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Le « Magique Système » du foot africain : entre arnaques et rêves brisés

Par Tidiany
M’Bo, Le Point Afrique, 08/04/2018

SCANDALE.
Le livre « Magique Système » dénonce le traitement des jeunes joueurs
du continent de la part de clubs et d’agents prêts à tout pour s’enrichir.
Les
terrains de foot du continent africain sont devenus le terrain de chasse
d’agents peu scrupuleux. © GABRIEL BOUYS / AFP
L’Afrique,
un eldorado pour les clubs du monde entier, un vivier « bon marché »
dans lequel il est devenu facile de venir se servir. C’est en substance le
message délivré par Magique Système, sorti le 31 janvier dernier
aux éditions Marabout. Dans cet ouvrage, deux journalistes, Barthélémy Gaillard
(Vice) et Christophe Gleizes (So Foot), dressent un constat alarmant sur les
agissements dont sont victimes de jeunes footballeurs africains pleins
d’espoirs. Le tout à travers un système où agents et clubs européens
apparaissent autant bénéficiaires que complices, où les magouilleurs,
faussaires, entités fédérales trouvent tous leur compte. Un business dont tous
profitent, sauf les victimes collatérales, dont le destin et la vie ont souvent
basculé sous le poids de ce système.
L’omniprésence
des « agents » et la complicité des clubs
« Seulement
25 % des transferts réalisés sur le continent le sont pas des agents
licenciés. » Ce témoignage de Jérôme Champagne, ex-candidat à la
présidence de la Fifa, illustre l’un des grands maux de ce système.
L’omniprésence de ces pseudo-agents, qui sévissent parfois via des réseaux
structurés, constitue l’une des plaies les plus profondes du continent.
L’Afrique constitue un marché préférentiel : il y a le talent, mais aussi
le nombre. La tendance se ressent dans la proportion grandissante de ses joueurs
dans les championnats européens : pas moins de 23 % des footballeurs
de première division européenne sont africains, souligne l’ouvrage.
La tâche
des agents est « facilitée » par l’environnement local. La condition
de beaucoup de jeunes Africains, soumis à la misère et portés par le rêve de
percer, confère à l’intermédiaire une posture d’homme providentiel. Pourtant,
dans les faits, son rôle s’apparente à celui des passeurs en Méditerranée. La
promesse est celle d’un promoteur. Moyennant une somme importante, pour
laquelle c’est parfois un village entier qui se cotise, on fait miroiter au
jeune l’opportunité d’un « pack clés en main » avec visa, trajet et
essai dans un club du Vieux Continent.
Souvent,
l’apprenti footballeur n’a même pas encore posé le pied en Europe que l’agent
s’évanouit dans la nature avec l’argent. Sinon, il se peut qu’il finisse par
attendre désespérément d’être pris en charge à son arrivée en Europe. Une
situation qui peut déboucher sur une clandestinité subie, conjuguée à une honte
de l’échec qui l’enferme progressivement et le coupe de sa famille. Et, y
compris pour celui qui aurait réussi à se frayer un chemin jusqu’aux essais, le
livre estime à 70 % le nombre de footballeurs africains en situation
d’échec une fois en Europe.
Les instances
et les clubs ferment les yeux
Que des
agents locaux tirent leur épingle du jeu en misant sur la crédulité des plus
démunis et sur une réglementation passoire était plus ou moins avéré. En
revanche, il est plus surprenant de mesurer combien certaines entités,
fédérations ou clubs, peuvent se montrer permissives sur l’origine des joueurs
que leurs intermédiaires peuvent présenter, et sur les méthodes peu
scrupuleuses de ces derniers.
L’une
d’entre elles concerne le trafic d’âge et d’identité. « Tricher sur son
âge, c’est un passage obligé pour rêver », dit clairement le livre. Les
académies locales sont coutumières de ces pratiques, qui ouvrent à leurs
protégés des horizons plus larges le jour des détections ou des matches durant
lesquels ils sont susceptibles de se faire repérer. Ces pratiques sont
encouragées par la recherche du « toujours plus jeune » chez les
clubs européens. Après tout, un joueur à l’identité changeante n’est autre
qu’un élément qui échappe au radar des fichiers fédéraux des pays. Ce qui les
dispense, à l’arrivée, de verser aux académies et petits clubs locaux des
indemnités de formation.
La
complicité des fédérations au sujet du trafic d’âge et d’identité est avérée
dans le livre. L’exemple de certains joueurs comme Chancel Mbemba (Newcastle)
ou Franck Kessié (AC Milan) est notamment cité. Les fédérations ne prennent pas
le risque d’entraver un système qui peut permettre à certains de ses gamins de
percer. Même s’il s’agit d’une très maigre proportion d’entre eux. Elle sait
qu’elle en sera bénéficiaire tôt ou tard. Et qu’importe si cela doit se faire
au détriment du niveau de compétitivité des sélections nationales, dont il est
judicieux de se demander à quel point elles ont pu être handicapées par la
présence de joueurs à l’âge parfois réduit de
3, 4 ou 5 ans. Le danger de ce « Magique
Système », c’est finalement que chacun semble prêt à en accepter les
règles. C’est une aubaine pour les puissants, et une échappatoire que sont
prêts à accepter les jeunes Africains, quoi qu’il leur en coûte. Le prix du
rêve.