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Face-à-face entre l’extrême droite et ses détracteurs à Berlin

Isabelle
Le Page, La Presse, 27 mai 2018

Extrême
droite d’un côté, ses détracteurs de l’autre. Berlin a connu un dimanche de
tensions, des milliers de manifestants des deux camps s’étant mobilisés pour un
face-à-face, sous l’oeil de la police, présente en nombre, pour prévenir des
heurts.
Un
partisan du parti d’extrême droite AfD tient une affiche où il est écrit
« Scandale ! J’aime mon pays » lors d’une manifestation tenue à
Berlin, le 27 mai. Photo Tobias Schwarz, Agence France-Presse

Toute
l’après-midi, en plein centre-ville, plus de cinq mille manifestants de
l’Alternative pour l’Allemagne, ont marché, drapeaux allemands à la main, face
aux quelque 25 000 personnes réunies pour de bruyantes
contre-manifestations, selon les estimations de la police.

Défilant
de la gare principale jusqu’à la porte de Brandebourg, les manifestants
d’extrême droite ont repris en coeur des slogans hostiles à l’islam et à la
chancelière Angela Merkel en raison de sa décision en 2015 d’accueillir des
centaines de milliers de demandeurs d’asile.
Vers 16h
(heure locale), ils se sont dispersés dans le calme, encadrés de près par les
policiers qui craignaient des heurts, des groupes se disant
« antifascistes » ayant promis « sabotage » et
« chaos ».
Rares
incidents
Seuls de
rares incidents ont été dénombrés au final, les forces de l’ordre, qui avaient
sur le terrain 2000 hommes, ayant indiqué avoir dû faire usage de gaz irritant
à une reprise pour repousser des contre-manifestants.
Une
poubelle incendiée a blessé une personne, ont-elles encore indiqué, sans
apporter de précisions sur les blessures.
Les
protestataires anti-AfD, en surnombre, ont tenté toute l’après-midi de gêner la
manifestation d’extrême droite à l’appel de syndicats, partis, associations et
même de boîtes de nuit. Ils ont pu ainsi détourner un temps le cortège de son
itinéraire original en bloquant un pont.
« La
propagande nazie n’est pas un droit » ou « tout Berlin est contre
l’AfD », scandaient-ils, invectivant aussi par moment leurs adversaires.
Des
navires anti-AfD, décorés de banderoles et de ballons se sont aussi joints au
rassemblement, alors que des clubs berlinois avaient déployé des haut-parleurs
pour tenter de noyer slogans et discours de l’Alternative pour l’Allemagne.
Si les
basses étaient bien audibles, les orateurs ont pu aussi se faire entendre.
« Nous
aimons notre pays, nous voulons le transmettre à nos enfants comme nos
grands-pères l’ont fait pour nous », a dit à la fin de la manifestation,
au pied de la Porte de Brandebourg, le co-président de l’AfD Alexander Gauland,
dont le discours a été brièvement interrompu par un contre-manifestant.
Plus tôt,
à la gare centrale de Berlin, point de départ de la manifestation, Beatrix von
Storch, une figure du parti et petite-fille d’un ministre d’Adolf Hitler, avait
insisté sur le thème phare de son parti : la dénonciation de l’islam.
Merkel et
le chaos
« Ce
qui est en jeu c’est la liberté face à l’islamisation », a-t-elle lancé,
alors que son parti a fait un tabac aux législatives de septembre 2017
(environ 13 %) en surfant sur les craintes nées de l’arrivée massive de
demandeurs d’asile.
Christine
Moessl, une enseignante de 41 ans, abonde dans ce sens. « Merkel a
provoqué le chaos. Nous savons maintenant que des (islamistes) dangereux se
cachent parmi les réfugiés », a-t-elle martelé.
Bruyant à
la chambre des députés, l’AfD voulait mobiliser dans la rue contre la
chancelière Angela Merkel, sa bête noire.
Mais
après avoir annoncé 10 000 participants à la police, la direction du parti
a revu ses ambitions cette semaine, disant compter sur 2500 à 5000
manifestants.
Leurs
opposants de tous bords s’agitaient eux depuis des jours sur les réseaux
sociaux pour ne pas « laisser la rue aux sympathisants de l’AfD »,
alors que la popularité gagnée par ce parti choque dans un pays dont l’identité
est fondée en partie sur la repentance pour le nazisme.
« L’AfD
n’essaie pas de résoudre les problèmes, mais divise la société », estime
Knut Haemmerling, 48 ans.
« Cela
fait peur d’imaginer ce qui se passerait si le parti devenait plus
grand », souffle de son côté Yesra Zubaidi, 76 ans, née en Syrie, et
vivant depuis longtemps en Allemagne.
Fondée en
2013, l’AfD est devenue la troisième force politique d’Allemagne en se
nourrissant des craintes liées à l’arrivée de plus d’un million de migrants.
La
formation, avec plus de 90 députés, est devenue le premier parti d’opposition
du fait de l’alliance gouvernementale conclue dans la douleur entre les
conservateurs d’Angela Merkel et les sociaux-démocrates.
Et l’AfD
continue de progresser dans les sondages, talonnant le SPD.