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✊ SPECIAL NAKBA _ Gaza, Jérusalem: l’embarras des Etats africains

Par Pierre Pinto, RFI,
16-05-2018

Depuis le
début de la semaine, Israël fait face à une vague de condamnations
internationales après le bain de sang dans la bande de Gaza où 60 personnes ont
été tuées dans la répression féroce par l’armée des marches palestiniennes vers
la frontière. Dans ce concert de protestation, le silence de la plupart des
Etats africains traduit un certain malaise des chancelleries autour de la
question palestinienne. Un silence qui a deux causes principales : les
pressions américaines et le travail au long cours de la diplomatie israélienne.
Des
palestiniens manipulent des pneus destinés à être brûlés afin de fournir
un
rideau de fumée protecteur face à l’armée israélienne, le 15 mai 2018
à la frontière
entre Gaza et Israël. © REUTERS/Ibraheem Abu Mustafa
Tout
accaparés qu’ils étaient par le couple glamour Ivanka Trump – Jared Kushner,
conseillers et émissaires du président américain à l’inauguration de
l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem, les photographes auront probablement
manqué la présence parmi les dignitaires d’une dizaine de représentants de pays
africains. Alors que la cérémonie battait son plein, des milliers de
manifestants palestiniens étaient au même moment pris sous le feu de militaires
israéliens protégeant à balles réelles la frontière entre l’Etat hébreu et la
bande de Gaza à une centaine de kilomètres de là. Des violences qui ont
provoqué une vague de condamnations internationales.
Mais en
Afrique ces condamnations ont été plutôt rares. L’Afrique du Sud a rappelé son
ambassadeur. Le président de la commission de l’Union africaine s’est fendu
d’un communiqué dans lequel il condamnait « l’usage disproportionné de la
force par l’armée israélienne ». Moussa Faki Mahamat, qui soulignait
« que la relocalisation de l’Ambassade des États-Unis à Jérusalem ne peut
qu’aggraver les tensions dans la région ». De son côté, le Sénégal  a
appelé « la Umma islamique et les Nations unies à se mobiliser pour mettre
fin à cette tragédie humaine ». Et Macky Sall de réaffirmer son « ferme
attachement aux droits légitimes de nos frères et sœurs de Palestine à un Etat
indépendant et souverain avec Al Quds Al Sharif [Jérsualem NDLR] pour capitale ».
Le président sénégalais s’exprimait lors d’une réunion du Comité des affaires
culturelles de l’Organisation de la coopération islamique (OCI) à Dakar.
Le
Sénégal et Israël ont des rapports en dent-de-scie. Les relations diplomatiques
entre les deux pays avaient été rompues en décembre 2016 quand Dakar avait
obtenu du Conseil de sécurité des Nations unies le vote d’une résolution
interdisant la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Le réchauffement
s’était opéré six mois plus tard à l’occasion du sommet de la CEDEAO qui devait
consacrer le retour du Maroc dans l’organisation ouest-africaine. Mais le roi
avait annulé sa venue en raison de la présence au sommet du Premier ministre
israélien Benyamin Netanyahu.
« Les
Africains observent »
Lundi,
Mohammed VI, en sa qualité de président du comité Al Quds de l’OCI, chargé
notamment de suivre l’évolution de la situation de Jérusalem, s’est d’ailleurs
exprimé sur le transfert de l’ambassade américaine, réitérant son « rejet de
cet acte unilatéral, contraire à la volonté de la communauté internationale ».
Mais rien sur les violences à Gaza.
La Ligue
arabe qui compte parmi ses membres une dizaine d’Etats africains se réunit ce
jeudi 17 mai au niveau ministériel après avoir déjà appelé la Cour Pénale
internationale (CPI) à ouvrir une enquête. Quant à l’OCI, qui compte en son
sein 25 pays africains, elle convoque une réunion extraordinaire vendredi. Mais
en attendant, les capitales africaines se sont illustrées par leur silence.
« Pour l’instant les Africains observent et estiment que peut-être, ce
n’est pas à eux de faire le premier pas. Ils attendent que la Ligue arabe se
manifeste avant d’emboîter le pas », commente Alhadji Bouba Nouhou,
enseignant à l’université de Bordeaux-Montaigne. Alors pourquoi ce malaise sur
une question palestinienne autour de laquelle l’Afrique a longtemps fait
bloc ? « C’est une faiblesse de notre diplomatie multilatérale. Quand
il s’agissait du régime d’apartheid sud-africain, de la Namibie et d’autres
questions, l’Afrique était presque unanime. Aujourd’hui ça s’est bien effiloché
à cause des pressions des Etats-Unis et d’Israël », estime le diplomate
sénégalais Falilou Kane, ancien ministre et ancien président du Comité des
droits des Palestiniens à l’ONU. Quand les Etats-Unis vous disent “Si vous
votez contre moi je vous coupe les vivres”, il y a beaucoup de pays qui,
au maximum, vont s’abstenir ». Le désintérêt de l’administration Trump
pour l’Afrique coïncide avec un intérêt croissant des Israéliens pour le continent.
