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Arabie saoudite : fin de l’interdiction faite aux femmes de conduire

Anuj
Chopra, La Presse, 23 juin 2018

L’interdiction
faite aux femmes de conduire, qui était en vigueur depuis des décennies en
Arabie saoudite, sera levée à partir de ce dimanche, selon une annonce
préalable du gouvernement.
Pour
beaucoup de femmes, saoudiennes ou expatriées, cette mesure permettra de
réduire leur dépendance à l’égard des chauffeurs privés ou des hommes de leurs
familles, entraînant du même coup des économies financières. Photo Archives
Reuters

Mettant
fin à une interdiction unique au monde, l’Arabie saoudite autorise à partir de
dimanche les femmes à conduire, une réforme historique pour le royaume
ultraconservateur, mais entaché par des accusations de répression croissante
contre les militants des droits de l’homme.

Annoncée
en septembre 2017, cette décision inspirée par le prince héritier Mohammed ben
Salmane fait partie d’un vaste plan de modernisation du riche pays pétrolier.
Elle met fin à une interdiction devenue le symbole du statut inférieur des
Saoudiennes, décrié à travers le monde.
Des
milliers de conductrices pourraient prendre le volant dimanche, une journée
attendue depuis longtemps par les Saoudiennes et qui, pour beaucoup, ferait
entrer dans une nouvelle ère la société dans ce royaume régit par une version
rigoriste de l’islam.
«C’est un
pas important et une étape essentielle pour la mobilité des femmes», résume
Hana al-Khamri, auteure d’un livre à paraître sur les femmes dans le
journalisme en Arabie saoudite.
«Les
femmes en Arabie saoudite vivent dans un système patriarcal. Leur donner le
volant aidera à défier les normes sociales et de genre qui entravent la
mobilité, l’autonomie et l’indépendance», dit-elle.
Pour
beaucoup de femmes, saoudiennes ou expatriées, cette mesure permettra de réduire
leur dépendance à l’égard des chauffeurs privés ou des hommes de leurs
familles, entraînant du même coup des économies financières.
«C’est un
soulagement», a déclaré à l’AFP Najah al-Otaibi, analyste au centre de
réflexion prosaoudien Arabia Foundation.
«Les
Saoudiennes éprouvent un sentiment de justice. Pendant longtemps, elles se sont
vu refuser un droit fondamental qui les a maintenues confinées et dépendantes
des hommes, rendant impossible l’exercice d’une vie normale», explique-t-elle.
Impact
économique
Plus tôt
en juin, le royaume a délivré les premiers permis de conduire à des femmes.
Certaines ont échangé leur permis étranger contre un permis saoudien après
avoir passé un test.
Quelque
trois millions de femmes pourraient se voir attribuer une licence et commencer
à conduire d’ici 2020, selon le cabinet de consultants PricewaterhouseCoopers.
Des
auto-écoles pour femmes ont d’ailleurs vu le jour dans des villes comme Ryad et
Djeddah. Quelques-unes apprennent à dompter des motos Harley-Davidson dans des
scènes inimaginables il y a encore un an.
Beaucoup
de Saoudiennes ont partagé sur les réseaux sociaux leurs projets pour dimanche,
affirmant qu’elles accompagneraient leur mère boire un café ou manger une
glace, une expérience à priori banale ailleurs dans le monde, mais qui paraît
exceptionnelle pour le pays.
Pendant
des décennies, les conservateurs se sont servis d’interprétations rigoristes de
l’islam pour justifier l’interdiction de conduire, certains allant même jusqu’à
dire que les femmes ne sont pas assez intelligentes pour être derrière le
volant.
Côté
économique, les retombées peuvent être bénéfiques, selon des experts. La levée
de cette interdiction devrait stimuler l’emploi des femmes, et, selon une
estimation de Bloomberg, ajouter 90 milliards de dollars à l’économie d’ici à
2030.
Mais
nombre de femmes craignent de rester la cible des conservateurs dans un pays où
les hommes gardent le statut de «tuteurs» et décident à leur place.
En effet,
les Saoudiennes doivent sortir voilées et restent soumises à de strictes
restrictions; elles ne peuvent ni voyager, ni étudier, ni travailler sans
autorisation de leur mari ou d’un homme de leur famille, ni manger seules dans
un restaurant.
Le
gouvernement a récemment pris des mesures contre les abus en punissant le
harcèlement sexuel de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 300 000
rials (près de 107 000 dollars canadiens).
«Ni
traître ni terroriste»
Sous
l’impulsion du prince Mohammed, devenu héritier du trône il y a un an, le pays
a aussi autorisé l’ouverture des salles de cinéma et les concerts mixtes, signe
de son intention de revenir à un «islam modéré».
Mais
l’enthousiasme créé par l’annonce des réformes semble être entaché par une
vague de répression contre les militantes qui se sont entre autres longtemps
opposées à l’interdiction de conduire.
Selon les
autorités, neuf de plus d’une dizaine de personnes arrêtées, dont des femmes,
sont toujours en prison. Elles sont accusées d’atteinte à la sécurité du
royaume et d’avoir aidé les «ennemis» de l’État.
Des
journaux progouvernementaux ont publié des photos de certaines en une,
accompagnées du mot «traîtres».
Human
Rights Watch (HRW) a indiqué cette semaine que deux autres militantes, Nouf
Abdelaziz et Maya al-Zahrani, avaient été arrêtées.
«Je ne
suis pas une provocatrice, ni une terroriste, ni une criminelle, ni une
traîtresse», s’est défendue Mme Abdelaziz dans une lettre avant son
arrestation, citée par HRW. «Je ne suis qu’une bonne citoyenne qui aime son
pays et ne lui souhaite que le meilleur».
«Ces
militantes doivent être récompensées, pas emprisonnées», estime Mme Khamri. «Il
est triste que ces femmes ne soient pas là pour assister à ce moment
historique».