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Comment Erdoğan joue des palestiniens

Camille
Guillot, L’Humanite, Juin, 2018

Le
président turc Recep Tayyip Erdo
ğan s’impose en leader du monde
arabo-musulman. Le 14 mai dernier, alors qu’une soixante de palestiniens sont
tombés sous les balles israéliennes, il a été l’un des premiers à violemment
critiquer le gouvernement israélien. La défense de la cause palestinienne est
au centre de sa politique, c’est aussi un atout de séduction.  
Photo
Ozan Kose/AFP.
‘’Halte à
l’oppression’’. C’est derrière ce slogan que des milliers de Turcs se sont
réunis le 18 mai dernier à Istanbul. Drapeaux palestiniens et turcs flottaient
en masse au dessus de la foule. Ce rassemblement a eu lieu à l’appel de Recep
Tayyip Erdo
ğan, tout comme le sommet extraordinaire de l’OCI,
l’Organisation de la coopération islamique, qu’il a aussi convoqué.

Le
président turc, ardant défenseur de la cause palestinienne, a été l’un des
premiers à condamner la mort d’une soixantaine de palestiniens tombés sous les
balles israéliennes.  Depuis Londres, face à des étudiants turcs, il
déclarait le jour même qu’”Israël sème le terrorisme d’Etat. Israël est un
Etat terroriste”. Dans la foulée, trois jours de deuil national ont été
décrétés en Turquie.
Le
président turc n’en est pas à son premier coup d’essai, au contraire, ces
critiques acerbes sont coutumières. 
Le 6
janvier 2009, lors d’un débat public à Davos sur les conséquences de
l’offensive israélienne sur le territoire palestinien, en pleine opération
Plomb Durci, Recep Tayyip Erdo
ğan laisse éclater sa colère. Alors
Premier ministre et s’adressant à Shimon Peres, le président israélien de
l’époque, il s’écrit ‘’vous tuez des gens. Je me souviens des enfants qui sont
morts sur la plage’’. 
Cette
date marque un tournant, Recep Tayyip Erdo
ğan devient le défenseur du monde
musulman. 
Ces
diatribes répétées à l’encontre d’Israël trouvent un écho particulier au sein
de la base électorale du parti au pouvoir l’AKP (le Parti de la justice et du
développement) et du président turc. Elles servent d’autant plus son propos à
l’aune des élections présidentielles, desquelles il est candidat.
‘’La
cause palestinienne n’est pas une cause qui divise le pays’’ nuance toutefois
Sinan Ülgen, spécialiste de la Turquie et président du think tank Edam à
Istanbul, ‘’il y a, au contraire, un soutien tout azimut pour cette cause. Les
partis d’opposition ont eux-mêmes étaient très critiques à l’égard d’Israël. De
cet fait, même si les membres de l’AKP l’auraient souhaité, la cause
palestinienne n’est pas devenue célèbre pour eux dans le sens où elle aurait pu
les aider à redessiner le paysage politique en la faveur du parti’’.
‘’Les
Etats-Unis, complices de ce crime’’
L’aura du
président turc trouve, en revanche, tout son écho dans le monde arabo-musulman.
‘’Epouser la cause palestinienne et positionner la Turquie au sein de la
communauté islamique comme l’un des piliers qui, ouvertement, met en exergue le
problème palestinien au niveau global est une priorité du gouvernement’’
poursuit le chercheur. Et dans cette stratégie, Ankara n’épargne pas son allié
américain.  ‘’Malheureusement, les Etats-Unis (…) sont devenus complices
dans ce crime contre l’humanité’’, a déclaré le Premier ministre turc Binali Yildirim.
Les
américains, quant à eux, semblent faire la sourde oreille.  
‘’Du
point de vue de Washington, il y a une acceptation, un peu involontaire de la
position turque’’ souligne Sinan Ülgen. ‘’On ne peut pas vraiment dire que ceci
causera un écart entre Ankara et Washington eu égard au constat qu’il y a déjà
une multitude de désaccords beaucoup plus importants que sur cette question
là’’.
Une
analyse à laquelle il faut ajouter que l’OCI en tant que telle n’est pas vue
par Washington comme une organisation qui puisse changer la donne. Les
divergences d’alliances politiques minent la bonne entente entre les pays
arabo-musulmans et les empêchent de s’accorder sur des mesures concrètes. Pour
preuve, au sortir de la seconde réunion extraordinaire de l’OCI, présidée par
Recep Tayyip Erdo
ğan, les 57 membres de l’organisation se sont
contentés de déclarer dans un communiqué ‘’que ces actes représentent des
crimes barbares commis par les forces israéliennes avec le soutien de
l’administration américaine’’ et d’appeler à ‘’une protection internationale
pour le peuple palestinien, y compris par l’envoi d’une force de protection
internationale’’. 
Concrètement,
les réactions les plus sévères sont venues d’Afrique du Sud et de Turquie. Les
deux pays ont rappelé leurs ambassadeurs. Ankara a même demandé au consul
général d’Israël en poste à Istanbul de quitter ‘’temporairement’’ le pays.