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Le CESE dénonce sévèrement le système de Dublin sur les migrants

Cécile
Barbière, EURACTIV, 24 mag 2018

Dans un
avis très critique, le Conseil économique, social et environnemental français
dénonce les entraves au droit d’asile induites par le système de Dublin. Et
appelle la France et l’UE à une réforme en profondeur.
Camp de
réfugiés près du village d’Idomeni, au nord de la Grèce. [European
Commission
]
« Dublin,
c’est comme être prisonnier ». Louison Mungu est demandeur d’asile
congolais de 44 ans. Ce 24 mai, il est venu témoigner à la tribune du Conseil
Economique, Social et Environnemental, à l’occasion du vote du rapport sur la
politique d’accueil de l’UE. Il décrit la situation précaire que vivent une
grande partie des exilés débarquant sur le continent européen.
« Le
système de Dublin, cela signifie que je ne peux pas déposer de procédure
d’asile en France et que je crains de me faire expulser,» a-t-il expliqué.
Aujourd’hui,
le système de Dublin fait peser la responsabilité de l’accueil et de la prise
en charge des demandeurs d’asile sur les États de première entrée, tels que la
Grèce ou l’Italie. Dès leur arrivée, les empreintes digitales des exilées sont
enregistrées dans le fichier européen Eurodac.
Une fois
« dublinés » dans le pays d’entrée, les exilés sont notamment tenus
de déposer leur demande d’asile dans le même pays. Mais la majorité ne le fait
pas, préférant rejoindre un autre pays  pour des raisons familiales, ou de
connaissance de la langue. De nombreux africains parlent français, mais pas
l’italien, choisissent de venir en France. Mais ils s’exposent alors à
l’expulsion vers le pays d’entrée.
Parcours
du combattant
Un
parcours de l’absurde au cours duquel les exilés sont tenus à l’écart de toute
prise en charge dans un système d’accueil respectueux de droit humain. Et que
le rapport du CESE pointe du doigt comme une des dérives de la politique
d’accueil européenne.
La
« poursuite d’objectifs parfois contradictoires » par les États est
notamment pointée du doigt.  En effet, les pays européens sont tenus de
fournir aux réfugiés « un accueil conforme aux obligations
internationales », mais organisent dans le même temps « une gestion
des frontières qui tente d’éviter l’arrivée supplémentaire de demandeurs
d’asile sur leur territoire ».
Bruxelles
espère toujours convaincre la Hongrie et la Pologne de signer un hypothétique
accord sur l’immigration et la répartition des réfugiés.
« Le
développement d’une politique commune de l’asile passe […] par la possibilité
de déposer une demande d’asile sur le territoire d’un État membre de l’UE. En
ce sens, tout obstacle visant à empêcher l’accès au territoire de l’UE entre en
contradiction avec la garantie du droit d’asile. », souligne le rapport,
qui dénonce l’externalisation des frontières, mais aussi les barrières internes
à l’exercice du droit d’asile.
« En
Italie, beaucoup d’entre nous ont été placés dans des camps ou utilisés comme
esclaves, en Bulgarie nous avons été victimes de violence policière » raconte
Louison, qui a choisi de rejoindre la France alors que ses empreintes ont été
enregistrées à son arrivée en Italie. « Mais quand on parle le français,
qu’on nous a enseigné l’histoire de la France à l’école, c’est normal de
vouloir déposer sa demande d’asile en France où l’on a plus de chance de
s’intégrer ».
Le
parcours du Congolais ne diffère pas de celui d’une vaste partie des demandeurs
d’asile en Europe, où les rigidités du système de Dublin imposent un pays
d’accueil potentiel aux exilés, et une vaste partie de la charge migratoire aux
pays méditerranéens.
Ils
arrivent en France après un long parcours en Europe: les Afghans sont de plus
en plus ballottés entre pays qui tentent de les renvoyer, mettant « des
milliers de personnes en danger de mort », dénoncent Amnesty International
et la Cimade.
Pour y
répondre, la Commission européenne a tenté  de mettre en place un système
de relocalisation des demandeurs d’asile entre les différents pays. Boycotté
par un certain nombre d’États membres et inadapté pour les exilés, le système
de compensation s’est avéré « inefficace », souligne le rapport
réalisé par Emelyn Weber et Paul Fourier.
« Les
États membres demeurent majoritairement  convaincus par le système de
Dublin » déplore le rapport. Et pour maintenir le carcan de Dublin, la
politique et les financements des États européens  « se concentre
toujours plus sur le contrôle, voire la rétention des  dubliné.e.s
 en vue de l’organisation de transferts. », regrette les rapporteurs,
au détriment de l’accueil des personnes.
C’est
précisément le paradigme pointé par le rapport adopté par le CESE le 23 mai.
« L’humain, c’est ce qu’on tend à oublier depuis le début de la crise
migratoire » a rappelé Paul Fourier lors de la présentation du texte dans
l’hémicycle. «  Ces dernières années, les États européens ne se sont
pas montrés à la hauteur » a-t-il poursuivi.
Fiction
de Dublin
« Dublin
repose sur la fiction que les demandeurs d’asile ont les mêmes chances
d’obtenir l’asile, quel que soit le pays européen. Mais cela est faux » a
rappelé Emelyn Weber. Par exemple, un exilé afghan a 82,4% de probabilité de
voir sa demande d’asile accepté s’il la dépose en France. Mais seulement 55,8%
s’il le fait en Allemagne et 2,5% en Bulgarie.
Des
divergences qui contredisent l’esprit de Dublin et qui poussent parfois les
demandeurs d’asile  à opter pour un pays plutôt qu’un autre. Pour y
remédier, le rapport suggère une harmonisation réelle des critères de l’asile
en Europe, ainsi d’une agence européenne chargée du traitement des demandes d’asile.
En l’absence
de nouveau système d’asile européen, le bloc de l’Est n’a aucune raison de
changer d’avis sur la relocalisation des réfugiés. Un article des bureaux d’EURACTIV
en République tchèque, en Slovaquie
et en Pologne, ainsi que 
du think tank hongrois Political
Capital
.
Autre
proposition, une réforme du système de Dublin qualifié d’absurde par les
rapporteurs. Une nouvelle réforme doit être discutée par les instances
européennes au mois de juin. Mais la proposition mise sur la table par
Bruxelles ne réforme pas le système en profondeur, mais prévoit un mécanisme
correcteur automatique en cas d’afflux de demandeurs d’asile. Une proposition
qui demeure très proche du précédent système de relocalisation, malgré l’échec
de sa mise en œuvre.
A
l’inverse, le CESE encourage le gouvernement français à soutenir le mécanisme
proposé par le Parlement européen, qui prend en compte les liens potentiels
(regroupement familial, études passées, connaissance de la langue) ainsi que la
volonté du demandeur dans la procédure de relocalisation. Mais pour l’heure,
les demandeurs d’asile « dublinés » comme Louison risquent toujours
le renvoi vers leur pays d’entrée.