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Contre le retour d’Ebola, la vaccination ne peut pas tout

Clelia
Gasquet-Blanchard, The Conversation, 3 juillet 2017

Une nouvelle
épidémie d’Ebola
sévit dans le Nord Est de la République
démocratique du Congo, dans la province de l’Equateur. Elle a déjà provoqué la
mort de 17 personnes et fait suite à une autre épidémie qui avait
touché le Nord du pays
de mai à juin 2017, dans la province du
Bas-Uelé, occasionnant
4 décès
.
A
Monrovia, au Liberia, le 5 avril 2017. Un volontaire reçoit un vaccin contre
Ebola à l’hôpital, dans le cadre de l’essai clinique Prevac. NIAID/Flickr,
CC BY-SA

Il s’agit
donc de la seconde flambée de fièvre épidémique hémorragique à virus Ebola
depuis la dramatique épidémie qui avait frappé l’Afrique de l’Ouest entre 2013
et 2016.

Identifié
depuis 1976, ce virus se caractérise par un taux de mortalité élevé, allant de
25 à 90 % selon la souche concernée. Cependant, les pays confrontés à
Ebola ne sont plus aussi démunis que par le passé. Pour la RDC, par exemple, il
s’agit d’une huitième épidémie – récurrence qui confère à son système de santé
une certaine expérience. Des enseignements ont ainsi pu être tirés, par les
acteurs de la santé publique locaux et internationaux, des multiples épidémies
qui ont touché l’Afrique Subsaharienne.
Le savoir
a progressé dans les grandes ONG humanitaires, particulièrement Médecins sans
frontière et la Croix rouge, mais aussi dans les ONG locales, les organismes
internationaux comme l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les Nations
unies et les gouvernements, via leurs ministères de la santé, des affaires
étrangères ou encore leurs armées. Les scientifiques d’horizons divers,
virologie, immunologie (mécanismes de défense de l’organisme), santé publique, anthropologie, sociologie,
ont eux aussi participé à la progression des connaissances.
À Likati,
en RDC, en mai 2017. Des logisticiens de l’Organisation mondiale de la santé
déchargent des kits de protection et des médicaments contre l’épidémie à virus
Ebola, acheminés par un hélicoptère du Programme alimentaire mondial. OMS/RDC/Eugene
Kabambi/Flickr
, CC BY-SA
 C’est
notamment suite à l’épidémie ayant sévit en 1995 à Kikwit en RDC que les
intervenants de terrain avaient souligné la nécessité d’un test de diagnostic
rapide – qui existe aujourd’hui – ou encore de l’amélioration
des procédures de prise en charge des patients
qui, elles, laissent
toujours à désirer. De fait, les études concordent toutes aujourd’hui pour
affirmer que les patients atteints d’Ebola ne peuvent pas être seulement isolés
et soignés avec des traitements symptomatiques par des soignants en tenues de
cosmonautes.

