La PMA pour toutes : tempête dans un verre d’eau ou évolution majeure ?
Anne-Blandine
Caire, The Conversation, 31 mai 2018
Alors que
la révision de
la loi de bioéthique approche à grands pas, les états généraux de la
bioéthique viennent de s’achever et le Comité
consultatif national d’éthique s’apprête à rendre son avis. Parmi
les thèmes abordés figurera notamment la PMA (procréation médicalement
assistée). Or, à l’heure du bilan, on se demande si l’intense débat suscité par
l’éventuelle ouverture de cette dernière aux femmes seules et aux couples de
femmes est vraiment justifié.
Le droit
de porter un enfant pour toutes ? Chris Benson/Unsplash, CC BY-SA
|
La fin de
la PMA réservée aux couples hétérosexuels ?
Dissociant
la procréation de la sexualité et la procréation de la gestation, la PMA
constitue incontestablement l’une des avancées majeures de la biomédecine.
Pourtant, en choisissant de l’encadrer très strictement, le législateur a
jusqu’à présent minimisé la prouesse technique qu’elle représente. La PMA
pourrait offrir de nombreuses possibilités que la demande
sociale laisse entrevoir mais dont le droit empêche pour l’heure la
réalisation en limitant l’accès à cette technique. En réservant la PMA aux
couples hétérosexuels en âge de procréer, le législateur a cantonné cette
technique au champ de l’ordinaire et soumis son accès à une condition
primordiale : l’infertilité pathologique. C’est précisément ce que
remettrait en cause la PMA pour toutes.
Les
exclus de la PMA
Cette
exigence d’infertilité pathologique a mis de facto certaines personnes à
l’écart. Tout d’abord, elle empêche en principe les femmes ménopausées, dont
l’infertilité n’est pas pathologique mais physiologique, d’accéder à la PMA.
Elle écarte ensuite les personnes stérilisées ; la cour d’appel
administrative de Nancy l’a précisé le 15 juin 2017 à propos
d’un homme ayant subi une vasectomie. Enfin, cette exigence exclut a priori les
transsexuels qui ne souffrent pas, à proprement parler, d’une infertilité
pathologique mais sont devenus stériles à l’issu d’une opération de conversion
sexuelle.
Le refus
des miracles médicalement assistés
Parce
qu’elle tend pour l’instant à surmonter l’infertilité pathologique, la PMA ne
permet pas d’accomplir les prouesses que certains attendent d’elle.
En l’état
du droit, la PMA ne permet pas de faire des enfants tout·e seul·e· : le code de la
santé publique fait constamment référence au « couple » et
évoque « l’homme et la femme formant le couple ». De même, elle ne
permet pas de faire des enfants dans le cadre d’une relation homosexuelle. En
France, le don de sperme est refusé aux couples de femmes. Quant aux couples
d’hommes qui devraient recourir à une GPA (gestation pour autrui), leur
démarche est clairement prohibée par l’article 16-7
du code civil.
La PMA ne
permet pas non plus la survenance d’enfants tardifs. Bien que le législateur n’ait
pas fixé de limite d’âge, l’assurance maladie ne prend pas en charge la PMA
pour les femmes âgées de plus de 43 ans.
En outre,
la cour d’appel administrative de Versailles a jugé le 5 mars
2018 que l’agence de la biomédecine avait légitimement pu estimer
que des hommes âgés de 68 et 69 ans avaient dépassé l’âge de procréer et
ne pouvaient donc accéder à une PMA. A fortiori, la conception d’enfants
posthumes est également impossible, l’article L2141-2 du
Code de la santé publique énonçant d’ailleurs que « l’homme et
la femme formant le couple doivent être vivants ».
Des
assouplissements relatifs, signe d’une rigidité excessive ?
Pour
strict qu’il soit, le cadre juridique de la PMA ne s’est pas moins assoupli au
gré de quelques évolutions législatives et judiciaires.
Depuis la
réforme de 2011, les membres du couple n’ont plus à être mariés ou à apporter
la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans comme l’exigeait l’ancien
article L2141-2 du Code de la santé publique. Cet assouplissement a permis à
des personnes qui ne forment pas réellement un couple de recourir à la PMA pour
devenir, selon un terme dont l’usage se développe, co-parents
et mettre en place une coparentalité. Ce léger changement n’est-il pas le signe
que le cadre de la PMA s’est déformé sous la pression de la demande
sociale ?
En outre,
à la suite des avis de la
Cour de cassation du 22 septembre 2014, l’enfant conçu à
l’étranger grâce à une insémination artificielle avec tiers donneur (IAD) peut
obtenir une double filiation maternelle grâce à l’adoption : la femme qui
accouche est sa mère, l’épouse de cette dernière peut l’adopter.
