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La France plus punitive que l’Europe sur le délit de solidarité

Cécile
Barbière, EURACTIV, 28 mag 2018

Porter
assistance aux migrants en situation irrégulière peut coûter cher en France où
la notion de « délit de solidarité » est en train d’être révisée. Au
niveau européen, le débat démarre tout juste.
Au Refuge
solidaire à Briançon, les bénévole tentent d’informer sur les réseaux de
passeurs qui sévissent dans la région alpine.

L’assistance
aux migrants en situation irrégulière peut coûter cher aux citoyens français. À
Briançon, où certains habitants se sont organisés pour porter assistance aux
migrants de plus en plus nombreux à traverser les Alpes depuis l’Italie, la
question du risque juridique inquiète.

« Il
y a eu des gens qui ont été mis en garde à vue, mais aussi des pressions
exercées sur certaines personnes connues pour l’aide qu’elles apportent aux
migrants », explique Bruno, dameur-pisteur à Névache, un petit village à
quelques encablures de la frontière italienne.
En
première ligne face aux arrivées de plus en plus régulières de migrants via le
col de l’Échelle, un mouvement de solidarité s’est organisé à Névache pour
porter secours aux migrants traversant les Alpes, parfois en plein hiver au
péril de leur vie. « En hiver, je n’ai aucun scrupule. Je ne connais
aucune loi qui m’interdit de venir en aide à une personne en danger dans la
montagne » explique Bruno.
A la
frontière franco-italienne, les exilés se lancent dans la traversée clandestine
des Alpes par le col de l’Echelle, après la fermeture des autres routes. Les
montagnards se mobilisent pour les accueillir. Leur hantise : retrouver des
morts à la fonte des neiges.
Mais
entre assistance à personne en danger et aide à l’entrée illégale sur le
territoire français, la frontière est parfois mince. Ainsi, au cours de
l’hiver, des maraudes ont été organisées par des  bénévoles de Briançon.
Si elles ont permis de sauver des vies, elles ont également fait entrer en
contact les citoyens engagés dans l’aide aux migrants avec les réseaux de passeurs.
En effet, les maraudeurs sont rapidement identifiés par les réseaux côté
italien, qui s’empressent de vendre leur numéro de téléphone aux migrants. Un
exercice d’équilibriste dans lequel l’aide humanitaire et la collaboration avec
les réseaux de passeurs se confondent, entraînant un risque juridique pour les
militants.
Chaine de
solidarité
La chaine
de solidarité est donc parfois exploitée par les passeurs de plus en plus
nombreux sur la route des Alpes.  « Parfois, on a des exilés qui, en
arrivant au refuge solidaire de Briançon, pensent que l’hébergement fait partie
de ce qu’ils ont payé aux passeurs pour arriver jusqu’en France », soupire
un bénévole de ce lieu d’hébergement géré par des bénévoles.
Aujourd’hui,
la loi française réprime l’aide à l’entrée, au séjour et à la circulation des
personnes en situation irrégulière. Exception faite si cette aide est fournie
pour préserver la dignité de la personne et ne fait pas l’objet de
contrepartie. Elle ne doit pas non plus concerner la circulation ou
l’entrée dans le territoire, mais uniquement le séjour (hébergement,
nourriture, aide médicale etc.).
Cette
disposition du code de
l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile,
qui prévoit
une peine maximale de cinq ans de prison et trente mille euros d’amende,
 sert de base aux poursuites contre les passeurs. Elle a également été
utilisée contre des citoyens venant en aide aux migrants. Cédric Herrou, un
agriculteur de la vallée de la Roya en a fait les frais, interpellé à plusieurs
reprises entre 2016 et 2017 pour avoir aidé environ 200 migrants à entrer en
France depuis l’Italie. Quant à la militante d’Amnesty International, Martine
Landry, elle a été poursuivie pour avoir transporté deux migrants guinéens de
quinze ans entre la France et l’Italie. Son procès doit s’ouvrir fin mai.
À
l’occasion de l’examen à l’Assemblée nationale du projet de loi sur l’asile et
l’immigration, le délit de solidarité a été remis sur la table. Les députés ont
adopté un amendement modifiant le « délit de solidarité », pour y
inclure notamment des exemptions pour l’aide à la circulation. En pratique, la
majorité des personnes poursuivies sur la base du délit de solidarité l’ont été
pour avoir aidé au déplacement des migrants.
L’encadrement
du délit de solidarité à l’Assemblée nationale a été rendu possible par le
soutien affiché du président Emmanuel Macron et du vote des députés LREM. Mais
au Sénat, où les forces penchent davantage vers la droite de l’échiquier
politique, la réforme du délit de solidarité n’est pas assurée de passer en
l’état, lors de l’examen du texte début juin.
Une
initiative citoyenne européenne
Côté
européen, la discussion autour du délit de solidarité peine à émerger.
Pourtant, les lois européennes en vigueur sont beaucoup plus flexibles que les
lois françaises.  Une directive
adoptée en 2002
sur l’aide à l’entrée, au transit et au séjour
irrégulier fixe des règles minimales  de sanction dans le cas d’une aide
« à but lucratif ». En droit français, la nécessité d’une
contrepartie est reprise, mais il n’est pas précisé qu’elle soit forcément
pécuniaire. Un élargissement qui a notamment permis les poursuites judiciaires
à l’encontre de citoyens n’ayant reçu aucun paiement pour l’aide apportée.
Enfin, la
directive prévoit que les États membres puissent instaurer une exemption totale
dans les cas d’aide humanitaire. Une possibilité également non exploitée par
l’hexagone.
« Au
niveau européen, il y a une absence de parole à ce stade sur la question du
délit de solidarité », reconnait Sylvie Guillaume, eurodéputée socialiste
française et vice-présidente du Parlement européen. « Aujourd’hui, il doit
avoir une dynamique française et européenne sur ce sujet », estime-t-elle.
L’accord
 de Paris est le premier à reconnaître que le changement climatique est à
l’origine de migrations. À la COP23 à Bonn, la grande question est de savoir
comment s’y attaquer, indique William Lacy Swing.
« Il
faudrait une résolution du Parlement européen à ce sujet pour avoir une
approche européenne plus encadrée, car aujourd’hui les lois appliquées en
Europe sont très diverses. Mais je suis bien consciente du risque que cela
pourrait entraîner », poursuit-elle.
Les
positions peu conciliables entre la droite et la gauche, mais aussi les
crispations récurrentes sur la question migratoire entre les pays de l’Est et
de l’Ouest augurent des discussions complexes. « En ouvrant réellement ce
débat, le risque est de finir avec une définition plus punitive du délit de
solidarité. Mais il faut en débattre et tester cette hypothèse », explique
la vice-présidente.
Si le
débat peine à démarrer à Bruxelles, le coup de pouce pourrait venir d’une
initiative citoyenne européenne (ICE). Lancée en février, cette initiative réclame
la fin  du délit de solidarité, et tente de recueillir un million de
signatures de citoyens européens.  En cas de succès, la Commission est
alors supposée apporter une réponse législative au problème soulevé par l’ICE.