Trop
souvent en effet, on assiste à une gestion dans l’urgence, peu respectueuse des
personnes. Un mode de résolution des crises dû à des représentations sociales
anciennes qui trouvent leurs racines dans l’Antiquité avec les fléaux, puis au
Moyen Âge avec la peste. Cette vision d’Ebola comme cataclysme produit une
réponse hygiéniste et sécuritaire face à l’épidémie. Les institutions
internationales et les ONG se mobilisent. Dès lors, on trouve sur le terrain
une multiplicité d’acteurs qui peinent à communiquer entre eux, mais aussi avec
les institutions locales que sont les gouvernements des pays touchés, avec les
acteurs institutionnels régionaux, les hôpitaux et les populations. Des actions
croisées qui complexifient l’endiguement de l’épidémie, et mettent en péril
l’humanité des soins.
Alors que
de nets progrès ont été faits côté clinique, avec la mise au point d’un vaccin administré,
pour l’instant, à titre expérimental
, la manière d’accompagner les
malades a, comparativement, peu progressé. C’était la conclusion des travaux
présentés lors du premier
colloque en sciences humaines sur Ebola
qui s’est tenu à Dakar, au
Sénégal, en mai 2015. Les chercheurs appellent, désormais, à établir une
meilleure communication avec le patient, s’appuyant notamment sur une étude
réalisée au Sénégal
.
Les
centres de traitement rebaptisés des « mouroirs »
À partir
de 2000, avec la globalisation
du phénomène épidémique
, la gestion de la crise a en effet été
largement déshumanisée. Les centres de traitements Ebola sont souvent appelés
des « mouroirs » par les populations locales, qui refusent de s’y
rendre ou tentent de cacher leurs malades. Certaines mesures de prévention, par
exemple l’interdiction des regroupements, vont à l’encontre de rites
nécessaires au soin des malades et au deuil des familles.
À ces
situations vécues comme brutales, vient s’ajouter la militarisation des
opérations d’identification des personnes dites « contacts » car
ayant été en contact avec un malade d’Ebola (dans le but de les mettre sous
surveillance et d’éviter ainsi de nouvelles contaminations). Par ailleurs,
certains pays ont décrété des couvre-feux, placé des quartiers en
quarantaine ; des compagnies aériennes ont suspendu leurs vols à
destination de pays touchés ; autant de situations qui ont amené, de
manière récurrente, à des révoltes et des contestations violentes de la part
des habitants, notamment en Sierra Leone et en Guinée.
L’intervention
internationale d’urgence dépossède les populations, voire les acteurs
sanitaires nationaux, de la maladie. En conséquence de quoi les causes du
malheur sont entre autres attribuées
aux occidentaux ou à des personnalités locales
, jetant le discrédit
sur les campagnes préventives contre cette maladie.
Le rejet
par la famille, la perte de leurs biens
De fait,
une épidémie d’Ebola provoque une crise sanitaire mais aussi sociale, comme
nous l’avons montré dans nos travaux de thèse et par la suite.
Après la crise, les territoires comme les sociabilités sont reconfigurés
durablement en raison des stigmates qu’induit la survivance à Ebola.
Les
anciens malades peuvent connaître le rejet par leur famille, la honte
d’eux-mêmes, la perte de leurs biens et finir par déménager. Des observations
corroborées par le suivi d’une cohorte
de survivants
mise en place en Guinée par l’Institut de recherche
pour le développement (IRD). Dans la continuité des hypothèses soulevées en
2010 dans nos travaux, leurs études montrent que les ex-malades présentent
bien ces stigmates économiques et sociaux avec, en plus, des complications de
la maladie comme une inflammation au niveau des yeux.
À
l’avenir, les avancées scientifiques permettent d’espérer qu’une vaccination
préventive dite
« en anneau »
, autour des premiers cas déclarés, s’avère
efficace contre Ebola. La méthode
implique de vacciner toutes les personnes ayant été en contact avec un cas,
ainsi que tous leurs contacts. Cette stratégie, défendue par l’OMS, devrait
éviter que ne se reproduise le drame qu’a connu l’Afrique de l’Ouest entre 2013
et 2016.
Cependant,
une telle stratégie implique trois préalables. Pour commencer, les vaccins
doivent être mis à disposition par les laboratoires pharmaceutiques dans des
délais rapides et en quantité suffisante. Ce qui sous-entend la mise sur pied
d’un fonds mondial, afin que les états concernés puissent financer la campagne
de vaccination à moindres frais. Ensuite, le système de santé des pays touchés
doit pouvoir aligner le matériel et le personnel nécessaires pour atteindre les
personnes à vacciner.
Enfin,
des équipes locales doivent être formées à la mobilisation sociale pour pouvoir
être déployées dans la zone touchée et impliquer les communautés locales dans
l’identification des personnes à vacciner selon le principe de
« l’anneau ». Il reste, pour finir, à savoir communiquer de la bonne
façon pour convaincre ces personnes d’accepter la vaccination.
Présence
sous condition de chercheurs en sciences humaines
On mesure
mieux, à ce stade, l’importance d’associer des chercheurs en sciences humaines aux actions
sur le terrain
. Trop souvent encore, leur présence reste
conditionnée au sentiment d’impuissance ou à une
situation d’échec
des équipes d’action médicale et sanitaire.
L’endiguement
de telles épidémies ne peut se suffire de mesures coercitives d’isolement quand
survient la crise. Son succès passe, en amont, par une véritable politique de
promotion de la santé. Car l’état de santé, pour chacun, se joue bien avant
l’épidémie, dans des déterminants aussi concrets que l’accès au logement, à
l’hygiène et à une alimentation équilibrée.
Contenir
la diffusion du virus implique, enfin, une refonte des
rapports Nord-Sud
. En effet, les interventions dans les pays touchés
d’organisations venues de l’extérieur sont vécues comme un processus de
domination, lequel entraîne en réaction de la contestation. Changer de mode de
relation constitue la seule véritable manière de se prémunir durablement contre
Ebola. En plus de la vaccination.