Par
ailleurs, en dépit de l’interdiction de principe de la PMA post mortem, le
Conseil d’Etat a récemment accepté l’exportation
vers l’Espagne des gamètes d’un défunt afin qu’une insémination
puisse être réalisée dans ce pays.
Si ces
quelques assouplissements révèlent combien il est difficile de tracer une
frontière nette entre ce qui est permis et interdit en matière de PMA, ils
n’ont pas substantiellement modifié le cadre juridique de la PMA. Ce dernier
vise toujours à faire comme si l’enfant avait été conçu naturellement. Certes,
rien n’empêche les parents d’indiquer à l’enfant qu’il a été conçu grâce à une
PMA, éventuellement avec donneur, mais rien ne les y oblige non plus, tout
étant organisé pour qu’ils puissent se taire. La PMA n’est qu’un détail de
l’histoire qui n’a pas à être mis en lumière. Dans le même ordre d’idées,
l’enfant ainsi conçu n’a pas de réel droit à la
connaissance de ses origines : en cas de don de gamètes, le
donneur et le receveur ne pourront pas connaître leur identité respective.
Vers une
libération du potentiel transhumaniste de la PMA ?
À l’heure
actuelle, la polémique se concentre autour de l’éventuelle
ouverture de la PMA aux femmes seules et aux couples de femmes.
Serait-ce vraiment un tel bouleversement ? Quels seraient les changements
impliqués ?
En
réalité, à travers l’encadrement juridique de la PMA, c’est la question de
l’engendrement et des représentations symboliques associées qui sont en jeu. En
refusant, comme il le fait actuellement, d’assumer le caractère artificiel de
la procréation ainsi proposée, le législateur fait un choix culturel. Il admet
que la nature demeure le modèle à respecter. En refusant la PMA aux couples de
femmes et aux femmes seules, on met en œuvre une domination normée et
normative : l’hétérosexualité prévaut sur l’homosexualité et sur l’absence
de sexualité.
Or, il y
a d’autres façons d’envisager la PMA. Ouverte aux femmes seules et aux couples
de femmes, cette technique leur permettrait de s’affranchir des limites
naturelles à la procréation et serait ainsi un outil efficace pour les aider à
dépasser leur condition et à s’affranchir de la binarité et de l’altérité
sexuelles nécessaires à l’engendrement. Mais certains diront que cette démarche
n’est rien d’autre qu’une forme de transhumanisme.
Et sans doute y a-t-il une part de vérité dans ce constat. En effet, la
problématique posée par l’éventuelle ouverture de la PMA aux femmes seules et
aux couples de femmes se situe au cœur des évolutions actuelles de la médecine
vers l’anthropotechnie.
Dans
l’avant-propos de son avis du
15 juin 2017 sur les demandes sociétales de recours à
l’assistance médicale à la procréation, le CCNE indique que « les demandes
sociétales d’accès à l’AMP (assistance médicale à la procréation) reposent sur la
possibilité d’utilisation de ces techniques à d’autres fins que celle du
traitement de l’infertilité liée à une pathologie ». Conçue à l’origine
comme un palliatif à l’infertilité d’un couple hétérosexuel, la PMA tend
aujourd’hui à se transformer en un mode de conception des enfants détaché des
conditions naturelles. On passe ainsi d’une PMA thérapeutique à une PMA
anthropotechnique, proche d’une sorte d’ingénierie médicale au service de la
procréation. La PMA pour toutes n’est pas un palliatif médical à l’infertilité,
c’est une modification anthropotechnique de la procréation.
C’est
donc de l’avènement de l’anthropotechnie procréative qu’il est ici question.
Avec la PMA pour toutes, la nature anthropotechnique de la PMA ne serait plus
de l’ordre du refoulé mais de l’ordre de l’assumé. Ce serait un premier
tournant vers la révolution biotechnologique annoncée par Jeremy Rifkin qui, selon
lui, « affectera tous les aspects de notre vie » y compris « notre
façon de faire des enfants ».
En posant
un regard lucide sur ce débat, en considérant la PMA comme une forme
d’anthropotechnie et non de thérapie, le législateur pourra peut-être aborder
sereinement ce tournant et éviter de se laisser dépasser par les conséquences
d’un choix qui ne serait pas pleinement assumé. Autoriser la PMA était en soi
une révolution anthropologique, élargir son accès constituera un choix sociétal
décisif qui fera évoluer la parentalité et scellera la dissociation entre
altérité sexuelle et procréation. Faire ce choix est sans doute acceptable
éthiquement parlant, encore faut-il le faire de façon objective et réfléchie et
non le subir.