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Ce que j’ai appris sur la perception de la question palestinienne en Occident

Ramzy
Baroud, Chronique Palestine, 2 juin 2018

Le 20
février de cette année, j’ai entamé une tournée mondiale de présentation de mon
dernier livre qui m’a jusqu’ici mené dans huit pays. Le thème principal de
toutes mes interventions dans diverses plateformes culturelles, académiques et
médiatiques était le besoin pressant de recentrer le débat sur la Palestine en
le focalisant sur la lutte, les aspirations et l’histoire du peuple
palestinien.
Manifestation
de plusieyrs milliers de personnes à Perth (Australie) en juillet 2014,
pour
protester contre les bombardements criminels israéliens sur la bande de Gaza. 
Photo : GreenLeft

Mais, en
interagissant avec des centaines de personnes et en étant confronté à de
multiples environnements de médias traditionnels et alternatifs, j’ai aussi
beaucoup appris sur l’évolution du sentiment politique général dans le monde
occidental par rapport à la Palestine.

Alors que
les pays que j’ai visités – les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni
(Angleterre et Écosse), les Pays-Bas, l’Autriche, l’Australie et la
Nouvelle-Zélande – ne représentent aucunement tous les pays occidentaux, j’ai
pu acquérir une assez bonne vue d’ensemble sur les idées, les perceptions et
les attitudes prévalant dans les gouvernements, les médias, les universités et
la société civile de ces pays.
Premièrement,
la base de soutien à la Palestine dans la société civile croît de manière
exponentielle, non seulement dans le nombre de personnes qui se sentent
concernées par la Palestine ou qui s’y intéressent, mais aussi dans la nature
de cet engagement. Le détachement ou le sentiment de d’impuissance du passé a
presque complètement disparu, au profit d’une approche proactive – comme si les
personnes voulaient être des acteurs de changement aux niveaux local et
national.
Deuxièmement,
le consensus sur le soutien du mouvement Boycott, Désinvestissement et
Sanctions (BDS) ne cesse d’augmenter parmi les syndicats, les églises, les universités
etc… L’ancien point de vue selon lequel la campagne BDS était un instrument de
division et contre-productive n’a plus guère d’impact ces temps-ci. La plupart
des débats concernant le BDS ne portent pas sur l’éthique de la stratégie de
boycott, mais sur la nature et l’ampleur de ce boycott.
Troisièmement,
le degré de détermination dans le soutien aux Palestiniens s’est également
renforcé. Les positions sans conséquence consistant à parier sur le «mouvement
pour la paix» israélien ou sur les «colombes» du Parti travailliste tout en
condamnant les «extrémistes des deux côtés», ne font plus guère recette.
En effet,
les guerres israéliennes successives sur Gaza et le siège ininterrompu sur le
territoire enclavé ont progressivement, mais de façon irréversible, poussé le
récit sur la Palestine en faveur d’une toute nouvelle direction, celle qui ne
compte pas sur une hypothétique «prise de conscience israélienne». La récente
et meurtrière réaction israélienne face aux manifestants pacifiques de la «Grande
marche du Retour» à Gaza a galvanisé le soutien aux Palestiniens, même au sein
de publics relativement apolitiques.
Quatrièmement,
incapables de résister à la montée des mouvements pro-palestiniens, les
partisans israéliens et pro-israéliens poussent, comme jamais auparavant,
l’accusation d’antisémitisme contre ceux qui remettent en question l’occupation
israélienne, reprennent l’expression «Apartheid israélien» ou soutiennent la
campagne BDS.
Bien que
la tactique n’étouffe plus le débat sur la Palestine, elle crée suffisamment de
distraction pour détourner l’attention, l’énergie et les ressources vers des
questions secondaires. Un exemple typique est l’obsession des médias
britanniques sur le prétendu antisémitisme soi-disant répandu au sein du Parti
travailliste, au moment même où des milliers de Gazaouis étaient blessés et
plus d’une centaine tués alors qu’ils manifestaient pacifiquement à Gaza.
Cinquièmement,
