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L’Eglise chilienne, secouée par des abus sexuels, rencontre le pape

Courrier International, 11.05.2018

Une
délégation de 31 évêques chiliens est convoquée à Rome pour rencontrer à partir
de lundi le pape François, qui vient de recevoir les victimes d’un prêtre
pédophile de ce pays secoué par les abus sexuels dans l’Eglise.
Le pape François
à Loppiano en Italie, le 10 mai 2018 – AFP
Inédit
dans l’Histoire du clergé chilien, ce voyage répond à une “invitation
ouverte” lancée par le souverain pontife argentin: sur les 32 religieux
ainsi invités, un seul ne fait pas le voyage, Andrés Arteaga, évêque auxiliaire
de Santiago, retiré de la vie publique pour raisons de santé, selon une source
au sein de la Conférence épiscopale.

Chacun
paiera son billet d’avion et son logement, selon la même source.
“Le
pape cherche à lancer un signal de changement, sinon, il ne nous convoquerait
pas à Rome. Ce n’est pas pour nous rendre hommage ou nous donner une tape sur
l’épaule”, a commenté, réaliste, l’évêque de la ville d’Aysén, Luis
Infanti, auprès du journal La Tercera.
“Ce
que je prévois, c’est un grand chambardement dans l’Eglise chilienne. Par
exemple, que des évêques soient écartés (…) et qu’il donne un nouveau cap à
l’Eglise au Chili”, a-t-il ajouté.
C’est
aussi l’occasion pour le pape François de réparer le fiasco médiatique de son
voyage dans ce pays sud-américain en janvier, quand il avait défendu avec force
un évêque chilien, Mgr Juan Barros, soupçonné d’avoir caché les actes
pédophiles du père Fernando Karadima.
Le pape
s’était déclaré persuadé de l’innocence de Juan Barros et avait demandé aux
victimes présumées des preuves de sa culpabilité. Avant de présenter ses
excuses pour ces propos maladroits et de dépêcher au Chili deux enquêteurs.
Il était
allé plus loin ensuite, en recevant début mai au Vatican trois victimes d’abus
sexuels du père Karadima, des hommes aujourd’hui âgés d’une quarantaine ou
cinquantaine d’années, leur présentant des excuses et se disant déterminé à
corriger ses “graves erreurs” d’appréciation sur ce scandale.
“Nous
demandons directement au pape qu’il n’hésite pas face à ceux qui doivent être
considérés, non comme les auteurs d’un péché, mais plutôt d’un crime et de la
corruption plus profonde qui peut exister dans une société”, avait alors
dit José Andrés Murillo, l’une des trois victimes reçues à Rome.
Selon
différents experts et des membres de l’Eglise chilienne, le pape devrait
écarter de ses fonctions notamment Mgr Barros et ordonner une réorganisation
totale de la hiérarchie ecclésiastique locale.

“Laboratoire” –
Dans une
récente lettre adressée aux évêques chiliens, le pape a reconnu avoir mal jugé
la situation, par “manque d’informations véridiques et équilibrées”.
“C’est
une lettre où il prépare les conditions pour des mesures allant beaucoup plus
loin que le départ de Barros”, estime le sociologue et chercheur de
l’Institut d’études avancées de l’université de Santiago, Cristian Parker.
“Le
pape va devoir prendre des mesures concernant l’ensemble des évêques et les
structures de l’Eglise pour qu’à l’avenir il soit sûr que les canaux de
communication sont fiables”, explique-t-il à l’AFP.
Et
“cela va provoquer une sorte de tremblement de terre dans l’Eglise
chilienne, surtout dans la hiérarchie”.
Qui a
donc mal informé le pape sur l’ampleur de ce scandale sexuel?
Tous les
regards se tournent vers le nonce apostolique Ivo Scapolo, chargé
officiellement de faire parvenir à Rome tout type d’information, et le cardinal
Francisco Javier Errazuriz, membre d’une puissante commission de neuf cardinaux
(C9) chargée de conseiller le pape François sur les réformes de la Curie.
Ils
devraient être sanctionnés, de même que l’archevêque de Santiago, Ricardo
Ezatti, qui a ignoré les plaintes contre le père Karadima.
La
sévérité ou non du souverain pontife et les réformes qu’il adoptera devraient
marquer un point d’inflexion dans la façon dont l’Eglise catholique fait face
aux scandales d’abus sexuels, qui ont impliqué environ 80 membres du clergé
chilien ces dernières années selon une association de victimes.
“Le
Chili est actuellement un laboratoire dans lequel François joue une partie de
sa crédibilité”, estime José Manuel Vidal, vaticaniste espagnol et
directeur du journal en ligne “Religion Digital”.
En 2011,
après de nombreuses tentatives pour détourner les accusations, le Vatican avait
finalement condamné le père Karadima comme auteur d’abus sexuels et l’avait
confiné à une “vie de prière et pénitence”.