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La génération « Windrush » : un dommage collatéral de la politique britannique de dissuasion migratoire

Sarah
Wolff, The Conversation, June 5, 2018

60 000 personnes
de la génération « Windrush », du nom de ce bateau qui a accosté à
Tilbury en 1948 menacées d’expulsion… 
Des
gilets de sauvetage pour rappeler les naufragés en Méditerranée et protester
contre la politique migratoire restrictive de Londres. Howard
Lake/Flickr
, CC BY-SA

Venus
participer à l’effort de reconstruction de l’après-guerre, ces citoyens
britanniques en provenance des Caraïbes anglaises doivent aujourd’hui apporter
la preuve de leur citoyenneté ou de résidence sous peine d’être expulsés.

Le Home
Office, ministère de l’intérieur britannique, ne s’est pas encombré, à
l’époque, de leur donner des papiers prouvant leur nationalité. En l’absence de
ce type de documents aujourd’hui, leurs comptes en banque ont été bloqués, leur
accès aux soins médicaux interdit et ils se sont vus menacés d’expulsion depuis
2014 et l’introduction de la nouvelle loi sur l’immigration (Immigration Act
2014). La carte d’identité n’existant pas au Royaume-Uni, ces personnes,
souvent d’origine modeste, n’ont jamais fait de demande de passeport pour
voyager à l’étranger.
Environnement
hostile et délation
Mais
au-delà de cette situation ubuesque pour des personnes ayant contribué à
l’essor économique de la Grande-Bretagne, la Génération Windrush est en réalité
un dommage collatéral d’une politique qu’on peut appeler de « dissuasion
migratoire ». Alors même que Theresa May était ministre de l’Intérieur de
2010 à 2016, elle a mis en place une politique d’« environnement hostile »
visant à casser l’image auprès des immigrés et réfugiés d’un Royaume-Uni perçu
comme une terre d’immigration.
Tous les
segments de la société anglaise ont été mobilisés pour dénoncer à l’État les
immigrés irréguliers sur le territoire. Les hôpitaux, les écoles, les universités,
les municipalités et employeurs sont fortement incités à faire de la délation.
Par exemple, les universités doivent apporter le preuve que les personnes
qu’elles rémunèrent ont le droit de travailler légalement au Royaume-Uni. Le
gouvernement a également affiché l’objectif de diminuer par deux les visas
délivrés aux étudiants étrangers.
Objectif
100 000
Forcée de
démissionner après avoir affirmé, à tort, devant une commission parlementaire,
que son ministère n’avait pas d’objectifs chiffrés d’expulsion, la ministre de
l’Intérieur Amber Rudd n’est donc qu’un bouc-émissaire pour Theresa May.
Depuis le
référendum du Brexit, son gouvernement a accéléré cette politique
d’environnement hostile. L’objectif affiché par May a toujours été de réduire l’immigration
annuelle nette à 100 000 individus par an : en septembre
2017, ce chiffre était de 244 000
]. La politique d’asile
britannique est également parmi les moins généreuses d’Europe avec seulement
14,767 demandes d’asile acceptées en 2018 par le Home Office, contre 32 011
en France.
La
contribution économique des migrants
Les
partisans d’une sortie de l’Union européenne ont surfé sur une vague
eurosceptique associée à l’idée d’un trop plein d’immigrés. En quittant l’UE,
ont-ils promis, le Royaume-Uni retrouverait enfin sa souveraineté sur les
questions migratoires. Ceci est faux pour plusieurs raisons.
Tout
d’abord, le Royaume-Uni a bénéficié d’une position privilégiée
au sein de l’UE
qui lui a permis, de décider souverainement quelle
législation européenne il souhaitait mettre en œuvre. Ce sont les fameux
mécanismes d’opt-outs décidés lors du traité d’Amsterdam et de Lisbonne. Ainsi,
bien qu’ayant pris part à certaines mesures européennes en matière
d’immigration irrégulière et d’asile, le Royaume-Uni est bien resté maître de
sa politique d’immigration légale et du contrôle de ses frontières.
Ensuite,
lors de l’élargissement de 2004, le Royaume-Uni a décidé de son plein gré
d’ouvrir les portes de son marché du travail aux nouveaux citoyens européens de
l’Est. Contrairement à la France et l’Allemagne qui ont mis en place une
période transitoire de sept ans avant que les Européens de l’Est ne puisse
venir travailler chez eux, le Royaume-Uni, tout comme la Suède et l’Irlande,
les a accueillis.
Ayant
besoin de main d’œuvre, ces immigrés européens ont participé au boom de
l’économie britannique. Selon une étude de l’université
britannique UCL
, les immigrants européens arrivés au Royaume-Uni
entre 2000 et 2011 ont contribué à hauteur de 20 milliards de livres
sterling (22,75 milliards d’euros) aux finances britanniques.
« Little
Britain » a besoin d’immigrés
Dans le
contexte du Brexit, où le gouvernement promet à ses citoyens que le Royaume-Uni
redeviendra une puissance globale, l’immigration est plus que nécessaire et la
politique d’environnement hostile est contre-productive.
L’économie
britannique a besoin d’immigration, en particulier dans le secteur de la santé.
Or la délivrance de 400 visas pour du personnel médical en provenance
notamment de pays situés hors de l’Espace économique européen est actuellement
bloquée par le Home Office, pénalisant d’autant le National Health Service dans
ses missions de soin.
Par
ailleurs, de nombreux Européens boudent le Royaume-Uni du fait de l’incertitude
qui règne à propos de leur futur statut après le Brexit. La politique de
dissuasion migratoire mise en œuvre par Theresa May, mise en lumière par
l’affaire Windrush, ne va guère les rassurer. Au lieu d’œuvrer en faveur du
projet de « Global Britain », qui projetterait le Royaume-Uni au sein
d’un monde globalisé, les conservateurs britanniques semblent davantage
travailler à la mise en place d’une « Little Britain » par le biais
d’une politique migratoire étriquée et, à bien des égards, surréaliste.