les jeunes sont moins susceptibles d’être intimidés par les vieilles combines
israéliennes. Alors que la génération précédente de responsables de la société
civile et de militants était involontairement influencée par les nombreuses
tactiques de dénigrement utilisées par Israël et ses partisans, la jeune
génération n’est pas aussi facilement intimidée. Cela s’explique en partie par
le fait que les médias en réseau – en particulier les médias sociaux – ont aidé
les jeunes à atteindre un degré de communication à l’échelle mondiale qui a
renforcé leur sentiment d’unité et leur détermination.
La nouvelle
génération d’étudiants palestiniens et de jeunes intellectuels prend également
toute sa place dans cette évolution. Leur capacité à se connecter avec les
sociétés occidentales en tant qu’éléments extérieurs et intérieurs à la fois, a
aidé à combler les fossés culturels et politiques.
Sixièmement,
alors que les idées de la «solution d’un État démocratique» n’ont pas encore
atteint la masse critique qui pourrait éventuellement pousser les gouvernements
à changer de politique, la soi-disant «solution à deux États» n’a plus guère de
partisans. C’est presque un renversement complet des points de vue qui ont
imprégné mes premières tournées mondiales, il y a près de 20 ans.
Septièmement,
certains cercles de la société intellectuelle et même de la société civile,
sont encore englués dans la pensée erronée que la meilleure façon de
transmettre le point de vue palestinien est par l’intermédiaire des
non-Palestiniens. Cette conviction est même défendue par certains Palestiniens
eux-mêmes (en particulier les membres des générations précédentes qui ont
souffert de la marginalisation et de la discrimination politiques et
culturelles).
Bien que
de nombreux intellectuels juifs et occidentaux antisionistes aient été placés
au premier plan pour véhiculer un message palestinien, l’aliénation des
Palestiniens par rapport à leur propre discours s’est révélée très pénalisante.
Malgré un soutien fort et en augmentation constante par rapport à la Palestine,
il y a encore un grave déficit dans une compréhension authentique de la
Palestine et des aspirations du peuple palestinien – son histoire, sa culture,
ses réalités quotidiennes et ses points de vue.
Inutile
de dire que ce qu’il faut, c’est une remise en forme urgente et complète du
récit sur la Palestine en même temps qu’une décolonisation du discours
palestinien.
Huitièmement,
le lien entre la lutte palestinienne pour la liberté et celle des autres
groupes autochtones est souvent mis en évidence, mais beaucoup plus peut être
fait. Les partisans israéliens poussent activement la notion trompeuse que les
Israéliens sont les «natifs» de la terre et tendent donc la main aux
communautés indigènes du monde entier à la recherche d’un terrain d’entente.
Alors que la réalité est à l’opposé, les groupes pro-palestiniens peuvent faire
beaucoup plus pour lier la lutte des autochtones palestiniens à celle d’autres
groupes indigènes et d’autres groupes opprimés et historiquement marginalisés à
travers le monde.
Tout
aussi important : tout au long de mon voyage de trois mois à travers le
monde, j’ai été le témoin direct des nombreuses initiatives personnelles et de
groupes menées par des milliers de personnes en solidarité avec le peuple
palestinien: depuis Salma, âgée 11 ans, qui a convaincu tous ses camarades de
classe à Perth en Australie de mentionner la Palestine sur la carte du monde
dans sa classe de géographie, bien que sachant qu’ils seraient tous mal notés
pour leur action, jusqu’au couple âgé à Auckland, en Nouvelle-Zélande, qui bien
qu’octogénaires et se déplaçant avec beaucoup de difficultés, continue de
distribuer aux passants dans une rue très fréquentée des tracts parlant de la
Palestine, chaque semaine toutes ces 20 dernières années.
Ce sont
ces personnes, et les millions comme elles, qui sont le véritable appui pour la
Palestine. Ce sont des combattants dans les tranchées de la solidarité humaine
que ni Israël ni personne d’autre, ne pourra vaincre.