Contretemps dans l’adoption de la loi « fake news »
Cécile
Barbière, EURACTIV, 8 giu 2018
La loi
controversée sur la manipulation de l’information en période électorale
ne sera pas adoptée avant juillet. De son côté, Bruxelles refuse de légiférer
sur ce sujet sensible.

Le débat
sur les propositions de loi sur les « fausses informations » va jouer
les prolongations en France.
Les deux
textes visant à lutter contre la manipulation de l’information en période
électorale ont été débattus par les députés français le 7 juin. Mais les
parlementaires ne sont pas venus à bout de l’examen des nombreux amendements de
ce texte controversé.
La suite
du débat doit être programmée en conférence des présidents, probablement lors
de la session extraordinaire de l’Assemblée nationale en juillet. Un des
objectifs étant que l’arsenal de lutte contre la désinformation soit
opérationnel pour les élections européennes de 2019.
« Nous
devons inverser la courbe de l’abstention, qui se nourrit de la diffusion massive,
artificielle d’information dangereuse visant à mettre en danger les scrutins
électoraux » a précisé Bruno Studer, le rapporteur de la loi.
Les
propositions de loi prévoient notamment la responsabilisation des plateformes
numériques (Facebook, Google, Twitter), canaux de diffusion privilégiés dans
« fake news », le renforcement des pouvoirs de sanction du
Conseil supérieur de l’audiovisuel et le recours à la justice pour suspendre la
diffusion d’une « fake news » en période électorale et préélectorale.
« La
liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas
garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du
débat » a souligné la ministre de la Culture et de la Communication,
Françoise Nyssen, lors des échanges dans l’hémicycle, citant la philosophe
Hannah Arendt.
« Il
ne s’agit pas ici de parler de « fake news », car c’est une
expression qui a été inventée et popularisée par le président américain Donald
Trump notamment pour s’attaquer aux informations diffusées par des
journalistes », a mis en garde le rapporteur Bruno Studer.
« La
manipulation de l’information, c’est un poison lent qui détruit notre
crédibilité, qui abîme notre vie démocratique », a-t-elle poursuivi. La
ministre a soutenu les propositions de loi, portées par les députés de la
majorité, affirmant qu’ils avaient trouvé le difficile équilibre entre la
lutte contre la propagande et la liberté d’information
« Le
texte ne vise pas la production des fausses informations, mais leur
propagation, c’est le nerf de la guerre » a rappelé la ministre. La ministre
a pointé du doigt le rôle des plateformes, « qui ne joue pas le jeu
démocratique ». Pour la ministre, leur modèle économique participe à
la propagation des fausses informations, « elles vendent des likes et des
followers à tous, même aux émetteurs de fausses informations » a-t-elle
rappelé.
Prudence
européenne
De son
côté, Bruxelles s’est pour l’instant rangé à une position de prudence, en se
cantonnant à des recommandations sur le sujet. La Commission a ainsi
donné aux plateformes en ligne jusqu’en juillet pour élaborer un code de
conduite visant à limiter les fausses informations sur les médias sociaux.
Si la
stratégie de la Commission sur les fausses informations critique sévèrement les
plateformes en ligne, elle ne propose pas de mesures législatives
contraignantes.
La
proposition de Bruxelles espère donner un cadre européen à la lutte contre les
fausses informations, afin de limiter la fragmentation des législations.
« Notre réponse ne peut s’arrêter aux frontières nationales.
L’Europe est en première ligne dans la guerre hybride que nous mènent certains
États tiers, pour qui les fausses informations sont devenues une arme de
déstabilisation massive » a rappelé le rapporteur pour la commission des
Affaires européennes, le député LREM Pieyre-Alexandre Anglade
« La
réponse ne peut être qu’européenne et ne peut s’arrêter à nos
frontières », a fait valoir la députée LR Constance Le Grip, pour qui les
textes défendus par le gouvernement sont « au mieux inefficaces et
inapplicables ».
Un texte
très critiqué
Outre les
craintes sur l’utilité d’un texte nationale et l’équilibre précaire sur
la liberté d’information, certaines dispositions du texte ont également
été jugées peu efficaces par la société civile.
L’intervention
d’un juge en référé est particulièrement critiquée. Selon le EU Dinsinfo
Lab, une ONG spécialisée dans la de lutte contre les fausses
informations, « l’assomption de la capacité du pouvoir judiciaire à
démêler le faux du vrai en moins de 48h » n’est pas réaliste.
L’intervention
judiciaire est également pointée du doigt par Reporters Sans Frontière (RSF),
qui estime que « définir une fausse information comme “toute allégation
d’un fait dépourvue d’éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable”
méconnaît la logique du travail journalistique et ne laisse pas au juge la
charge de la preuve du caractère manifestement erroné d’une information ».
Pour
Constance Le Grip, il y a « un risque de voir des allégations qualifiées de
“fake news” par le juge [se révéler] fondé quelques jours plus tard ».
Le groupe
d’experts de la Commission européenne sur les fake news veut que les réseaux
sociaux, comme Facebook ou Twitter, soient plus transparents sur leurs revenus
publicitaires.
Le
renforcement des pouvoirs du CSA provoque aussi des inquiétudes. L’un des
principaux outils du texte prévoit que l’autorité de régulation puisse refuser
ou retirer l’autorisation d’émettre à une chaîne de télévision ou de radio
contrôlée ou « sous l’influence » d’un État étranger, si celle-ci
« porte atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation, notamment par la
diffusion de fausses informations ».
Une
sanction critiquée par Reporters Sans Frontière (RSF), qui appelle les
législateurs à donner un pouvoir sur la question de l’indépendance
éditoriale de l’ensemble des médias. Ainsi, le CSA pourrait « prononcer
des sanctions légitimes lorsqu’il est établi que ces médias ne satisfont pas à
leurs obligations ».