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Rendre le recrutement responsable ou équitable ?

Jacques
Igalens, The Conversation, 24 avril 2018

Le
recrutement est un acte clef de la gestion des ressources humaines (GRH).
En 2015,
400 travailleurs sans papiers des Yvelines, recrutés par des agences d’intérim,
faisaient valoir leurs droits. Miguel Médina/AFP

Pour le
mener au mieux, les responsables des ressources humaines font souvent appel à
des consultants spécialisés : cabinets de recrutement ou chasseurs de tête
lorsqu’il s’agit de trouver des compétences rares (quitte à débaucher chez un
concurrent), agences de main d’œuvre ou services publics tels que Pôle emploi
et, pour les cadres, APEC (Association pour l’emploi des cadres).

De
nombreuses personnes interagissent au cours du processus de recrutement :
candidats, responsables de l’entreprise demandeuse, éventuellement personnel du
prestataire choisi pour le recrutement… Les relations entre tous ces
intervenants peuvent être complexes, car les enjeux sont très différents pour
chacun. Comment mieux protéger les droits et les intérêts des candidats ?
La Fédération Syntec et l’Organisation Internationale du Travail (OIT)
proposent des pistes via, respectivement, la Charte du
« recrutement responsable »
et l’initiative « recrutement
équitable »
.
Expliciter
la déontologie liée au recrutement
Rédigée
fin 2017, la charte de la
Fédération Syntec
(organisation professionnelle constituée de
1 250 groupes et sociétés françaises spécialises dans les professions
de l’ingénierie, des services informatiques, des études et du conseil, de la
formation professionnelle) débute ainsi :
« Le
recrutement responsable instaure un partenariat confiant et durable, et une
relation équilibrée entre les parties prenantes, candidats, entreprises et
cabinets. Il s’inscrit dans un contexte d’ouverture, de transparence et de
traçabilité, dans le respect des droits et obligations de chacune des parties.
Son but avéré est de garantir aux candidats des pratiques responsables,
respectueuses et inscrites dans la tolérance en parfaite cohérence avec les
règles définies par le Défenseur des Droits. »
Elle
détaille ensuite vingt recommandations qui précisent les relations souhaitables
entre les cabinets de recrutement, leurs clients (les entreprises) et les
candidats. On trouve, par exemple, l’obligation de confidentialité,
l’interdiction d’exploiter des informations d’ordre privé recueillies sur les
réseaux sociaux ou sur le Web (rappel bien utile par les temps
qui courent
…) ou encore le fait qu’à l’issue de sa mission, le
cabinet de recrutement s’engage à fournir une réponse circonstanciée aux
candidats reçus.
Cette
charte, qui a déjà recueilli la signature de plus de cinquante cabinets de
recrutement, est une combinaison d’obligations légales (par exemple
l’interdiction de discrimination ou le fait de n’utiliser que des outils
d’évaluation pertinents au regard de la mission poursuivie) et de bonnes
pratiques. Elle est utile car elle explicite ce qui découle de la déontologie
du recrutement, souvent mal connue des principaux intéressés, les candidats.
Cependant, elle ne donne qu’une image partielle du recrutement.
Car
celui-ci n’est malheureusement pas toujours éthique. Ainsi, certaines agences
de main d’œuvre, que l’on pourrait qualifier d’officine, font venir
illégalement des hommes (en majorité) et des femmes de pays à fort taux de
chômage, ou de pays frontaliers moins riches que leur voisin. Les scandales
liés à ces pratiques font de temps à autre l’objet des scandales, qui mettent
sur la place publique l’action néfaste de ces « agences
de placement »
œuvrant dans de nombreux pays, du Canada
à la Malaisie
en passant par l’Espagne
Ou la France.
Qu’en
est-il dans l’Hexagone ?
En
France, pour conclure un contrat de travail avec un salarié étranger non
européen résidant hors du pays, il existe une demande d’autorisation de travail
dont le traitement par le ministère de l’Intérieur permet d’éviter certains
abus. Depuis plus d’un an, dans le bâtiment, tout travailleur, qu’il soit
détaché ou non, doit détenir une carte BTP
qui vise à lutter contre la fraude au détachement de salariés d’entreprises
établies hors de France.
Toutefois,
malgré ces mesures, on trouve encore des pratiques illégales de recrutement
dans le travail saisonnier, notamment agricole, ou dans le BTP et
l’hôtellerie-restauration. Parfois, la société française qui embauche passe par une
agence d’intérim étrangère
pour effectuer le recrutement, ce qui
complique le contrôle. Par ailleurs, nombre de grandes entreprises françaises
sont établies via des filiales dans des pays moins regardants ou moins
efficaces que la France en matière de lutte contre le trafic de main d’œuvre.
Pour
faire face à cette situation, l’OIT a rédigé récemment ses « principes
généraux et directives opérationnelles concernant le recrutement
équitable »
. Ce texte concerne potentiellement tous les
migrants internationaux, soit 244 millions de personnes selon les
statistiques des Nations-Unies
. Il s’appuie sur plusieurs sources,
la principale étant constituée par les normes internationales du travail et les
instruments connexes de l’OIT.
Guide du
recrutement équitable des travailleurs migrants par l’OIT (en anglais).
Ne pas
confondre responsable et équitable
Si, dans d’autres
domaines, les termes « responsable » et « équitable » ont
tendance à se rejoindre, ce n’est pas le cas dans le recrutement. En effet,
l’appellation « recrutement responsable » décrit surtout le
recrutement national, tandis que les règles proposées par l’OIT pour le
« recrutement équitable » concernent avant tout le recrutement, pour
des pays riches, de personnes peu qualifiées en provenance de pays pauvres. Ce
flux de travailleurs ne se fait pas uniquement selon un axe sud-nord : les
pays pétroliers du Golfe sont parmi les plus concernés.
L’OIT
place la condamnation du dumping
social
parmi les premiers de ses principes
généraux
 :
« Le
recrutement devrait être utilisé pour répondre aux besoins avérés du marché du
travail et non pour déplacer ou réduire les effectifs existants, tirer vers le
bas les normes du travail, les salaires ou les conditions de travail. »
(principe n°2)
Si ce
premier principe s’adresse essentiellement aux entreprises, les autres
concernent les intermédiaires qui agissent souvent en dehors du cadre légal et
réglementaire, prenant pour proie les travailleurs peu qualifiés. Parmi les
abus recensés figurent la fraude quant à la nature et aux conditions de
travail, la confiscation des passeports, les retenues illégales sur salaires ou
encore la servitude pour dette liée au remboursement des frais de recrutement
ainsi que les menaces associées à la crainte d’être expulsé du pays, si les
travailleurs veulent quitter leur employeur.
La
définition du recrutement équitable comporte également l’interdiction de
facturer aux demandeurs d’emploi des frais liés au recrutement. Est également
mentionnée l’obligation de rédiger le contrat « dans une langue que le
travailleur comprend », et de le lui remettre suffisamment longtemps avant
qu’il ne quitte son pays d’origine. De même « la liberté des travailleurs
de se déplacer dans le pays ou de le quitter devrait être respectée »
(principe n°11) et une procédure de réclamation devrait être mise en place
(principe n°13).

