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Les journalistes japonaises se mobilisent contre le harcèlement sexuel

Le Figaro, 15 mai 2018

Parce
qu’elles regrettent que «toutes les femmes journalistes japonaises ont un jour
subi une forme de harcèlement sexuel», 86 d’entre elles montent une association
pour «éradiquer» ce fléau. Ou quand le mouvement international #MeToo gagne le
Japon.
Yoshiko
Hayashi, une des fondatrices du mouvement Women in Media Network Japan (WiMN),
lors de la conférence de presse où elle dénonce le harcèlement sexuel dont les
journalistes sont victimes au Japon. (Tokyo, mai 2018.). Kazuhiro Nogi / AFP

À leur
tour, aussi, les Japonaises disent stop. Au Japon, 86 journalistes ont annoncé
ce mardi 15 mai la création d’une association pour faire valoir leurs droits et
lutter contre le
harcèlement sexuel
et les attitudes sexistes qu’elles rencontrent
dans leur métier.
«Toutes
les femmes journalistes japonaises ont un jour subi une forme de harcèlement
sexuel, il n’y a je crois pas d’exception, mais elles se taisent de peur de
rompre les liens avec leurs sources», a déclaré lors d’une conférence de presse
Yoshiko Hayashi, une des fondatrices du mouvement Women in Media Network Japan
(WiMN), qui fait, selon elle, «indirectement» écho à la vague mondiale #Metoo.
Éradiquer
le harcèlement sexuel
En créant
leur mouvement, ces 86 femmes ont recueilli 19 témoignages de journalistes trentenaires,
quadra ou quinquagénaires de chaînes de télévision, journaux, agences de
presse. Attouchements à l’arrière d’un taxi, propos déplacés à caractère
sexuel, questions sur leur vie privée de la part des hommes politiques : elles
dévoilent les coulisses de leur travail et l’absence de compréhension de leur
hiérarchie lorsqu’elles tentent d’en parler.
«Nous
n’avons pas pu parler jusqu’à présent, nous en souffrons», c’est le message
principal qui ressort de ces témoignages, a souligné Chie Matsumoto, autre
fondatrice de WiMN. «Nous sommes résolues à éradiquer le harcèlement sexuel et
autres atteintes à la dignité humaine», a martelé Yoshiko Hayashi. Selon elle,
«la société japonaise est encore empreinte d’une pensée très masculine, mais si
nous changeons les médias, nous pouvons contribuer à changer la société»,
a-t-elle poursuivi.
Cette
initiative a été prise à la suite d’un cas très
médiatisé de harcèlement sexuel d’une journaliste d’une chaîne de télévision
par
un haut fonctionnaire du ministère des Finances. L’homme, Junichi Fukuda,
vice-ministre administratif, a été contraint de démissionner mais reste
néanmoins toujours verbalement soutenu par son ex-patron, le vice-premier
ministre et ministre des Finances, Taro Aso.
“Totale
ignorance”
Dans une
lettre adressée à ce dernier, les journalistes de WiMN lui demandent de poursuivre
l’enquête pour savoir s’il n’y a pas d’autres journalistes concernées et que
des excuses soient présentées à la victime. Elles invitent le gardien des
deniers publics japonais depuis plus de cinq ans à suivre une formation sur ce
que sont les propos ou attitudes sexistes et le harcèlement sexuel, comme celle
que son ministère a commencé de prodiguer à une partie de ses employés. Ces
journalistes insistent en outre sur le fait que les paroles de Taro Aso,
relayées par les médias, tendent à banaliser les faits, voire à faire porter la
responsabilité par les femmes.
Taro Aso
a notamment déclaré qu’«il n’existe pas de délit de harcèlement sexuel», tout
en demandant que la victime ne reste pas anonyme sans quoi il est selon lui
difficile d’avérer les faits. «Cela montre une totale ignorance de la
difficulté que représente pour la victime le fait de se présenter nommément en
cas de violence
sexuelle
quelle qu’elle soit», dénonce WiMN.
Journalistes
ou pas, la plupart des Japonaises qui subissent une atteinte à caractère sexuel
se taisent car celles qui osent dénoncer sont ensuite brocardées par une partie
de la société, jetées en pâture sur Internet voire menacées. Au Japon, «le fait
qu’il n’y ait pas de définition de ce qu’est le harcèlement sexuel est un des
problèmes sur lesquels nous interpellons aussi le gouvernement», a indiqué
Yoshiko Hayashi.