 2000, ceux-ci sont affichés comme ayant comme
conditions et comme but le renforcement des droits humains. La mention figure
dans tous les paragraphes, rappelant que le développement ne peut pas être
qu’économique et que sa réalisation implique la mise en œuvre des principes de
la Déclaration Universelle.
Les
années 2000 sont une époque de promesses. Les émergents sont perçus
comme convergents vers les standards européens, et beaucoup pense que cette
convergence dans les modes de vie et de consommation initie une démocratisation
généralisée.
Le réveil
progressif d’une vieille critique
Les textes
finaux du programme
sont d’une autre nature. Lors de la clôture du
programme en 2015, et dans les textes annonçant la stratégie suivante
(affichant une priorité plus grande pour le développement responsable), les
droits de l’Homme se font plus discrets. En cause ? L’influence croissante
de la Chine, de la Russie, de l’Inde et des coalitions de pays du Sud dans les
négociations, la prise de leadership de la CNUCED (plus influencée par les Sud)
sur le PNUD dans l’élaboration des stratégies, et le réveil d’une vieille
critique quant à la Déclaration universelle : celle de véhiculer une
vision occidentale colonialiste, ignorante des réalités et des valeurs sociales
en dehors de la vieille Europe et de l’Amérique du Nord.
Ce n’est
d’ailleurs pas tant le principe des droits de l’Homme qui est rejeté que sa
formulation dans la Déclaration universelle. L’Organisation de la Conférence
islamique en propose, dès les années 70, une autre version,
et le Mali revendique dans les années 2000 l’antériorité des sociétés
africaines dans la définition d’une philosophie des Droits de l’homme, se
basant sur un texte du
XVème siècle
dont on ignore s’il a eu, à l’époque, une réelle
influence.
Dans la
même période, Monique Ibundo, ministre du Développement du Burkina Faso,
affirme dans une interview, en février 2007, que « le premier des droits
de l’Homme, c’est le développement », rejetant en bloc toute idée d’une
conditionnalité de l’aide (néanmoins plus ou moins mise en œuvre par les
donateurs).
L’usure
du temps
L’affaiblissement
de la norme des droits de l’Homme n’est cependant pas uniquement le fruit d’une
géopolitique des normes dans le champ de laquelle se joue aussi la compétition
pour le leadership mondial, mais dans sa relative usure avec le temps.
Ecrit en
réponse aux abus de l’absolutisme monarchique, le texte est aujourd’hui
interprété à l’aune exclusive de l’individualisme moderne, déviant de plus en
plus de sa signification première. Celle-ci, rappelons-le, cherche à fonder les
droits des communautés de colons américains face à la Grande-Bretagne. Etendue
au-delà de ses intentions initiales, mobilisée par tout un ensemble
d’organisations dans un processus de recours croissant à la justice en son nom,
la charte est devenue envahissante et le consensus qu’elle incarnait s’est
perdu parmi les multiples interprétations particulières.
L’ambassadrice
des Etats-Unis à l’ONU, Nikki Haley, le 14 mars 2018 au Conseil de
sécurité. Spencer Platt/AFP

L’abandon
(sans doute momentanée) par les États-Unis d’un comité chargé de mettre en
œuvre un texte dont ils sont l’origine marque aussi ce constat d’une dérive. Ne
simplifions pas, quitter le comité des droits de l’Homme de l’ONU n’est pas
abandonner toute prétention à incarner les principes du texte. Cela correspond
totalement à la position affichée par Donald Trump vis-à-vis du système
international.

D’une
part, il s’agit de redire qu’il souhaite un retour à une Amérique idéalisée
plus proche de ses origines (et le texte était destiné à asseoir les droits de
petites communautés plutôt rurales isolées à définir leurs propres
règles) ; d’autre part, il réaffirme son souci de ne pas soumettre les
Américains à des règles établies ailleurs (réaffirmation de souveraineté).
La
conséquence sera sans nul doute une nouvelle dévaluation de l’image
internationale des États-Unis. Cela ne changera pas grand-chose dans de
nombreuses parties du monde, pour qui ce pays n’incarne plus depuis longtemps
les principes qu’il affiche.
C’est
même la fin d’une politique de contrôle des activités du comité par les
États-Unis, qui laisse le champ libre à d’autres pour reprendre le flambeau.
C’est plus dommageable vis-à-vis des opinions européennes, qui dans l’ensemble
associent l’Occident aux valeurs de la déclaration.
En
Europe, prudence
Alors
l’Europe prendra-t-elle le relais dans la défense du projet onusien de
diffusion des droits de l’Homme ? Rien n’est moins sûr. Les démocraties
européennes se heurtent à des opinions publiques ressentant leur société comme
étant en crise profonde, leurs États comme impuissants, et leurs droits à
choisir leurs valeurs bafouées, entre autre sous la triple injonction de se
plier aux normes européennes, à celles de la mondialisation, et à s’ouvrir à
une vague migratoire sans précédent qui challengent leurs consensus
identitaires et sociaux.
Le
sentiment que les principes doivent céder la priorité à l’action et à
l’efficacité pour répondre aux doutes et problèmes se répand. Les populismes
prospèrent, et peu d’entre eux sont compatibles avec les principes de la
Déclaration tels qu’on les conçoit aujourd’hui.
Le
véritable défi, pour les Nations unies comme pour les démocraties, ne serait-il
pas, dès lors, non pas de défendre coûte que coûte les principes des droits de
l’Homme, que de re-questionner leur signification, de les adapter aux
contingences contemporaines, de reconstruire un consensus sur leur sens pour le
monde moderne et celui à venir.