Isolées, exploitées… Les difficiles conditions de travail des jeunes filles au pair
Baptiste
Erondel, Le Figaro, 26 juin 2018
Les
meurtriers de Sophie Lionnet, fille au pair française de 21 ans tuée à Londres,
Ouissem Medouni et Sabrina Kouider, ont été condamnés à la perpétuité. Ce
procès relance le débat sur l'exploitation dont peuvent faire l'objet ces
jeunes femmes.
Une jeune femme assiste à la marche en hommage à Sophie Lionnet, jeune fille au pair de 21 ans, retrouvée morte dans le jardin de sa famille d'accueil, basée à Londres. Photo AFP |
«Sophie
était quelqu'un de très gentil», a déclaré à l'AFP sa cousine, Mélanie Lionnet,
venue de France pour lui rendre hommage le jour de ladite marche. Il y a encore
quelque temps, «elle m'avait dit qu'elle était fatiguée, qu'elle voulait
rentrer en France». «Elle nous disait que ses employeurs ne l'avaient pas
encore rémunérée, qu'une fois qu'ils l'auraient rémunérée, elle rentrerait.
(...) À chaque fois, ils rajoutaient du temps, des excuses, et finalement ils
ne l'ont pas laissée rentrer», a-t-elle dit. «Comment
peut-on faire une telle chose ? Elle voulait juste rentrer chez
elle», enrage une autre connaissance. «Elle gérait tout : les enfants, la
nourriture, le ménage, et n'avait jamais le droit de sortir seule sans
Sabrina», a confié une
autre amie au Parisien, allant même jusqu'à parler «d'esclavage
moderne».
"On
ne me faisait faire que des tâches ménagères"
Le drame,
de fait, a mis en lumière les difficultés, entre isolement et exploitation,
parfois rencontrées par ces femmes, souvent très jeunes et sans expérience, qui
tentent l'aventure au pair à l'étranger. Salomé, 19 ans, partie en Irlande du Nord,
en atteste. «Certaines familles en profitent», lâche-t-elle à l'autre bout du
fil en déroulant sa propre expérience. «Nous avons beaucoup discuté par
messages sur Facebook et par téléphone (pour faire connaissance, NDLR). Au
début, les parents étaient aux petits soins même s'il était assez compliqué
d'instaurer un dialogue dans une langue étrangère. Mais, une fois sur place,
j'ai vite compris que mes horaires initiaux n'allaient pas être respectés,
surtout le soir.» Lorsqu'elle demande à revoir son emploi du temps, les parents
lui opposent une fin de non-recevoir, raconte-t-elle, puis lui interdisent
d'approcher les enfants.
Sophie ne faisait que repousser son retour en France, et ne parlait pas de sa condition. Photo AFP |
Esthel,
21 ans, conte une expérience similaire. En famille d'accueil près de Plymouth,
en Angleterre, depuis le 3 septembre, la jeune femme est sur le point de
rentrer en France, à peine plus d'un mois après son arrivée. En cause, un
mauvais traitement infligé par ses hôtes. «Les deux premières semaines de mon
séjour, je faisais 66 heures par semaine. J'ai naturellement demandé du temps
pour moi au bout de quinze jours.» Sa famille d'accueil refuse et rompt le
dialogue, d'après ses dires. «On ne me parle plus, on me donne des ordres et on
ne me fait faire que des tâches ménagères», déplore la jeune fille, jointe par
téléphone.
"Rien
n'est contrôlé"
Pour
trouver leurs familles d'accueil respectives, Salomé et Esthel ont utilisé une
plateforme de mise en relation gratuite, où «rien n'est contrôlé», dénonce
Nathalie Chevallier, responsable de Fée rêvée,
une agence spécialisée dans ces échanges culturels. Bruno Bureau, directeur de l'agence Oliver Twist, pointe
également du doigt ces sites non payants, concurrents directs de son entreprise.
«Ils font matcher des jeunes avec des familles, mais il n'y a aucun suivi en
aval. Si les hôtes décident de virer le jeune étranger de chez eux, alors il se
retrouve seul, démuni.»
Dans le
cadre d'un organisme, soulignent les deux responsables d'agences, la famille
est évaluée en amont sur sa situation (documents administratifs à l'appui) et
sa motivation (via un entretien). «Avant de partir, la jeune fille au pair a
déjà effectué au moins un Skype avec ses hôtes, et les formalités (travail,
argent de poche...) sont définies à l'avance», détaille Nathalie Chevallier.
«Nous demandons à ce que "l'au pair" ait une chambre individuelle et
que le contrat soit conforme à l'accord individuel européen ratifié par la
France en 1969», ajoute Bruno Bureau, avant de concéder que l'Angleterre n'a
pas signé ledit accord...
"Soumises
aux règles du pays d'accueil"
Et une
fois sur place ? «Les jeunes filles au pair sont soumises aux règles du pays
d'accueil, explique le directeur d'Oliver Twist. Si une Française décide de
partir au Royaume-Uni, alors c'est le droit anglais qui s'appliquera.» Et de
citer Londres, «le cas le plus flagrant». «Les gens y sont riches, ont des
envies de riches, et n'hésitent pas exiger jusqu'à 50 heures de travail par
semaine. Dans ce cas, si le jeune en est conscient, nous demandons un paiement
des heures supplémentaires. Ce que je demande avant tout, c'est que l'au pair
soit accueilli comme un membre de la famille, et pas comme une femme de ménage.
Un tel programme est un principe de bon sens et de rapport entre les gens. Le
contrat est tout sauf un lien de subordination.»
Si ces
organismes agréés semblent offrir davantage de garanties - sans pour autant
réduire le risque à zéro -, ils représentent un coût important que toutes les
«au pair» ne peuvent pas assumer. «Elles demandent au moins 200 euros pour les
frais d'inscription et une expérience reconnue, je n'avais aucun des deux
critères», commente la jeune Salomé. Sophie Lionnet, elle, d'après les
informations de France Info, avait trouvé sa famille d'accueil à
Londres grâce «à une copine».