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Espagne: premier procès pour un responsable présumé des “bébés volés”

Courrier International, 24.06.2018

Un
médecin octogénaire va être le premier en Espagne à s’asseoir sur le banc des
accusés mardi à Madrid pour une affaire de “bébés volés”, un trafic
qui aurait touché des milliers de familles sous la dictature de Franco.
Un
médecin octogénaire va être le premier en Espagne à s’asseoir sur le banc des
accusés mardi à Madrid pour une affaire de “bébés volés”, un trafic
qui aurait touché des milliers de familles sous la dictature de Franco –
AFP/Archives

Les
enfants étaient déclarés mort-nés puis confiés à des familles d’adoption à
l’insu de leurs parents.

Eduardo
Vela, 85 ans, obstétricien à la clinique San Ramon de Madrid, a
“offert” une enfant à Inés Pérez en juin 1969 et l’a inscrite comme
sa fille biologique sur l’acte de naissance, selon l’ordonnance de renvoi
devant un tribunal consultée par l’AFP.
C’est
cette fille, Inés Madrigal, aujourd’hui âgée de 49 ans, qui est parvenue à le
traîner en justice, après des années de procédure.
Elle a
raconté à l’AFP avoir appris à 18 ans, lors d’une conversation avec sa mère,
qu’elle était adoptée.
Puis, en
2010, en lisant dans la presse un article sur l’histoire des “bébés
volés” elle a découvert que sa clinique natale, fermée en 1982, était un
des centres du trafic de nouveaux nés dans les années 1960 et 1970.
Ce
trafic, né après la guerre civile sous le franquisme, pourrait avoir touché des
dizaines voire des centaines de milliers d’enfants, selon les associations
militant pour que la lumière soit faite.
“J’ai
pensé… mon Dieu, ne me dites pas que c’est mon cas”, se rappelle cette cheminote
aujourd’hui installée à Murcie (sud-est).
Mais elle
a finalement découvert que son acte de naissance, portant la signature du
docteur Vela, était bel et bien falsifié. “Ca a été une gifle”,
dit-elle.
– Procès
historique –
Eduardo
Vela est le premier suspect de vol de bébés en Espagne à s’asseoir sur le banc
des accusés. Il est poursuivi notamment pour “simulation d’enfant”,
“adoption illégale” et “faux en écriture”. Son avocat,
Rafael Casas, n’a pas souhaité faire de déclarations.
Selon la
mère adoptive d’Inés Madrigal -décédée depuis- le docteur Vela lui avait
demandé de simuler une grossesse et, après la naissance, de ne consulter que
lui si sa fille tombait malade, afin que personne d’autre ne se penche sur son
dossier.
Selon les
associations, au moins 2.000 plaintes pour des faits similaires ont été
déposées. Aucune n’a abouti.
Les
affaires sont classées, les tribunaux estimant les preuves insuffisantes, ou
que les faits sont prescrits, explique Soledad Luque, présidente de
l’association “Tous les enfants volés sont aussi mes enfants”.
Cette
professeure de phonétique cherche elle-même son frère jumeau, disparu en 1969
dans une maternité de Madrid dans des circonstances troubles. Comme dans
beaucoup de cas, les médecins ont assuré à ses parents qu’il était mort, sans
en fournir la moindre preuve, raconte-t-elle.

“Gène rouge” –
Ces
enlèvements de nouveaux-nés auraient débuté avec la dictature de Francisco
Franco (1939-1975). L’objectif était d’abord de punir les partisanes de la
République écrasée par le général, accusées de transmettre le “gène
rouge” du marxisme, raconte Soledad Luque.
Puis ce
sont les enfants nés hors mariage, ou dans les familles pauvres ou très
nombreuses, qui ont été visés dans les années 1950. Ils étaient adoptés
clandestinement par des couples stériles ou proches du régime
“national-catholique”.
Et le
trafic a perduré bien après sa mort, explique Soledad Luque, avec cette fois
“un mobile presque purement économique”, au moins jusqu’en 1987,
quand une nouvelle loi réglementant l’adoption a mentionné dans son préambule
“l’odieux trafic d’enfants dénoncé dans les médias”.
“C’est
un procès qui, si (le docteur Vela) comparaît, déclare vraiment, et raconte
tout ce qu’il doit raconter, peut ouvrir la porte à d’autres affaires, à
d’autres procès”, assure-t-elle.
C’est ce
qui a poussé Inés Madrigal à aller de l’avant pour “que ça ne me serve pas
qu’à moi, mais aussi à tant d’autres personnes qui viennent derrière”.
“Ce
serait ma plus grande réussite”, dit-elle, résignée à ne jamais savoir qui
était sa mère biologique. “Moi, Eduardo Vela (…) ne me racontera jamais
dans quelles circonstances il m’a enlevé des bras de ma mère”.