General

En Allemagne, l’extrême droite courtise les salariés de l’automobile

Courrier International, 09.05.2018

Après
avoir bousculé le paysage politique allemand, l’extrême droite s’ancre dans les
comités d’entreprise des constructeurs automobiles, fleurons industriels du
pays en pleine crise d’identité, avec un discours antisystème qui embarrasse
les syndicats traditionnels.
Un membre
de la sécurité du parti anti-immigration AfD au congrès du parti à Hanovre le 2
décembre 2017 – DPA/AFP/Archives
“Les
élections se sont très bien passées pour nous”, se félicite auprès de
l’AFP Simon Kaupert, chargé de la communication du syndicat “Zentrum
Automobil”, qui a fait élire ces deux derniers mois une vingtaine de
représentants dans sept comités d’entreprise, chez Daimler, BMW et Porsche,
avec plus de 10% des voix.
Parmi ces
nouveaux venus, le chef de file du Zentrum Oliver Hilburger, à la fois élu
syndical chez Daimler à Untertürkheim, pilier des manifestations du mouvement
islamophobe Pegida, proche du parti d’extrême droite AfD, et ancien bassiste
d’un groupe de rock néonazi.
Depuis sa
création en 2009, quatre ans avant celle de l’AfD, ce “syndicat
alternatif” d’extrême droite s’est lancé à l’assaut de l’industrie
automobile, secteur phare qui emploie plus de 800.000 salariés, incarne la
puissance de l’Allemagne à l’export mais souffre depuis près de trois ans du
vaste scandale des moteurs diesel truqués.
D’autres
candidats gravitant autour de l’AfD, de Pegida et du Zentrum ont aussi été élus
sous d’autres étiquettes, notamment chez Siemens et le constructeur de scies
électriques Stihl, poussant la Confédération allemande des syndicats (DGB) à
inscrire ce sujet au menu de son congrès qui s’ouvre dimanche.
– Diesel
et désindustrialisation –
Si pour
l’instant ces syndicats ne sont “numériquement pas très importants”,
l’extrême droite “s’attaque à IG Metall (le puissant syndicat de la
métallurgie, ndlr) dans ses bastions”, explique à l’AFP Klaus Dörre,
sociologue à l’université de Jena, pour qui “l’automobile est au coeur de
l’organisation syndicale allemande.”
En
s’adressant aux travailleurs, la stratégie du Zentrum rappelle celle “de
l’aile Strasser du NSDAP”, la “gauche” du parti nazi, souligne
le chercheur: “ils se présentent comme ennemis de la mondialisation, et
évitent les déclarations ouvertement racistes”, transformant la lutte des
classes “en une lutte +intérieur contre extérieur+”.
Simon
Kaupert, pour le Zentrum, accuse d’ailleurs “tous les partis de gauche,
même la CDU”, soit les conservateurs de la chancelière Angela Merkel
habituellement classés à droite, de défendre principalement “la
mondialisation”, une critique qu’il étend aux grands syndicats.
Il se
positionne ainsi contre la désindustrialisation de l’Allemagne, et espère
briser le “monopole” des syndicats établis, “si proches des
élites politiques qu’ils ne sont plus des solutions, mais une partie du
problème”.
“Les
alternatives à ce système sont l’AfD au niveau politique, et le +Zentrum+ dans
les entreprises”, affirme-t-il. “La solidarité internationale
n’existe pas. Je ne peux être solidaire qu’avec les gens que je connais (…)
et non pas avec n’importe qui à l’autre bout de la planète.”
L’extrême
droite allemande a par ailleurs fait de la défense du diesel l’un de ses
chevaux de bataille, à l’heure où les véhicules les plus polluants sont menacés
d’interdiction dans plusieurs dizaines de villes, menaçant par ricochet les
salariés du secteur.

“Peur” syndicale –
“Une
partie non négligeable des travailleurs, et même des membres de syndicats, est
en train de développer une affinité pour l’AfD”, estime M. Dörre, posant
aux syndicats traditionnels le même problème qu’aux partis établis.
Du côté
de la DGB, on rappelle que l’écrasante majorité des 180.000 sièges de
représentants du personnel est restée aux organisations ancrées à gauche,
faisant des unions “patriotes” une poignée d’agitateurs
surmédiatisées.
Mais à
partir de dimanche, l’organisation doit discuter plusieurs motions proposant de
“refuser toute coopération avec l’AfD” ou “donner aux adhérents
les moyens de répondre à la rhétorique des groupes populistes”.
“L’extrême
droite est dans son essence antisyndicale” et ces groupes n’ont “rien
de social”, affirme Annelie Buntenbach, membre du directoire de la DGB.
Pour M.
Dörre, les syndicats tardent à réagir parce qu’il “ont peur, en instaurant
de claires frontières avec la droite, de perdre des membres” séduits par
l’AfD. Au risque de faire fuir, par leurs positions trop flous, les
travailleurs de gauche ou immigrés.
“Ne
pas en parler n’aide pas”, souligne l’universitaire, qui préconise le
“dialogue franc” avec les salariés, car “ces problèmes se
multiplient dans l’indifférence.”