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Face à la crise migratoire, l’Europe collabore toujours plus avec les pays autoritaires

Par Cécile
Barbière, EURACTIV, 19/05/2018

L’UE
consacre de plus en plus de fonds à l’externalisation de ses frontières. Une
politique qui a pour conséquence la subvention de certains gouvernements
autoritaires, à l’image du Soudan.

La lutte
contre l’immigration mobilise de plus en plus les financements européens vers
des régimes autoritaires, tels que le Tchad, le Niger, la Biélorussie, la Libye
ou le Soudan, souligne un nouveau rapport sur la politique d’externalisation
des frontières de l’UE.
Le
rapport « Expanding
the Fortress »
(Renforcer la forteresse européenne), publié par
Transnational Institute (TNI) et Stop Wapenhandel, qui fait campagne  au
Pays-Bas contre le commerce des armes, pointe du doigt la collaboration de plus
en plus fréquente de l’UE avec des régimes autoritaires depuis 2005. Et son
accélération depuis 2015 et le début de la crise migratoire.
Au
travers de différents programmes notamment le fonds fiduciaire pour l’Afrique,
l’UE injecte des millions d’euros dans un ensemble de projets visant à prévenir
l’immigration vers le territoire européen.
L’affectation
de l’aide au développement européenne à des actions sécuritaires est défendue
par un large partie du Parlement et par la Commission. Mais certains craignent
un détournement de l’aide au détriment des plus pauvres.
Selon le
rapport, 17  des 35 pays considérés comme prioritaires par l’UE pour
l’externalisation de ses frontières sont gouvernés par des régimes
autoritaires.
« Ce
rapport révèle que dans ses politiques extérieures, l’UE est devenue obsédée
par le contrôle des migrations […]. En renforçant les forces militaires et de
sécurité dans des régions instables, elle risque d’exacerber la répression, et
d’attiser des conflits qui forceront encore plus les gens à quitter leurs pays.
Il est temps de changer de cap. Plutôt que d’externaliser les frontières et les
murs, nous devrions externaliser la vraie solidarité et le respect des droits
humains» avance Mark Akkerman, chercheur et auteur du rapport.
Le
verrouillage des frontières extérieures de l’UE a eu pour effet de pousser les
candidats à l’immigration vers des routes de plus en plus dangereuses.
Résultat, une personne sur 57 est décédée en traversant la Méditerranée en 2017
en empruntant la route de la Méditerranée centrale, alors qu’en 2015 le nombre
de morts en mer était de 1 pour 267 lorsque les migrants empruntaient la route
entre la Turquie et la Grèce, moins dangereuse.
Contrats
pour les entreprises européennes
Autre
aspect mis en avant par le rapport, l’augmentation des dépenses en matière de
sécurité des frontières a largement bénéficié à certaines entreprises
européennes, à l’image du français Thales ou de Gemalto.
En effet,
la collaboration avec des pays tiers pour lutter contre l’immigration
implique de nombreux domaines de coopération dans lesquels les entreprises
européennes sont en pointe, comme l’accueil des personnes déportées, la
formation des forces de police et des garde-frontières ou le développement de
systèmes biométriques complets, ainsi que l’équipement de surveillance et de
contrôle.
L’Allemagne
et l’Italie, «  financent également leurs propres groupes d’armement
(Hensoldt, Airbus et Rheinmetall pour l’Allemagne, Leonardo et Intermarine pour
l’Italie)  afin de soutenir des programmes de sécurisation des frontières
dans un certain nombre de pays du MENA » souligne le rapport.
Un budget
de plus en plus orienté 
Les
conclusions mises en avant devraient se confirmer pour la prochaine période
budgétaire européenne. En effet, le 2 mai, la Commission européenne
a présenté son  nouveau cadre financier pluriannuel pour la période
2021-2027. Elle propose de consacrer 123 milliards d’euros à l’action
extérieure, soit une hausse de 27 % par rapport au budget extérieur.
Mais la
hausse prévue par Bruxelles, dons un contexte de contrainte budgétaire liée au
départ du Royaume-Uni contributeur net au budget de l’UE, serait principalement
destinée à répondre aux enjeux migratoires.
La
Commission souhaite en effet créer un instrument financier unique pour
l’intégralité de son action extérieure, en fusionnant 12 instruments
actuellement existants. Une architecture simplifiée qui pourrait  faire
prévaloir les objectifs de lutte contre l’immigration sur les objectifs de
coopération au développement, craignent les ONG  spécialisées.