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Coupe du monde 2018 : violences et hooliganisme invisibles… mais bien là

Dominique
Bodin, Luc Robène , The Conversation, 29 juin 2018

La Coupe
du monde de football 2018 se passe bien, a priori, puisque les médias, français
du moins, ne relatent aucun fait de violences entourant les rencontres.
A Sotchi,
l’une des villes hôtes du Mondial 2018, le 12 juin dernier. Jewel Samad / AFP

Tout au
plus soulignent-ils les comportements qualifiés d’inopportuns du staff de la
Mannschaft, le 23 juin dernier, à l’égard de leurs homologues suédois ou,
encore, la provocation des joueurs helvètes, Granit Xhaka et Xherdan Shaqiri,
tous deux d’origine kosovare, mimant l’aigle du drapeau albanais devant les
supporteurs serbes, réactivant ainsi sur le terrain sportif le spectre de la
dernière guerre des Balkans.

Mais
point de violences entre spectateurs et-ou supporters. Et pourtant… Des
échauffourées ont bien lieu dont personne ne rend réellement compte. Tout au
plus apprend-on que des hooligans argentins ont agressé des supporters croates.
Plusieurs raisons à cela.
De la
nécessaire invisibilité des violences…
Le
gouvernement russe avait prévenu : la Coupe du monde serait sous contrôle.
Les hooligans aussi. Aucune violence ne pourrait avoir lieu durant ce temps
nécessairement festif. Aucune violence ne pourrait avoir lieu… ? Ou aucune
violence ne pourrait être associée à l’événement ni rendue visible sous l’œil
des caméras ?
Car, le
problème est moins le contrôle de la violence que sa dissociation des
rencontres, sinon son effacement. La surveillance mise en œuvre, les forces de
sécurité déployées, l’encadrement des supporters jugés les plus dangereux
visent non pas à annihiler tout problème mais à en masquer l’évidence aux yeux
de la population et surtout des médias qui fréquentent, pour l’essentiel, et
pour ne pas dire exclusivement les rencontres et les lieux d’entraînement.
L’image
du pays organisateur prévaut ainsi sur la prévention des risques liés aux
violences. Le problème
n’est pas nouveau
. Lors de la Coupe du monde de 2006, l’Allemagne,
le pays hôte, avait pris, elle aussi, des mesures drastiques amenant ainsi
l’illusion d’une parenthèse sportive exempte de violences. Ce n’est que
longtemps après que les violences furent connues.
… au
désintérêt des médias
Dès lors,
même si des violences ont lieu, les médias en parlent peu. Il faut que les
événements soient graves, particulièrement inquiétants ou monstrueux et qu’ils
se déroulent dans ou aux abords des stades pour être rendus publics. Le
traitement des violences des spectateurs ou des supporters oscille ainsi entre
traitement social médiatisé et désintérêt institutionnel
. Point de
réelle prévention d’un côté, point de réel effort de compréhension ou d’analyse
de l’autre.
Peut-on
le leur reprocher ? Non, car ils sont venus pour rendre compte d’un événement
sportif planétaire. Oui, car ils ne jouent pas entièrement leur rôle, préférant
les interviews des joueurs et les réceptions à l’information. Il y a là
collusion d’intérêt entre les organisateurs du football et les médias, les
premiers cherchant, comme le suggérait dès 1991, Alain Ehrenberg
à «sauvegarder la pureté de leur sport», les seconds à ne pas se mettre les
premiers à dos et se voir interdire les accès aux stades, aux coursives et aux
joueurs.
Ce n’est
bien évidemment pas l’image du sport qui est en jeu, mais l’image de marque
d’un sport qui n’en est peut-être plus tout à fait. Il est devenu un show sportif,
à très haut niveau, et dont la finalité est de continuer à bien se vendre.
Des
échauffourées aux rencontres programmées
Des
échauffourées ont bien lieu et le passage à tabac de supporters croates par
leurs homologues argentins à l’issue de la défaite de l’équipe nationale
argentine n’est pas un épiphénomène. Tout étant mis en œuvre pour que rien
n’arrive, l’acte a échappé aux organisateurs, au point de surprendre et
d’étonner. Des bagarres sporadiques se déroulent en marge des rencontres dans
les rues de chacune des villes.
Personne
n’en rend compte car elles sont assimilées à la délinquance urbaine et
associées à l’état d’alcoolémie avancé de certains. Personne n’évoque la
«course», c’est à dire la chasse aux adversaires historiques des supporters
russes, les Polonais et les Croates, ennemis des Serbes soutenus par la Russie.
Les logiques oppositionnelles sportives, nationalistes, historiques, voire la
continuation de la guerre sous une forme sportive, s’entrecroisent. Si tout est
prévu pour que rien ne se passe de manière visible, les supporters les plus
violents s’organisent pour détourner les mesures mises en œuvre et se donner
rendez-vous loin de stades.
Le
lecteur pourrait ainsi se dire que les dirigeants du football ont raison, que
ce sport est perverti par des individus extérieurs à l’activité et qu’ils
viennent y commettre leurs méfaits. Il n’en est rien. Si certains sont violents
et considèrent la violence comme un moyen supplémentaire de prouver la
suprématie sportive de leur pays ou de venger l’affront d’une défaite, ils n’en
sont pas moins [d’authentiques supporters qui aiment et connaissent le
football, l’histoire de leur équipe nationale et ses résultats].
Comportements
violents et comportements hooligans
A ce
niveau, il convient de distinguer comportements violents et comportements hooligans.
Potentiellement, les foules sportives, essentiellement masculines, excluant de
fait les foules constituées de familles qui, si elles peuvent être agressées ne
sont généralement pas à l’origine des problèmes, sont toutes violentes. Les
foules portent en elles le germe d’un dépassement violentogène que procure
l’anonymat, le sentiment de toute puissance et la perte de sens et de retenue.
Tout cela a été expliqué depuis bien longtemps par Gustave Lebon
ou, encore, par Serge
Moscovici
, pour n’en citer que quelques-uns, dans d’autres
contextes.
Le
problème n’est pas l’intérêt pour le football ou non, le fait d’être un
authentique spectateur ou supporter de football ou non, tout est affaire de
curseur. Reprenant la construction
du délinquant proposée par Maurice Cusson
, la distinction entre
comportements violents, intégrés au fait d’être spectateur ou supporter de
telle ou telle équipe, et comportements hooligans, se situe au niveau de la
priorité donnée : vient-on au football sans exclure la violence ou vient-on au
football pour assouvir sa soif de puissance par des comportements violents ?
A ce
stade, il serait tentant de voir dans le second cas la figure d’exclus se
servant du football pour exister, argument stigmatisant qu’adoptent nos
gouvernants et le monde du football. Ce serait alors confondre hooligans et
exclus sociaux, alors que les hooligans appartiennent bel et bien à toutes les
couches de la société.
En guise
de conclusion
La
question ne devrait pas être de chasser les hooligans des stades mais de
chercher à comprendre ce qui rend certains individus plus violents que
d’autres. Ce n’est ni en éludant le problème, ni en sécurisant les stades à outrance
de manière à déplacer la violence en d’autres lieux qu’elle disparaîtra.
De tels
événements obligent à penser et à mettre en œuvre une réelle politique de
prévention qui ne peut se confondre avec une politique coercitive dont
l’objectif est et doit être de protéger le reste des publics.
Mais peut
être que ce problème n’intéresse tout simplement personne et qu’il n’est qu’un
élément futile et dérisoire qui agace, certes, mais qu’il suffit de mépriser en
le rendant invisible.