« Depuis l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, on voit bien que la
politique israélienne semble se coordonner avec la politique américaine, et
pour la majorité des Etats africains — notamment confrontés à des problèmes
sécuritaires l’accès à la porte des Américains passe par le biais
israélien », selon Alhadj Bouba Nouhou.
Diplomatie
israélienne active
S’il ne
date pas d’hier, l’intérêt israélien pour l’Afrique a connu un coup
d’accélérateur ces deux dernières années. Depuis une tournée de Benyamin
Netanyahu en Afrique de l’Est en 2016, Israël déploie des trésors de séduction
à l’attention de nombreux pays africains. Même si l’an dernier la tentative
d’un sommet Afrique-Israël  à Lomé a échoué sous la pression de plusieurs
Etats, comme le Maroc, il semble que lentement mais sûrement Benyamin Netanyahu
parvienne à avancer ses pions sur un continent dont une vingtaine de pays
reconnaissent la Palestine comme un Etat et accueillent une ambassade. Une
offensive diplomatique qui se traduit dans les faits par une coopération
parfois militaire, mais souvent économique. L’expertise des compagnies
israéliennes dans des secteurs comme la sécurité informatique, la surveillance,
la protection des frontières intéressent les capitales. « Israël a aussi
décuplé son aide au développement ces 15 dernières années, par l’intermédiaire
de son  département des affaires étrangères, le MASHAV, surtout  dans
les domaines de l’hydraulique et de l’agriculture, et ça, c’est un outil
considérable du soft power israélien en Afrique », explique Elisabeth
Marteu, chercheuse à l’Institut international d’études stratégiques.
Israël
est entré en Afrique par l’est. Au-delà de ses relations historiques avec
l’Ethiopie et le Kenya, l’Etat hébreu discute avec le Rwanda et l’Ouganda de la
question des migrants africains qu’il souhaiterait y envoyer. Le Rwanda où il
compte une ambassade depuis quelques mois. Israël sourit même à un Soudan qui a
rompu avec Téhéran il y a 2 ans. Khartoum a longtemps été  accusé par l’Etat
hébreu faire transiter par son territoire des armes en provenance d’Iran 
à destination de la bande de Gaza. L’aviation israélienne aurait même mené à
plusieurs reprises des frappes contre des convois au Soudan. Pourtant un
représentant de Khartoum était présent à l’inauguration de l’ambassade
américaine lundi.
« Même
le Maroc se rapproche petit à petit d’Israël. Les deux pays pourraient rétablir
leurs relations diplomatiques, commente Alhadji Bouba Nouhou. On le voit aussi
avec d’autres Etats, notamment le Soudan qui entretient aujourd’hui quelques
relations informelles avec Israël. Petit à petit, les pays africains qui
étaient réticents commencent à se rapprocher diplomatiquement d’Israël. Et
l’élection de Donald Trump accentue ce rapprochement. »
« Israël
a des amis en Afrique, mais combien sont-ils ? », tempère Falilou Kane. La
réalité c’est que ces pays ont des intérêts avec Israël. Il ne s’agit pas de
dire « nous n’avons pas de relations », ou « nous avons des relations avec
Israël ». Depuis Camp David, l’Egypte a des relations avec Israël, ça ne veut
pas dire que l’Egypte  accepte tout ce qu’Israël fait. »
Contexte
international
Les vents
sont favorables au gouvernement israélien. La remise au banc des nations de
l’Iran par les États unis devrait avoir des conséquences positives pour les
positions israéliennes. L’Arabie saoudite et les pays du Golfe très actifs au
sein de la Ligue arabe ou de l’OCI pourraient émousser leurs critiques pour
concentrer le feu sur l’ennemi commun iranien. Et les Africains s’aligneraient.
D’autant qu’en Afrique la cause palestinienne a perdu de sa superbe.
Paradoxalement, si dans les années 60 la question palestinienne était perçue
comme un mouvement de libération nationale, la reconnaissance par de nombreux
pays africains de la Palestine comme un Etat a peu à peu fissuré le bloc
pro-palestinien constitué par un certain nombre de pays africains. La mort de
Kadhafi longtemps défenseur de la cause a probablement joué aussi. « Il y
a également le fait que les Etats arabes ne sont plus aptes à proposer quelque
chose qui puisse ramener les Etats africains vers la cause palestinienne »,
ajoute Alhadji Bouba Nouhou. En somme, le désintérêt arabe pour la Palestine
s’étend à l’Afrique.
En plus
des astres qui s’alignent pour Israël, son travail diplomatique semble porter
ses fruits. « L’entreprise de charme de la diplomatie israélienne marche
de mieux en mieux, affirme Elisabeth Marteu. Cela étant, quand il faudra voter
à l’assemblée générale des Nations unies, à l’Unesco, dans ce genre d’instance,
est-ce-que les Etats africains vont véritablement changer leur positionnement ?
A voir. »