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En Russie, une Coupe du monde pour tous

Par Angelina Davydova, Le Figaro, 23/06/2018

Des
habitants proposent aux touristes venus pour le football des visites guidées
autour de thèmes sociétaux : développement durable, droits des minorités…
Une
visite guidée «par les habitants, pour les habitants» de nouveaux quartiers de
St Petersbourg — un programme similaire est également prévu en anglais pour les
fans venant voir la Coupe du monde de football cet été. Alina Zvereva
Alors que
la Coupe du
monde de la FIFA se déroule en Russie
, un réseau d’activistes et
d’entrepreneurs sociaux basé à Saint-Pétersbourg a lancé en parallèle une
campagne intitulée «la Coupe pour le peuple», qui propose un programme
alternatif aux centaines de milliers de fans de football venus du monde entier.
En proposant des visites guidées par des habitants locaux autour des droits de
la communauté LGBT ou de problèmes environnementaux, ou encore une carte de la
ville promouvant la consommation durable, cette campagne espère sensibiliser le
public aux différents aspects de la vie sociale russe, tout en encourageant la
diversité, la tolérance et le développement durable dans les secteurs de la
gastronomie, de la vente et du tourisme.

« Nous
aimerions montrer Saint-Petersbourg au-delà des clichés touristiques»
Arsene
Konnov,
responsable du programme de visites guidées
Olga
Polyakova, une militante de 31 ans engagée dans l’éducation civique, les
mouvements de coopération citoyenne et l’économie circulaire, est à l’origine
de l’initiative. «J’étais à Hambourg, en Allemagne, quand le G20 y a eu lieu
[en 2017], et j’ai pu observer les différents types de programmes alternatifs
que les activistes locaux menaient, avec des actions, des débats publics et des
performances», explique-t-elle. «Il y a des gens qui critiquent des événements
d’une telle envergure pratiquement dans tous les pays, car ceux-ci sont
généralement financés avec des fonds publics mais profitent principalement aux
hommes politiques et aux grandes sociétés. J’ai alors eu l’idée de créer un
programme alternatif similaire à Saint-Pétersbourg.»

Début
2018, Olga Polyakova a réuni une trentaine de militants d’ONG et de groupes de
la société civile locale pour créer son programme. Le résultat inclut des
débats publics sur l’impact des événements sportifs, des visites guidées dans
les quartiers moins touristiques de Saint-Pétersbourg et des excursions
thématiques autour des droits de la communauté LGBT ou des problèmes sociaux et
environnementaux, tels que les conditions de vie des sans-abri et des campagnes
citoyennes de sensibilisation au recyclage. Le tout se déroule en anglais.
Les
activistes de Cup for the People observent la construction du nouveau stade de
la Coupe du Monde à Saint Petersbourg. Victoria Chufarova
Une carte
des associations locales des droits de l’Homme est aussi disponible, afin de
sensibiliser les touristes. En
partenariat avec Amnesty International
, des tables rondes avec des
dissidents de l’ancienne ère soviétique sont également ouvertes à tous. Le
programme «Librairie vivante» propose un cycle de conférences avec des victimes
de discrimination, notamment avec des membres de la communauté LGBT et des
personnes handicapées, et l’initiative «Bars sans violence» apprend aux barmans
comment réagir face à une scène de violence de genre ou de harcèlement sexuel.

«Nous
aimerions montrer Saint-Petersbourg au-delà des clichés touristiques ; montrer
que les problèmes auxquels font face la plupart des pays -les relations entre
les citoyens et l’État, la corruption, l’influence des mégaprojets sur la vie
urbaine, notre perception contemporaine de l’Histoire, les inégalités sociales
et les discriminations- sont les mêmes chez nous, aux yeux des habitants qui
cherchent à améliorer notre société», assure Arsene Konnov, responsable du
programme de visites guidées, chercheur en urbanisme et guide touristique.
Certaines de ces initiatives se déroulent aussi à Moscou, afin de toucher
davantage de monde. Globalement, l’événement attirera près de 1,5 million de
visiteurs étrangers en Russie, dont plus de 400.000 sont attendus rien qu’à
Saint-Petersbourg.
L’un des
partenaires de la «Coupe pour le peuple» est Fare Network, un réseau qui
rassemble les militants et les associations de la société civile qui promeuvent
l’égalité et la diversité, se servant du sport comme catalyseur de changement
social.
L’organisme
a ouvert deux «Maisons de la diversité», à Saint-Pétersbourg et à Moscou, pour
y organiser des conférences et des expositions. Il vient aussi de publier un
Guide de la diversité en Russie, qui aborde les risques et les défis
qu’affrontent les différentes minorités et acteurs de la société civile dans le
pays, et de lancer une assistance téléphonique sur le service de messagerie en
ligne WhatsApp afin d’aider les touristes en difficulté. «Les grands événements
sportifs offrent l’occasion d’aborder les droits de l’Homme, le rôle des
minorités, la diversité… aussi bien sur le terrain de foot qu’au sein de la
société. Pour moi, ce sont des instruments positifs de changement social», fait
valoir Pavel Klymenko, chargé du développement de l’Europe de l’Est du réseau
Fare.
Une carte
pour consommer mieux
Aux côtés
d’experts en environnement et développement durable, les militants ont aussi
conçu une carte de la ville promouvant la consommation durable, après avoir
minutieusement évalué les habitudes quotidiennes des cafés, restaurants, bars,
boutiques de souvenirs et d’artisanat locaux. Leurs principaux critères de
sélection concernent l’environnement (la gestion des déchets, l’efficacité
énergétique et de l’eau, l’utilisation de produits locaux bio) ainsi que le
travail social et l’éthique (les conditions de travail et les antécédents
professionnels, l’absence de discrimination, l’organisation ou le soutien
d’événements éducatifs et culturels, l’encouragement des communautés urbaines).
Les promoteurs de la campagne espèrent bien que ces initiatives survivront une
fois l’événement sportif achevé, aidant ainsi à ancrer la durabilité de la
ville sur le long terme.
«Nous
nous attendons à ce que de nombreux participants s’impliquent dans cette
campagne. L’engouement pour le tourisme durable et responsable est considérable
en Europe, mais nous avons aussi remarqué un intérêt croissant pour la
durabilité dans le secteur des services en Russie. La Coupe du monde de
football est l’occasion idéale de rendre ce phénomène encore plus populaire
dans les cafés et les restaurants», précise Yulia Gracheva, directrice de l’ONG
environnementale Ecounion, qui accorde des écolabels en Russie et participe
également à la «Coupe pour le peuple.»
«J’espère
qu’en invitant les cafés et les bars à intégrer notre carte, nous les aiderons
à développer des initiatives et à partager leurs meilleures pratiques ‘vertes’
entre eux», ajoute-t-elle. «Je souhaite sincèrement que cette carte continue
d’exister après la Coupe du monde, et pousse le secteur gastronomique local
vers la durabilité.»