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A Kaboul, le bodybuilding ou la quête de la beauté ultime malgré la violence

Courrier International, 25.06.2018

De la
musique indienne, un poster d’Arnold Schwarzenegger, des biceps saillants, des
grognements et de la sueur: les salles de musculation sont légion à Kaboul, où
le bodybuilding relève d’une quête de la beauté ultime, dans cette ville
déchirée par la guerre.
Hares
Mohammadi, un bodybuilder afghan, dans une salle de musculation, le 16 avril
2018 à Kaboul – AFP

Hares
Mohammadi, un étudiant en droit et sciences politiques de 25 ans, soulève de la
fonte avec application. Puis il prend différentes poses soulignant sa plastique
travaillée, en vue d’une compétition à venir.

“Tout
le monde, partout en Afghanistan, veut avoir une belle silhouette. Ce sport est
le préféré de tous les jeunes hommes”, affirme-t-il dans la salle de sport
bondée.
Dans un
quotidien marqué par une insécurité croissante et une menace terroriste
omniprésente, se forger un physique avantageux permet de “laisser son
empreinte”, voire de “devenir un modèle”, poursuit le jeune
homme aux cheveux courts, adepte de “nourriture saine” et de
compléments protéinés.
Outre
Schwarzenegger, d’autres gros bras d’Hollywood et de Bollywood, Sylvester
Stallone ou Salman Khan ornent les murs des salles de musculation, un sport pratiqué
de longue date en Afghanistan.
© AFP. Hares
Mohammadi, bodybuilder afghan, est enduit de faux bronzage pour participer à un
concours de fitness, le 16 avril 2018 à Kaboul

Même les
talibans, qui interdisaient la musique et détruisaient les postes de télévision
durant leurs cinq années au pouvoir (1996-2001), en autorisaient la pratique.
Les sportifs étaient toutefois contraints de porter un pantalon durant leurs
entraînements.

Aziz
Arezo, 65 ans, légende du bodybuilding afghan, fut l’un des pionniers de la
discipline. Dans ses jeunes années, “très très peu de gens”
connaissaient ce sport, raconte-t-il dans sa petite salle à Kaboul, entre deux
sessions aux haltères.

“Inspiration” –
Lui-même
s’y est mis en visionnant des films d’action étrangers. Et en s’inspirant de
posters et cartes postales de ses idoles, il s’est décidé à ressembler à…
Schwarzenegger, sacré Mr Olympia, ou champion du monde de culturisme, à sept
reprises dans les années 1970.
© AFP. Hares
Mohammadi (g), bodybuilder afghan, participe à un concours de bodybuilding et
fitness, le 18 avril 2018 à Kaboul

Même les
talibans, qui interdisaient la musique et détruisaient les postes de télévision
durant leurs cinq années au pouvoir (1996-2001), en autorisaient la
pratique”Arnold était mon inspiration”, confesse-t-il.

A cette
même époque, le Comité olympique afghan nomme Aziz Arezo premier maître de
bodybuilding. “J’ai été mon propre professeur”, se rappelle-t-il.
Des
pièces automobiles lui ont servi à fabriquer ses propres accessoires, notamment
des haltères, qu’il dit “plus efficaces que les étrangers”.
Il n’est
toutefois resté que quatre mois dans un Kaboul gouverné par les talibans,
fuyant un temps la ville pour échapper aux “restrictions” que ces
derniers imposaient, explique-t-il.
Il
explique avoir entraîné durant sa carrière des centaines de jeunes Afghans,
malgré la concurrence. “Aujourd’hui, les clubs de bodybuilding sont
partout dans la ville. Et chacun s’est fait sa salle”, commente-t-il.
© AFP. Un
Afghan, adepte du
bodybuilding, soulève de la fonte dans
une salle de
musculation,
le 9 avril 2018 à Kaboul

Mais les
méthodes modernes le laissent de marbre. “Si vous faites du sport naturellement,
c’est mieux que les protéines” et les “hormones” qui sont
“nocives pour la santé”, dit-il dans sa petite salle à Kaboul.

“Avant
de m’entraîner, je buvais du jus de banane et de carotte. Après l’effort, je
prenais deux ?ufs, trois verres de lait, un bol de haricots et de
lentilles”, raconte-t-il.
Mais
“aujourd’hui, le bodybuilding n’est plus naturel”, déplore-t-il.
Il joue
pourtant un rôle tout particulier dans un pays qui n’a guère connu que la
violence depuis qu’il a été envahi par les troupes soviétiques en décembre
1979, il y a bientôt quatre décennies.

Frustration sexuelle –
“Le
sport peut aider à réduire le stress, l’anxiété”, analyse Ali Fitrat,
professeur de psychologie à l’université de Kaboul, alors que les Afghans ont
“souffert socialement, culturellement, financièrement et
politiquement”, notamment de “l’insécurité et des combats en
cours” ou encore du manque d’emplois, qui ont nourri des
“traumatismes”.
© AFP. Des
Afghans s’entraînent dans une salle de musculation à Kaboul, le 9 avril 2018

Il cite
la “frustration sexuelle” comme une autre importante source de
stress, dans un pays très conservateur où hommes et femmes n’interagissent que
rarement. “Les gens n’ont pas accès au sexe. (…) Mais le sexe est un
besoin” et l’incapacité à le satisfaire génère des tensions, souligne M.
Fitrat.

Antidote
contre les multiples maux afghans, le culturisme se retrouve pourtant lui-même
menacé par la détérioration sécuritaire dans Kaboul.
© AFP. Des
Afghans s’entraînent en soulevant des poids à Kaboul, le 18 avril 2018

La capitale
afghane est devenue selon l’ONU l’endroit le plus dangereux du pays pour les
civils, avec depuis un an une recrudescence des attentats d’ampleur,
généralement perpétrés par des kamikazes et tour à tour revendiqués par les
talibans ou le groupe Etat islamique.
Depuis le
début de l’année, au moins quinze attentats ont frappé Kaboul, faisant des
centaines de morts et de blessés. De nombreux sportifs limitent désormais leurs
déplacements pour se protéger.
Aziz
Arezo a ainsi constaté une baisse de la fréquentation de son club. “Ces
temps-ci, soupire-t-il, les gens sont plus soucieux de fuir du pays que de
faire du sport.”