L’OIT milite
pour rendre le recrutement équitable pour tous.
Le
recrutement équitable et la loi française, même combat ?
Le
« recrutement équitable » édicté par l’OIT est important pour les
entreprises françaises qui sont soumises au très récent « devoir de vigilance »
mis en place par la loi n°
2017-399 du 27 mars 2017
. Les préconisations de l’OIT
concernent en effet plusieurs dispositifs imposés par le législateur.
Dans
certains pays, le recours à des officines, formelles ou informelles, pour faire
venir des travailleurs migrants dans les filiales ou chez les fournisseurs et
sous-traitants est une pratique répandue. Celle-ci constitue un risque pour les
entreprises françaises, au regard de ce « devoir de vigilance ».
Elles doivent désormais faire preuve d’une diligence raisonnable pour évaluer
ledit risque, et mettre en place des actions visant à prévenir les atteintes
graves. Elles doivent également prévoir un mécanisme d’alerte et de recueil des
signalements relatifs aux éventuels cas de recrutement qui violeraient les
droits des recrutés.
Dans ce
contexte, le processus de recrutement est donc amené à faire l’objet de
nouvelles investigations. Au-delà de la conformité à la loi, il faudra
désormais être prévoir des audits réguliers, destinés à estimer sa conformité
aux exigences du recrutement responsable et équitable. Ces nouveaux dispositifs
devraient permettre de garantir enfin les droits des candidats et des nouveaux
embauchés, quelles que soient leurs origines et quels que soient les postes
auxquels ils aspirent.