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Au Japon, les victimes de stérilisation forcée réclament réparation

Par Mooréa
Lahalle, Le Figaro, 17 mai 2018

Une page
sombre de l’histoire du Japon refait surface : la stérilisation forcée,
fréquente dans les années 1970. Trois victimes ont porté plainte contre le
gouvernement.
Les
victimes de stérilisation forcée s’opposent au gouvernement japonais et
réclament justice. (Japon, mai 2017.)
Toshifumi
Kitamura / AFP

En ce
moment
Ils
seraient plus de 16.500 Japonais à avoir été victimes de stérilisation forcée
dans les années 1970. Exigées par le gouvernement, ces interventions
chirurgicales avaient été imposées dans le cadre de l’application d’une loi
instaurée en 1949. Dédiée aux personnes souffrant de handicap mental
héréditaire, cette loi visait à empêcher la naissance d’enfants aux capacités
diminuées.
Si près
de 8500 personnes auraient consenti à cette opération selon les statistiques
officielles, les juristes estiment qu’elles ont été «de facto forcées», du fait
des pressions exercées sur elles ou leurs proches. Restée en vigueur jusqu’en
1996, cette législation a aujourd’hui des conséquences. Trois victimes ont
décidé de porter plainte ce 17 mai contre le gouvernement, faisant suite à une
première plainte déposée en janvier.
Un
premier cas en janvier
Cette
page sombre de l’histoire japonaise a refait surface au début de l’année. Le 30
janvier, une femme d’une soixantaine d’années engageait des poursuites contre
son gouvernement. Soupçonnée d’être atteinte d’une maladie mentale, Yumi Sato –
un nom d’emprunt – avait été stérilisée de force en 1972, à tout juste 15 ans.
Accusant l’État d’avoir gravement violé ses droits humains et de ne pas lui
avoir proposé de compensations, elle réclamait, selon les médias japonais, onze
millions de yens (environ 81.500 euros) de dommages.
Interrogé
au sujet de la plainte, un responsable du ministère de la Santé chargé de cette
question avait alors indiqué que le gouvernement était prêt à discuter
individuellement avec toute personne nécessitant de l’aide. Les autorités
n’avaient néanmoins «pas l’intention de proposer des mesures générales» en
faveur de toutes les victimes de stérilisation forcée.
Puis un
deuxième…
D’autre
victimes n’ont pas tardé à sortir de l’ombre. C’est le cas de Saburo Kita (nom
d’emprunt), 75 ans, stérilisé lui aussi à l’adolescence, et l’un des
plaignants. Marié peu de temps après, il n’a avoué la vérité à sa femme qu’en
2013, peu de temps avant qu’elle ne décède.
Saburo
Kita, qui en «souffre depuis des années», réclame désormais à l’État une
indemnité de 30 millions de yens (230.000 euros), a précisé son avocat, Maître
Naoto Sekiya. «Je souffrais lorsque je voyais ma femme avec l’enfant d’autres
personnes dans les bras. J’ai porté ce fardeau dans mon cœur pendant tellement
d’années», confie-t-il. En venant déposer son dossier au tribunal de Tokyo, il
a déclaré : «J’espère que les autres victimes, qui ont souffert pendant des
décennies comme moi, vont protester aussi et se joindre à nous». Et de
poursuivre : «Je veux que le gouvernement reconnaisse la vérité et me rende ma
vie».
Junko
Iizuka, l’une des victimes, lors d’un meeting organisé en mars dernier à Tokyo.
(Japon, mars 2018). Toshifumi KITAMURA / AFP

… et
une troisième

Un récit
qui n’est pas sans rappeler celui de Junko Iizuka, septuagénaire qui raconte
son histoire sous couvert d’anonymat. À l’âge de 16 ans, elle est conduite chez
le médecin. Lorsqu’elle se réveille sur un lit d’hôpital, une large cicatrice
verticale lui barre le ventre. Ce n’est que des années après qu’elle a compris
ce qui lui été arrivé.
Deux ans
avant l’opération, Junko Iizuka avait été internée par sa mère adoptive dans un
établissement spécialisé, mais aucun handicap mental n’avait été formellement
diagnostiqué. Son père biologique lui a avoué que des responsables locaux
«avaient fait pression à plusieurs reprises» pour qu’il signe le document
autorisant l’opération, raconte-t-elle à l’AFP. Si Junko Iizuka s’est
finalement mariée et a adopté
un garçon, elle regrette toujours de ne pas avoir eu d’enfant biologique. Cela
fait maintenant vingt ans qu’elle se démène auprès des gouvernements successifs
pour que le traumatisme qu’elle a subi soit reconnu.
Ces
victimes qui, ultérieurement, ont effectué maintes démarches auprès des
autorités, se sont toujours trouvées confrontées à la même réponse : la
procédure était légale à l’époque et n’ouvre droit à aucune compensation.